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Modernisation du crédit d’impôt jeu vidéo, un nouveau « gameplay » pour le dispositif fiscal. Par Olivier Martin, Avocat.
Parution : mardi 21 mars 2023
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Le crédit d’impôt jeu vidéo est un dispositif fiscal créé en 2007, codifié à l’article 220 terdecies du Code Général des Impôts et qui permet aux entreprises éligibles de bénéficier d’un crédit d’impôt plafonné à 6 millions d’euros par entreprise et exercice fiscal et égal à 30% de certaines dépenses éligibles lorsque leur coût de développement est au moins égal à 100 000 euros.

Par un décret du 19 octobre 2022 (Décret n° 2022-1392 du 19 octobre 2022 modifiant les dispositions du Code du cinéma et de l’image animée relatives aux crédits d’impôt en faveur des créateurs de jeux vidéo) publié au JORF le 1er novembre 2022, le gouvernement a entendu moderniser le dispositif en vue d’essayer de l’adapter aux évolutions des jeux vidéo, notamment en ce qui concerne les critères d’éligibilité permettant de présenter la demande d’agrément.

Ce décret vient poursuivre les efforts en vue de renforcer ce dispositif et enclenchés par la loi de finance pour 2017 qui a prévu, à compter du le 1er janvier 2017, un taux du crédit d’impôt majoré de 20% à 30% et un plafond de dépense augmenté pour passer de 3 millions d’euros à 6 millions d’euros.

Les améliorations portées en 2017 ont eu un impact fort sur l’attractivité du dispositif puisque Le nombre de jeux vidéo agréés ayant généré des dépenses éligibles dans l’année atteint 78 en 2021, soit plus du double du niveau atteint en 2016. Les jeux vidéo agréés au crédit d’impôt en 2021 représentent un budget total de 234 millions d’euros, dont 174 millions d’euros dépensés en France (soit un taux de localisation des dépenses en France de 74%).

Cet article vient faire le point sur les modifications apportées au dispositif du CIJV, qui est un atout majeur de la compétitivité de la filière française du jeu vidéo dans un secteur très concurrentiel et en mutation perpétuelle en raison des évolutions technologiques (réalité virtuelle, NFT…).

I. Rappel des critères d’éligibilité.

Pour bénéficier du Crédit d’Impôt jeux vidéo, l’entreprise doit avant tout créer un jeu vidéo dont l’article 220 terdecies du CGI donne une définition, à savoir

« tout logiciel de loisir mis à la disposition du public sur un support physique ou en ligne intégrant des éléments de création artistique et technologique, proposant à un ou plusieurs utilisateurs une série d’interactions s’appuyant sur une trame scénarisée ou des situations simulées et se traduisant sous forme d’images animées, sonorisées ou non ».

Cette entreprise devra en outre :
- être soumise à l’impôt sur les sociétés ou exonérée dans les conditions prévues à l’article 220 terdecies du Code général des impôts,
- respecter la législation sociale en vigueur.

Les dépenses éligibles au crédit d’impôt sont :
- les dépenses de personnel,
- les dotations aux amortissements des immobilisations créées ou acquises à l’état neuf et affectées directement à la création du jeu vidéo,
- les dépenses de sous-traitance (limitées à 2 millions d’euros),
- les dépenses de fonctionnement.

Elles doivent être engagées entre la date de réception de la demande d’agrément provisoire par le Centre National du Cinéma et la date à laquelle l’entreprise constitue sa demande d’agrément définitif.

Le jeu vidéo doit quant à lui répondre aux conditions suivantes :
- avoir un coût de développement supérieur ou égal à 100 000 euros ;
- être destiné à une commercialisation effective auprès du public ;
- ne pas comporter de séquences à caractère pornographique ou de très grande violence.

Deux conditions supplémentaires sont prévues :

- le jeu vidéo doit être réalisé principalement avec le concours d’auteurs et de collaborateurs de création qui sont soit de nationalité française, soit ressortissants d’un autre Etat membre de la Communauté européenne, ou d’un autre Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention fiscale. Les étrangers, autres que les ressortissants européens précités, ayant la qualité de résidents français sont assimilés aux citoyens français ;

- le jeu vidéo doit contribuer au développement de la création française et européenne en matière de jeux vidéo.

Le respect de ces deux conditions est vérifié au moyen d’un barème de points dont le contenu est fixé par décret et codifié aux article D331-19 et suivants du Code du Cinéma et de l’image animée.

II. Evolution du barème quantifiant la contribution au développement de la création française et européenne.

Le décret no 2022-1392 du 19 octobre 2022 a pour objet d’en moderniser les critères pour les adapter aux caractéristiques actuelles de la production de jeux vidéo, et pour en simplifier l’application.

Afin d’évaluer la « contribution au développement de la création française et européenne », le CNC applique toujours un barème subdivisé en groupe :
- groupe « Auteurs et collaborateurs de création »,
- groupe « Contribution au développement de la création »,
- groupe « Contextualisation de la violence » pour les jeux vidéo spécifiquement destinés à un public d’adultes et qui sont commercialisés comme tels.

Sont considérés comme répondant aux conditions de création les jeux vidéo ayant obtenu cumulativement :
- au moins 11 points au titre du groupe « Auteurs et collaborateurs de création »,
- au moins 12 points (au lieu de 14 avant le 2 novembre 2022) au titre du groupe « Contribution au développement de la création »,
- et pour les jeux vidéo spécifiquement destinés à un public d’adultes : 3 points au plus pour chacune de leurs séquences au titre du groupe « Contextualisation de la violence ».

Chaque groupe dispose d’une grille de critères.

Pour le groupe « Auteurs et collaborateurs de création », la grille est prévue à l’article D331-23 du Code du Cinéma et de l’image animée, et l’attribution des points implique que les auteurs et collaborateurs de création sont de nationalité française ou ressortissants d’un Etat membre de l’Union européenne ou d’un autre Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen, et disposent de contrats désignant la loi française comme loi applicable.

9 points sur 20 sont attribués à la condition qu’au moins deux tiers des dépenses salariales correspondantes soient réalisés en France ou sur le territoire de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen.

Pour le groupe « Contribution au développement de la création », le CNC appliquait une grille de critères de sélection selon les catégories suivantes :
- création d’origine patrimoniale,
- originalité de la création,
- contenus culturels,
- localisation des dépenses et nationalité des auteurs et collaborateurs de création,
- innovations technologiques et éditoriales.

Les principales modifications de la grille sont les suivantes :

- création d’origine patrimoniale : le jeu peut s’inspirer de contenus patrimoniaux et artistiques élargis par rapport au précédent barème, sans qu’un type de contenu soit considéré comme plus important qu’un autre.

- la catégorie « Contenus culturels » est redéfinie :
- les critères suivants ont été supprimés :
- dépenses artistiques supérieures à 50% du coût de développement ;
- bible du jeu vidéo écrite en français ;
- problématiques politiques, sociales ou culturelles européennes ou valeurs spécifiques aux sociétés européennes.

- les critères suivants ont été ajoutés :
- création visuelle : le jeu vidéo repose sur un univers visuel créé spécifiquement ;
- création musicale originale : Une ou plusieurs musiques ont été créées spécifiquement pour le jeu vidéo et le coût de cette création représente au moins 20% du budget musical global ou un minimum de 50 000 euros.

De plus les Innovations technologiques et éditoriales sont bonifiées puisqu’il est maintenant possible d’obtenir 4 points au lieu de 3, si au moins quatre innovations technologiques sont développées dans le futur jeu.

Ainsi, ces nouveaux critères permettent notamment de valoriser l’émergence de nouvelles technologies dans l’univers des jeux vidéo, notamment par le biais de la technologie blockchain. En effet dans son programme présidentiel présenté en 2022, Emmanuel Macron avait annoncé son intention d’aider à l’émergence des « metavers » [1].

Seules les entreprises ayant obtenu un agrément provisoire du CNC [2], puis un agrément définitif dans les 36 mois de la délivrance de cet agrément provisoire, ont la possibilité de bénéficier de ce crédit d’impôt (72 mois si le coût de développement est supérieur à 10 millions d’euros).

III. Un dispositif qui peut être cumulé avec d’autres dispositifs fiscaux.

Le Gouvernement souhaite donner aux entreprises une

« prévisibilité fiscale pour favoriser la localisation des productions en France et soutenir le développement des jeux les plus ambitieux qui nécessitent un temps long » [3].

Le dispositif, initialement en vigueur jusqu’au 31 décembre 2022, est ainsi prorogé jusqu’au 31 décembre 2028.

Par ailleurs, il est toujours bon de rappeler que ce dispositif n’est pas exclusif du bénéfice d’autres avantages tels que :
- le crédit d’impôt recherche, calculé en fonction des dépenses de R&D déclarées par les entreprises, le crédit d’impôt recherche s’élève à 30% de ces dépenses dans une première tranche jusqu’à 100 millions d’Euros, puis 5% au-delà ;
- le crédit d’impôt innovation, calculé sur les dépenses (de personnel, d’achat d’immobilisations, de prise de brevets ou dépôt de dessin) engagées par les PME en vue de la « conception de prototypes ou installations pilotes de nouveaux produits » et dont le taux est de 20% des dépenses engagées dans la limite de 400.000 Euros ;
- le dispositif « jeunes entreprises innovantes », permettant bénéficier d’exonérations sur les charges fiscales et les charges sociales.

Enfin. des aides directes existes comme le fonds d’aide au jeu vidéo (FAJV) permet ainsi de bénéficier de subventions complémentaires lors de la phase de réalisation (écriture, préproduction et production, avec trois dossiers distincts à déposer en fonction de l’étape du jeu) ou l’accélérateur « jeux vidéo » [4] financé conjointement par le CNC et BPI France, et qui aide les entreprises du secteur à atteindre leur taille critique pour poursuivre leur dynamique de croissance.

Olivier Martin, Avocat Associé Barreau de Toulouse Sarl Halt Avocats https://www.halt-avocats.fr [->martin@halt-avocats.fr]

[1Un « métavers » est un environnement reposant sur la réalité virtuelle ainsi que sur une numérisation des échanges, notamment sociaux, permettant de créer une immersion de l’utilisateur ; l’existence des métavers n’est pas nouvelle, mais la technologie blockchain qui permet une décentralisation aboutie des échanges pair à pair, vient apporter une infrastructure intéressante au métavers.

[2Centre national du cinéma et de l’image animée.

[3Bruno Le Maire, Ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, 1er novembre 2022.