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La gratuité des frais d’obsèques pour les indigents. Par Laurent Thibault Montet, Docteur en Droit.
Parution : mercredi 22 mars 2023
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Conformément à l’article L2213-7 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), le maire (ou en cas de carence, le représentant de l’Etat territorialement compétent) doit procéder d’urgence aux services funèbres [1] de toutes personnes dont la famille n’a pas réclamé le corps en « temps utile » [2]. Ainsi, le cas échéant, la collectivité territoriale sollicite le remboursement des frais, notamment par l’émission d’un titre de recette, auprès des ayants droit du défunt [3]. Qu’en est-il de ce processus de recouvrement lorsque le défunt est qualifié d’indigent ?

I. La caractérisation de la situation d’indigent.

Au sens de l’article L2223-27 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT), les indigents sont assimilés aux « […] personnes dépourvues de ressources suffisantes ». La notion « d’indigents » va donc bien au-delà de celle d’un individu qui serait sans ressources car une personne possédant des revenus pourrait bénéficier de la gratuité du service des pompes funèbres dès lors que ses ressources ne seraient pas caractérisées comme étant « suffisantes ». A ce titre, il est indispensable de saisir ce qu’entend le Législateur par « ressources suffisantes » (voir question écrite n°2395 publiée dans le JO Sénat du 08 novembre 2007 ; également question écrite n°10992 publiée dans le JO Sénat du 20 juin 2019). En effet, la tâche n’est pas linéaire dans la mesure où il n’existe ni Lois ni Règlements qui définissent la notion de « ressources suffisantes » ou qui poseraient des critères d’identification du telle insuffisance.

Ainsi, in concreto, l’évaluation du caractère suffisant des ressources d’une personne doit être effectuée par le maire (en pratique, il s’agit d’une question de la compétence directe d’un Centre Communal d’Action Sociale voire, le cas échéant, d’un service municipal dédié) par le biais de faisceaux d’indices qui, concordant, caractérisent une situation patrimoniale (notamment financière) dont l’actif ne peut soutenir le paiement des frais et charges [4] inhérents au service funèbre exigé par l’article L2223-19 du CGCT.

Ainsi, a priori, il ne s’agit pas, pour l’autorité territoriale, de savoir si l’intéressé est dépourvu de ressources suffisantes à sa subsistance dans la mesure où l’article L2223-27 du CGCT s’attache à résoudre la question du financement de sa dernière demeure. C’est à ce titre, il semble plus pertinent et aussi plus pragmatique de jauger le caractère insuffisant des ressources au regard du coût du service funèbre. L’article 775 du CGI postule un forfait de 1 500 euros de frais funéraires déductibles de plein droit de l’actif successoral. Cependant, le cas échéant, le coût sera déterminé par le contenu du bordereau des prix unitaires du marché public dédié au service funèbre voire le coût de ladite prestation réalisée par le concessionnaire de l’éventuel contrat de concession sur cette mission de service publique.

En tout état de cause, l’indigent, au regard de l’article L2223-27 du CGCT, est la personne dont le patrimoine connu ne peut recouvrir les frais et charges du service des pompes funèbres [5]. A contrario, la personne dont le patrimoine connu peut recouvrir les frais et charges du service funéraire n’est pas indigente. Le service des pompes funèbres ne sera pas gratuit, la succession sera tenue au paiement des frais [6].

Les personnes n’ayant pas les « ressources suffisantes » pour recouvrir les frais du service de pompes funèbres doivent bénéficier de la gratuité du service, c’est-à-dire, qu’il ne peut être mis à leur charge les frais funéraires. Ainsi, lorsque les services de la commune n’assurent pas le service public des pompes funèbres, cette dernière doit choisir l’entreprise qui assurera les obsèques et doit prendre en charge les frais d’obsèques de l’indigent.

Lorsqu’un cadavre est découvert, en cas de mort accidentelle, de suicide ou de cause indéterminée, de cause violente ou suspecte ou encore en cas de crime flagrant ; un officier de police judiciaire doit procéder à une enquête et en fait rapport au procureur de la République (art. 74 CPP). Le transport du corps pour autopsie, l’admission en chambre funéraire ou en morgue hospitalière ne peuvent se faire sans l’accord de l’autorité judiciaire. En outre, pour inhumer le corps, il faut attendre la délivrance du « permis d’inhumer » par l’autorité judiciaire. Dans ce cas la charge de la commune se limite aux frais d’obsèques.

II. La gratuité des frais d’obsèques, une dépense obligatoire.

La commune doit la gratuité du service funèbre aux personnes dépourvues de ressources suffisantes (art. L2223-27 du CGCT). Ce droit à la gratuité doit-il être considéré comme une dépense obligatoire ?

Dans le droit des Collectivités Territoriales, une dépense obligatoire, est une charge qu’une Collectivité Territoriale ne peut refuser. Seule la loi peut imposer une dépense à une commune (article L2321-1 du CGCT).

L’article L2321-2 du Code Général des Collectivités Territoriales établit une liste des dépenses obligatoires. Cependant, cette liste n’est pas exhaustive car l’article L2321-2 introduit sa liste par l’adverbe « notamment ». Ce qui signifie que l’article L2321-2 vise spécialement certaines dépenses mais qu’il n’entend pas toute les énumérer.

Ainsi, le Législateur s’est-il octroyé la possibilité de soumettre les Collectivités Territoriales à d’autres dépenses que celles inventoriées à l’article L2321-2 du Cgct.

En consacrant, dans l’article L2223-27 du CGCT, un droit à la gratuité du service funèbre pour les indigents, le Législateur impose de facto la charge des frais d’obsèques aux communes et cela est vrai que le service des pompes funèbres soit assuré ou non par la Collectivité Territoriale.

Il existe pour une commune une issue tirée du droit de concession d’une parcelle dans un cimetière. En effet, si l’intéressé (le défunt) ne répond pas à certaines conditions, la concession d’une parcelle dans le cimetière communal peut lui être refusée. En effet, l’article L2223-3 du CGCT décrit trois situations pour lesquelles le maire ne peut refuser la concession d’une parcelle funèbre. Ainsi, une parcelle est due dans un cimetière communal dès lors que : La personne est décédée sur son territoire, quel que soit son domicile ; La personne est domiciliée sur son territoire (alors même qu’elle est décédée dans une autre commune) ; La personne n’est pas domiciliée dans la commune mais y possède une concession familiale.

Dès lors, A contrario, les parents de la personne qui n’est pas décédée sur le territoire de la commune qui n’y a pas domicile et qui n’y a pas non plus de concession familiale ne peut opposer à la Collectivité Territoriale « saisie » un droit à concession funèbre [7]. Le droit à la gratuité des frais funèbres est territorialement délimité au regard des critères posés par l’article L2223-3 du CGCT. Cependant, compte tenu du domaine dont il est question, l’efficience de « l’issue » précédemment décrite est assez limitée. En effet, le bémol de la faculté de refuser une concession ne tient pas au fait que ce dernier condamne une autre commune, « territorialement redevable », à exécuter l’obligation qui est imposée par l’article L2223-3 du CGCT mais repose sur des principes indiscutablement supérieurs aux éléments antérieurement avancés, il s’agit du principe posé par l’article 16 du Code civil : « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ». Ce dernier est renforcé par l’article 225-17 du Code pénal : « Toute atteinte à l’intégrité du cadavre, par quelque moyen que ce soit, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».

Ainsi, le principe tiré du respect de la personne humaine induit corrélativement la reconnaissance à tout être humain d’un droit fondamental à obtenir des funérailles et une sépulture. C’est notamment à ce titre (mais également pour une question de santé publique) que la loi impose au maire et, le cas échéant, au préfet (ou représentant de l’Etat localement compétent) de pourvoir d’urgence « […] à ce que toute personne décédée soit ensevelie et inhumée décemment […] » [8]. L’obligation de procéder au service funèbre est soutenue par l’impératif de gratuité pour les indigents (article L2223-27 du CGCT). En outre, pour des raisons d’hygiène et de salubrité, l’obligation de pourvoir à la sépulture de toute personne décédée a également un caractère d’ordre public.

L’éventuelle défaillance de la commune impose l’intervention du préfet qui peut mettre en demeure la Collectivité Territoriale de s’exécuter [9] ou pourvoit lui-même ou par délégation à audit service funèbre. L’exécutif local peut être sanctionné (article L2122-16 du CGCT : « Le maire et les adjoints, après avoir été entendus ou invités à fournir des explications écrites sur les faits qui leur sont reprochés, peuvent être suspendus par arrêté ministériel motivé pour une durée qui n’excède pas un mois. Ils ne peuvent être révoqués que par décret motivé pris en conseil des ministres »).

Les frais d’obsèques et la gratuité des frais d’obsèques pour les indigents sont des dépenses obligatoires dont la Collectivité Territoriale peut solliciter le remboursement aux intéressés mais ne peut espérer obtenir un dédommagement de l’État car c’est une dépense prévue par la loi. En effet, en 2004 et en 2006, dans une réponse apportée aux questions posées par des sénateurs, le Ministre interpellé soutient que l’État participe pleinement aux dépenses d’intérêt général des Collectivités Territoriales. Cette participation interviendrait « à travers la dotation globale de fonctionnement (DGF) dans laquelle a été incluse la subvention à titre de participation de l’État aux dépenses d’intérêt général qui était accordée aux communes, antérieurement à la loi n°79-3 du 3 janvier 1979 portant création de la DGF » [10]. Une stratégie de mutualisation peut être envisagé par le biais de la coopération intercommunale (art. L2223-1 CGCT).

III. La gratuité des frais d’obsèques, une créance irrécouvrable.

En principe, le terme « gratuité » qualifie une opération effectuée sans contrepartie pécuniaire. Aussi, lorsque les frais d’obsèques sont qualifiés de gratuit cela implique qu’il ne naît aucune dette contre le bénéficiaire de l’avantage. La gratuité est donc, par définition, une dépense que le gratifiant ne doit pas pouvoir recouvrir. Ce raisonnement est d’ailleurs validé par l’esprit de l’article L2223-27 du CGCT. La loi a pour finalité de garantir aux personnes dépourvues de ressources suffisantes des funérailles et une sépulture décente. La gratuité des frais funèbres est le seul moyen de pourvoir à cette exigence. La gratuité ne crée pas de dette.

La succession de l’indigent ne devrait pas se voir opposer une dette fondée sur l’avance faite pour des frais d’obsèques définis comme devant être gratuits. Il faut avoir à l’esprit que la succession d’un individu est un ensemble de droits et d’obligations. C’est le caractère insuffisant de ce patrimoine qui permet la gratuité (article L2223-27 du CGCT).

Néanmoins, loin de cette vérité sémantique, le Législateur et le Juge se sont appliqués à donner un statut particulier aux frais funéraires. Le régime juridique auquel sont soumis les frais d’obsèques est celui d’une créance à statut particulier. Les frais funèbres ont un caractère alimentaire [11].

Une créance d’aliment est l’aide matérielle que peut exiger une personne dans le besoin à certains membres de sa famille. Ce soutien familial est limité à ce qui est nécessaire pour assurer la subsistance de la personne. Ainsi, assimilé les frais d’obsèques à une créance d’aliments permet à celui qui a fait l’avance des frais (en l’occurrence la commune) de réclamer le remboursement aussi bien à la succession qu’au débiteur d’aliment [12]. Le conjoint, les descendants et les ascendants sont des débiteurs d’aliments. Le désintéressement du créancier est tributaire de la solvabilité des débiteurs. S’il y a plusieurs débiteurs, le créancier (la commune) peut réclamer la totalité de la dette à l’un seulement des débiteurs, le plus solvable [13].

Ainsi, la créance née de l’obligation prescrite par l’article L2213-7 du CGCT (« Le maire ou, à défaut, le représentant de l’Etat dans le département pourvoit d’urgence à ce que toute personne décédée soit ensevelie et inhumée décemment sans distinction de culte ni de croyance ») est une créance d’aliment [14]. Cependant, pour les « personnes réellement dépourvues de ressources suffisantes », conformément à l’article L2223-27 du CGCT, la gratuité s’impose. Par conséquent, dans cette hypothèse, les frais funèbres constituent une créance irrécouvrable c’est-à-dire dont le recouvrement est impossible, ou, en l’occurrence interdite du fait de la Loi.

Laurent Thibault Montet Docteur en droit https://www.linkedin.com/in/montet-laurent-thibault-51b01a10a

[1Art. L2223-19 du Cgct.

[2Délai de 10 jours prescrit par l’article R1112-75 Code de la santé publique.

[3Art. 806 et 2331.2° du Code civil.

[4Art. 768 et 775 du Code général des impôts (CGI).

[5Article L2223-19 du CGCT.

[6Voir article 784-1°, article 806 et article 1251-5° du Code civil ; également civ. 1er du 10 juillet 1990 au JCP 1990 IV. 432.

[7CE du 16 novembre 1992, « Locre » n°107857.

[8Article L2213-7 du CGCT.

[9Article L2122-34 du CGCT.

[10JO Sénat du 26/08/2004 page 1955 et JO Sénat du 29/06/2006.

[11Cass. 1ère civ. du 14 mai 1992 ; D. 1993 p. 247 ou JCP 1993 II n°22097.

[12Article 784, 806 et 2331 du Code civil.

[13Solidarité passive : art. 1313 du Code civil.

[14Notamment art. 205 du Code civil.

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