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Ordre juridictionnel et actes des fédérations sportives : un véritable sport ! Par Anne-Margaux Halpern, Avocat.
Parution : mercredi 22 mars 2023
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Conformément à une jurisprudence classique (CE, 8 avril 2013, req. n°351735), le juge administratif est compétent pour connaître des actes pris par des fédérations sportives agréées - organismes de droit privé chargé de missions de service public - dès lors que ces actes procèdent de l’exercice des prérogatives de puissance qui leur ont été conférés pour l’accomplissement de telles missions.

Jusqu’à l’arrêt du 15 mars 2023 (req. n°466632), le Conseil d’Etat se reconnaissait incompétent pour connaître des dispositions statutaires d’une fédération au motif qu’elles portaient sur le fonctionnement interne de la fédération. Avec l’arrêt du 15 mars 2023, le Conseil d’Etat se reconnaît compétent pour connaître de ces dispositions sous réserve qu’elles « manifestent l’usage de prérogatives de puissance publique dans l’exercice de sa mission de service public ».

En l’espèce, la Fédération française de billard a approuvé une modification de ses statuts. La Ligue de billard d’Ile-de France, la Ligue de billard du Centre-Val de Loire et la Ligue de billard Grand Est ont saisi le Conseil d’Etat d’une demande d’annulation de la modification portant sur les articles 1.2.1, 1.3, 2.3.3, 2.3.5, 2.4. et 3.1 des statuts. L’article 1.2.1 fixait les règles relatives aux associations et autres personnes composant la fédération, l’article 1.3 permettait à la fédération de créer des organes déconcentrés au niveau régional et territorial et déterminant les devoirs de ces organes et le contrôle exercé par la fédération sur leur gestion et leur fonctionnement. L’article 2.3.3 était relatif aux incompatibilités avec le mandat de président de la fédération, l’article 2.3.5 portait sur les conditions d’élection du bureau fédéral de la fédération, l’article 2.4.1 portait sur les commissions obligatoires de la fédération et l’article 3.1 était relatif aux rétributions perçues par la fédération pour services rendus.

Il appartenait au Conseil d’Etat, compétent en premier et dernier ressort pour connaître des « actes à caractère réglementaire » pris par une « autorité à compétence nationale » [1], de se prononcer sur la compétence du juge administratif pour apprécier ces dispositions statutaires.

Dans un premier temps, la Haute Juridiction s’intéresse à la nature même de la Fédération.

En effet, il rappelle qu’aux termes des articles L131-1 et L131-2 du Code du sport, les fédérations sportives ont pour objet l’organisation de la pratique d’une ou de plusieurs disciplines et sont constituées sous forme d’associations. L’article L131-8 du même code dispose que :

« I. - Un agrément peut être délivré par le ministre chargé des sports, dans des conditions définies par décret en Conseil d’Etat, pour une durée de huit ans renouvelable, aux fédérations qui, en vue de participer à l’exécution d’une mission de service public, ont adopté des statuts comportant certaines dispositions obligatoires et un règlement disciplinaire conforme à un règlement-type et ont souscrit le contrat d’engagement républicain mentionné à l’article 10-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations (...) ».

Aux termes de l’article L131-14 du même code : « Dans chaque discipline sportive et pour une durée déterminée, une seule fédération agréée reçoit délégation du ministre chargé des sports ». Aux termes de l’article L131-15 du même code : « Les fédérations délégataires : 1° Organisent les compétitions sportives à l’issue desquelles sont délivrés les titres internationaux, nationaux, régionaux ou départementaux ; 2° Procèdent aux sélections correspondantes ; 3° Proposent l’inscription sur les listes de sportifs, d’entraîneurs, d’arbitres et juges de haut niveau sur la liste des sportifs Espoirs et la liste des partenaires ». Aux termes de l’article L131-16 du même code : « Les fédérations délégataires édictent : 1° Les règles techniques propres à leur discipline ; 2° Les règlements relatifs à l’organisation de toute manifestation ouverte à leurs licenciés (...) ».

Pour rappel, dans l’arrêt Fifas (CE, 22 novembre 1974, Fédération des industries françaises des articles de sport, req. n°89828), il avait été jugé qu’en confiant aux fédérations sportives la mission d’organiser les compétitions nationales et régionales, le législateur avait confié aux fédérations l’exécution d’un service public administratif.

Se posait ensuite la question de savoir si la Fédération française de billard était agréée ou non. En effet, conformément à une jurisprudence constante, il y a lieu de distinguer deux catégories de fédérations en fonction des attributions qui leur ont été dévolues pour organiser les compétitions sportives :

- les fédérations bénéficiaires d’un agrément ministériel les investissant d’une mission de service public (CE, 20 janvier 1989, Fédération française de karaté-taekwondo et arts martiaux affinitaires et Fédération française de judo et jiu-jitsu kendo, disciplines associées, req. n°73962). A ce titre, elles peuvent délivrer des licences et titres fédéraux

- les fédérations simplement agréées, n’ayant pas reçu de délégation du ministre. Ces fédérations ne sont pas investies de prérogatives de puissance publique et dès lors leurs décisions échappent à la compétence du juge administratif [2].

En l’espèce, le Conseil d’Etat rappelle que la Fédération française de billard a reçu délégation du ministre chargé des sports et est investie, à ce titre d’une mission de service public.

Dans un second temps, il s’intéresse aux actes pris par la Fédération.

La Haute Juridiction applique sa jurisprudence en matière d’actes relatifs à l’exercice de prérogatives de puissance publique pour l’exercice d’une mission de service public [3], rendue à propos des fédérations de crédit mutuel :

« En attribuant à la CNCM la mission de veiller au bon fonctionnement du Crédit mutuel et en la dotant des pouvoirs les plus étendus d’organisation et de gestion sur les caisses qu’elle représente, le législateur a confié à cette confédération, bien que celle-ci soit une association de droit privé régie par la loi du 1er juillet 1901, l’exécution, sous le contrôle de l’administration, d’un service public impliquant l’usage de prérogatives de puissance publique. Par suite, la juridiction administrative est compétente pour apprécier la légalité des clauses statutaires de la confédération nationale qui révèlent l’exercice de telles prérogatives ».

Il en conclut, s’agissant des fédérations sportives, que si par principe, « les décisions prises par les fédérations sportives, personnes morales de droit privé, sont, en principe, des actes de droit privé. Toutefois, en confiant, à titre exclusif, aux fédérations sportives ayant reçu délégation, les missions prévues aux articles L131-15 et L131-16 du Code des sports, le législateur a chargé ces fédérations de l’exécution d’une mission de service public à caractère administratif. Les décisions procédant de l’usage par ces fédérations des prérogatives de puissance publique qui leur ont été conférées pour l’accomplissement de cette mission présentent le caractère d’actes administratifs ».

En cela, le Conseil d’Etat n’innove pas.

En revanche, en précisant qu’ « il en va ainsi alors même que ces décisions seraient édictées par leurs statuts », le Conseil d’Etat s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence sur les fédérations des caisses de crédit mutuel et procède à une analyse précise des dispositions attaquées. Dans l’arrêt de 2018, le Conseil d’Etat avait relevé que

« la négociation et la conclusion par la CNCM, en tant qu’organisation professionnelle représentative des employeurs du Crédit mutuel, des conventions et accords de branche applicables à l’ensemble des caisses et fédérations du réseau ne relèvent pas des prérogatives de puissance publique conférées par le législateur à la CNCM pour l’exercice de sa mission de service public. Par suite, les conclusions de la requête contestant la légalité des dispositions du onzième alinéa de l’article 7 des statuts prévoyant que la CNCM est compétente pour négocier et conclure des conventions et accords de branche applicables à l’ensemble des caisses et des fédérations du Crédit mutuel doivent être rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître ».

Il prend ainsi le contre-pied de la jurisprudence Jujitsu par laquelle il avait renvoyé au juge judiciaire la compétence pour connaître des recours formés contre certaines dispositions statutaires et des articles du règlement intérieur d’une fédération [4] : le litige tendant à l’abrogation de l’article 4 des statuts ainsi que des articles 17 et 18 du règlement intérieur, qui imposent à tout adhérent d’un club affilié à cette fédération d’être titulaire d’une licence délivrée par celle-ci

« porte, d’une part, sur les statuts d’une fédération sportive qui sont des actes de droit privé et, d’autre part, sur des dispositions du règlement intérieur de cette fédération qui se bornent à reprendre lesdites clauses statutaires ; qu’eu égard à sa nature, un tel litige ressortit à la compétence de l’autorité judiciaire ; que, par suite, les conclusions du syndicat requérant doivent être rejetées comme présentées devant une juridiction incompétente pour en connaître ; modificatifs des statuts d’une fédération ».

Après avoir posé le principe selon lequel la juridiction administrative est compétente pour connaître des règles édictées par les statuts de la Fédération française de billard ayant reçu délégation du ministre chargé des sports « si elles manifestent l’usage de prérogatives de puissance publique dans l’exercice de sa mission de service public », il analyse les dispositions attaquées.

Constatant que ces dispositions ont trait à l’organisation et au fonctionnement interne de la fédération et ne manifestent pas l’usage par celle-ci de prérogatives de puissance publique dans l’exercice de sa mission de service public, il en conclut que seul le juge judiciaire est compétent pour connaître du litige.

Il rejette la requête.

Ce revirement jurisprudentiel devrait conduire à apprécier, au sein des statuts d’une fédération agréée, si une disposition manifeste l’usage de prérogatives de puissance ou si elle constitue une stricte disposition relative au fonctionnement interne d’une association. En pratique, cette distinction pourrait s’avérer complexe…

Anne-Margaux Halpern Avocat - Droit public des affaires

[1Article R311-1 du Code de justice administrative.

[2CE, 19 décembre 1988, req. n°79962.

[3CE, 9 mars 2018, req. n°399413.

[4CE, du 12 décembre 2003, 219113.