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Il n’y aura pas de référendum d’initiative partagée sur les retraites. Par Pierrick Gardien, Avocat.
Parution : lundi 20 mars 2023
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Une proposition de loi pour un référendum d’initiative partagée sur la réforme des retraites a été déposée vendredi 17 mars 2023 sur le bureau de la présidente de l’Assemblée nationale. Si une majorité des Français semble opposée à cette réforme, ce n’est certainement pas cette procédure référendaire qui parviendra à la bloquer : elle ne verra jamais le jour. Explications ci-après.

Il n’y aura pas de référendum d’initiative partagée sur le sujet de la réforme des retraites, car les conditions sont impossibles à réunir en l’état des textes applicables pour provoquer une consultation populaire.

Les conditions de recours au référendum d’initiative partagée, jamais utilisée depuis sa création en 2007, sont si strictes qu’il est hautement improbable que cette voie référendaire débouche dans la pratique sur une quelconque consultation des citoyens sur le sujet des retraites.

La procédure suppose en effet une initiative d’au moins 1/5 des membres du Parlement (soit 185 parlementaires au moins), qui doivent d’abord déposer une proposition de loi d’initiative référendaire sur le bureau de l’Assemblée nationale ou du Sénat (A. 1 LO du 06/12/13). Cette étape semble acquise à ce stade sur le sujet des retraites selon les informations de Franceinfo, puisque le texte aurait été signé par 252 parlementaires.

Néanmoins, la proposition de loi doit, dans un deuxième temps, être transmise au Conseil constitutionnel par le président de l’assemblée saisie, qui va opérer un contrôle obligatoire très poussé (A. 1 LO du 06/12/13), en vérifiant que :
- elle a bien été initialement portée par 1/5 des membres du Parlement,
- elle entre strictement dans les matières référendaires de l’article 11 alinéa 1 de la Constitution,
- elle n’a pas pour objet l’abrogation d’un texte promulgué depuis moins d’un an,
- elle n’a pas un objet identique à celui d’une proposition déjà rejetée par les électeurs depuis moins de deux ans,
- elle n’est pas contraire à la Constitution (dans le délai d’un mois),
- et ne conduit pas à la diminution de ressources publiques ou à la création/ aggravation d’une charge publique.

Le strict contrôle obligatoire opéré par le Conseil constitutionnel en la matière constitue un frein supplémentaire spécifique à cette procédure. D’autant plus que, si le Parlement adopte la loi portant réforme des retraites avant l’organisation du référendum sollicité (ce qui est hautement probable avec l’utilisation de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution), ce vote fera directement obstacle à la possibilité d’organiser un référendum sur le sujet (la consultation serait alors interdite comme portant sur l’abrogation d’un texte promulgué depuis moins d’un an).

Si malgré tout la proposition de loi passait le filtre du Conseil constitutionnel et que la loi sur la réforme des retraites n’était pas adoptée par le Parlement dans l’intervalle, s’ouvrirait une période de 9 mois pendant laquelle elle devrait recueillir le soutien d’au moins un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales, soit 4,7 millions d’électeurs environ.

Il faut toutefois relever que le soutien est recueilli sous forme électronique sur le site internet [1] (via ordinateur, smartphone, tablette, etc.) (A. 5 LO du 06/12/13) et que la liste des électeurs qui soutiennent une demande de référendum est publiée dans son intégralité, par ordre alphabétique sur le site internet dédié. Elle peut donc être consultée par toute personne se rendant sur le site (A. 7 LO du 06/12/13).

Pire encore, la liste doit préciser pour chaque électeur soutenant la proposition de loi (A. 4 décret du 11/12/14) :
- son nom,
- son prénom,
- sa commune, son village ou son consulat d’inscription sur les listes électorales.

Cette diffusion de données personnelles sur Internet pourrait être de nature à dissuader un certain nombre de citoyens d’apporter leur soutien à la proposition de loi référendaire (de crainte de voir leurs opinions politiques portées sur la place publique) d’autant plus que tout soutien apporté ne peut plus être retiré.

Mais ce n’est pas tout !

Si la proposition de loi passait tous ces premiers filtres, elle retournerait ensuite devant les Assemblées qui devraient obligatoirement l’examiner au moins une fois dans un délai de 6 mois à compter de la publication de la décision du Conseil Constitutionnel.

Enfin, et c’est le plus important, si le texte n’était pas adopté par le Parlement dans ce délai c’est le Président de la République qui serait in fine seul compétent pour décider souverainement de soumettre, ou pas, la proposition au vote des électeurs par référendum, sans que l’on puisse envisager de moyen de l’y contraindre (A. 9 LO du 06/12/13), ni de soumettre au juge la décision prise.

L’examen attentif de la procédure applicable démontre donc qu’un référendum d’initiative partagée sur le sujet de la réforme des retraites est bien loin de voir le jour, comme sur tout autre sujet d’ailleurs.

Pour rappel, l’outil du référendum d’initiative partagée a coûté un total de 5 millions d’euros au contribuable [2] sans jamais avoir été utilisé à ce jour.

Il n’y aura donc pas de référendum d’initiative partagée sur le sujet de la réforme des retraites, car les conditions sont impossibles à réunir en l’état des textes applicables.

Il serait intéressant de réfléchir à l’évolution de ces conditions, pour les assouplir dans le cadre de la réforme des institutions à venir.

A ce jour, la procédure du référendum d’initiative partagée est simplement utilisée par des parlementaires pour faire parler d’un sujet, sans qu’elle ne débouche sur aucune votation, ce qui est regrettable.

Pierrick Gardien Avocat Droit Public Barreau de Lyon [->contact@sisyphe-avocats.fr] http://www.sisyphe-avocats.fr/ http://twitter.com/avocatpublic
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