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[Point de vue] Prisonnier du carcan juridico-judiciaire : Comment en sortir ?
Parution : mardi 21 mars 2023
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À l’occasion d’un arrêt rendu par la Cour de cassation le 8 mars 2023, nous apprenons que dans le cadre de la dissolution d’une SCP, une avocate est en conflit avec ses associés. Elle a sollicité une mesure d’arbitrage qui lui a manifestement été refusée. Au-delà du débat juridico-juridique, cela m’a amené à une toute autre réflexion…

Sortir du paradigme du contrat social et du droit n’est pas une chose aisée, surtout lorsque les parties en conflit sont des juristes…

Allier ses compétences juridiques, ses talents d’orateur et ses moyens matériels pour former une équipe de choc prête à affronter le monde entier dans les prétoires, dans l’intérêt exclusif de ses clients, est de plus en plus le projet d’avocats préférant le travail en équipe.

Lorsqu’un tel projet se concrétise, ils vont en bons juristes qu’ils sont, rédiger tous documents pour acter des engagements de chacun, de leurs droits et obligations respectifs. Mais à bien y réfléchir, et sans doute n’y ont-ils jamais pensé, le creuset de ce projet repose non pas sur ces écrits juridiques, mais une entente dont l’origine est fondamentalement émotionnelle : l’émotion de chacun a suscité l’action d’entreprendre ensemble.

Décryptage des prolégomènes de la relation.

Je vous propose de vous immerger quelques secondes dans l’ingénierie relationnelle, pour définir les composantes d’une relation. Comment se définit-elle, selon vous ?

Chacun d’entre vous, a fortiori si vous êtes juristes, voit dans la relation, une dynamique juridique. Le contrat social, issu des Lumières, a permis une régulation des relations par le droit, au point que tout est juridiciarisé ou à tout le moins, juridicialisable. Le droit est omniprésent même dans des domaines parfois insoupçonnés… l’adage selon lequel « nul n’est censé ignorer la loi », aussi "fictionnel" soit-il, en est une belle démonstration.

Mais la relation ne se résume pas au juridique : par une approche purement scientifique, nous pouvons constater qu’il y a également une dynamique technique, référence faite à la matérialisation du lien en termes d’enjeux, d’intérêts.

Enfin, nous pouvons deviner une troisième composante : la dynamique émotionnelle, celle qui fera qu’un lien se créé, se maintient, s’entretient, se détériore voire explose souvent avec « pertes et fracas ».

L’émotion est au coeur même de la relation.

A bien y réfléchir, lorsqu’un conflit apparait, ce n’est jamais du fait d’un aspect juridique ou technique mais bien parce que l’émotionnel a pris le dessus.
Que fait-on généralement ? Hélas, on se rattache aux termes du contrat, à la loi plus généralement, ignorant cet aspect émotionnel qui n’ira qu’en crescendo dans un prétoire, faute de reconnaissance et de surenchère. Pourquoi personne ne ressort indemne d’un procès ? Un conflit ne peut se régler en poursuivant dans l’adversité car cette dernière contribuera à la surenchère, suscitant de nouvelles émotions telles que frustration, incompréhension, peut-être rancoeur, rancune, voire déception, désillusion même.

En fait, que se passe t-il ? Le juriste identifie les besoins de son client et les soumet à la Justice, en termes de droit. Le médiateur professionnel quant à lui, identifie les besoins de ce dernier, en termes d’émotions et use de ses outils en ingénierie relationnelle, pour accompagner la réflexion des parties vers l’élaboration libre et commune d’un projet de résolution de conflit. Le référentiel de droit est écarté pour laisser place à l’usage de la raison. La liberté de décision des parties prend tout son sens.
Que fait le juge lorsqu’il est saisi ? Il rend une décision contraignante qui s’impose aux parties ; il en est de même s’agissant d’un arbitre. Le conflit est-il pour autant réglé ? Les émotions sont toujours là, parfois même exacerbées.

Le conciliateur quant à lui, se situe également dans ce système gestionnaire : hormis le fait que la solution qu’il sera amené à proposer ne s’impose pas aux parties, les orientations induites seront issues d’un référentiel de droit ou de morale. Idem pour les courants dit traditionnels de médiation issus du monde judiciaire. Les parties pourront s’entendre dire qu’il est de leurs intérêts d’accepter la solution de droit.
Dans mon expérience d’avocat, j’ai même entendu une médiatrice dire à mon client : « mais enfin, Monsieur, vous vous battez contre votre frère, pour une somme de 7 000 €, croyez-vous que cela en vaille la peine par rapport aux frais déboursés ? » Pensez-vous que mon client s’est senti reconnu dans sa légitimité à ce moment précis ? Ignorer les composantes d’une relation et ce qui fait qu’elle se dégrade, ne peut susciter que maladresses vis-à-vis des parties et difficultés à maintenir une posture en terme de neutralité (distanciation par rapport à la solution du litige) d’impartialité (distanciation par rapport aux parties) et d’indépendance (distanciation par rapport à toutes formes d’autorités).

User de mêmes référentiels d’autorité que le juge ou même l’arbitre, permet une gestion du conflit et non une complète résolution, tel le couvercle d’une casserole d’eau bouillante que l’on déplacera pour éviter tous débordements.

Comment résoudre (et non gérer) un conflit ?

Alors je vais vous proposer une autre façon d’aborder le conflit... Laissons les aspects juridique et technique et concentrons-nous, sur la partie émotionnelle : le but est de susciter la réflexion par des processus structurés et des outils issus de l’ingénierie relationnelle, puis d’accompagner les parties dans leur réflexion sur ce qui a fait leur relation et ce qui l’a dégradée. La prise de conscience qui s’en suit, leur permet de réfléchir sur le comment faire autrement dans cette relation, afin d’élaborer ensemble un projet de résolution de conflit.

Il n’y a aucune place au feeling, à l’approximatif encore moins à la bienveillance mais au professionnalisme et à la rigueur dans la posture du médiateur.

Avocat à l’origine, pour avoir exercé plus de 32 ans, j’ai eu longtemps pour seule référence, le paradigme du contrat social jusqu’au jour où j’ai ressenti les limites des solutions proposées aux justiciables. Le paradigme de l’entente sociale repose sur les notions fondamentales d’altérité et de liberté car oui, les individus ne sont plus sous l’emprise d’une autorité quelconque mais ont la possibilité de réfléchir puis prendre des décisions par eux-même. Qui de plus impliqué, que celui qui prend conscience ?

La médiation professionnelle peut apporter des solutions en la matière...

NDLR : plus d’articles sur la médiation professionnelle ici.

Edith Delbreil Sikorzinski Médiateure Professionnelle Avocat Honoraire