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Saisies pénales et confiscations : la protection du patrimoine du tiers de mauvaise foi. Par Matthieu Hy, Avocat.
Parution : jeudi 23 mars 2023
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Contrairement à une idée reçue accréditée par quelques arrêts maladroits, le patrimoine du tiers de mauvaise foi est protégé. Ce dernier n’est pas un propriétaire qui mérite de subir la confiscation prononcée mais plutôt celui dont le juge pénal doit vérifier que la confiscation ne l’affecte pas, sans que cette protection excède celle prévue par les règles de droit civil.

La mauvaise foi comme corolaire de la libre disposition.

Jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi du 22 décembre 2021 [1], la notion de bonne foi était toujours attachée à celle de libre disposition de l’article 131-21 du Code pénal.

En effet, qu’il s’agisse de la confiscation de l’instrument de l’infraction [2], celle reposant sur la présomption d’illicéité [3], la confiscation de patrimoine [4] ou de la confiscation en valeur [5], peuvent être confisqués les biens qui sont la propriété du condamné « ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition ».

Ainsi, dans ces hypothèses, lorsque le condamné n’est pas propriétaire du bien, sa confiscation est subordonnée à deux conditions cumulatives [6]. D’une part, le condamné doit en avoir la libre disposition, ce qui signifie que tout en « n’apparaissant pas comme étant juridiquement propriétaire des biens », il en est « le propriétaire économique réel » [7].

Ce mécanisme fournit une première illustration de la protection accordée au patrimoine du tiers. En effet, la condition de libre disposition consiste donc à vérifier que la personne dont le patrimoine sera affecté est le condamné et non un tiers, bien que les apparences laissent supposer le contraire.

De la même manière que, lors de la caractérisation d’une infraction, l’élément matériel a pour corolaire l’élément moral, la mauvaise foi constitue le corolaire de la libre disposition. Est de mauvaise foi celui qui a conscience de n’être qu’un propriétaire de paille, ce que le droit de l’Union européenne illustre en évoquant les cas où les

« tiers savaient ou auraient dû savoir que la finalité du transfert ou de l’acquisition étaient d’éviter la confiscation, sur la base d’éléments ou de circonstances concrets, notamment le fait que le transfert ou l’acquisition a été effectué gratuitement ou en échange d’un montant sensiblement inférieure à la valeur marchande » [8].

La chambre criminelle de la Cour de cassation a exposé que « n’ayant pas fait l’objet de poursuites pénales, [le tiers de mauvaise foi] ne peut être assimilé à un prévenu » [9]. Bien qu’elle l’ait fait pour le priver de droit plutôt que pour assurer sa pleine protection, il n’en reste pas moins que ce constat rappelle que le tiers de mauvaise foi n’est pas celui qui mérite qu’une confiscation s’abatte sur lui en rétribution de son absence de bonne foi, mais plutôt celui dont le juge vérifie qu’il ne sera pas affecté par la confiscation. En précisant que le tiers de mauvaise foi pouvait bénéficier du contrôle de proportionnalité, la chambre criminelle de la Cour de cassation a pu semer la confusion [10].

Le particularisme de la mauvaise foi du propriétaire de l’objet ou du produit de l’infraction.

Alors que la réserve des droits du tiers de bonne foi n’est pas mentionnée à l’alinéa 3 de l’article 131-21 du Code pénal, lequel prévoit la confiscation de l’objet ou du produit de l’infraction, la jurisprudence a estimé que les biens qui revêtent une telle qualification doivent être restitués au propriétaire de bonne foi dont le titre de propriété ou de détention est régulier [11].

La chambre criminelle l’a affirmé de manière notable dans un arrêt du 7 novembre 2018 [12].

Il s’en déduit naturellement que le bien, objet ou produit de l’infraction, qui est la propriété d’un tiers de mauvaise foi peut être confisqué.

Pour ce type de confiscation, la mauvaise foi réside, selon la jurisprudence [13], dans la connaissance de l’origine frauduleuse de l’objet ou du produit de l’infraction démontrée par la connaissance par le tiers des activités délictueuses du condamné. Cette définition rejoint notamment celle de l’article 222-49 du Code pénal qui prévoit, en matière de trafic de stupéfiants, la confiscation des instruments et de tout produit de l’infraction « à quelque personne qu’ils appartiennent (…) dès lors que leur propriétaire ne pouvait en ignorer l’origine ou l’utilisation frauduleuse » [14].

Cette définition de la mauvaise foi, très différente de celle applicable aux types de confiscation imposant la condition de libre disposition, a malencontreusement pu contaminer toute la notion. Ainsi, dans un arrêt du 3 février 2016, la chambre criminelle affirme qu’en caractérisant la connaissance par la mère du mis en cause des activités délictuelles de son fils et la libre disposition du bien par ce dernier, la chambre de l’instruction avait démontré son caractère confiscable au regard de l’article 131-21, alinéa 2 du Code pénal [15]. Cette solution est maladroite dans la mesure où la disposition appropriée était plutôt l’article 222-49 du Code pénal s’agissant d’un trafic de stupéfiants, la libre disposition étant par ailleurs mal démontrée par la chambre de l’instruction.

Cette définition singulière de la bonne foi mérite d’être cantonnée à la confiscation de l’objet ou du produit de l’infraction.

Conclusion.

Faire cohabiter deux définitions de la bonne foi, qui ont pour point commun d’aboutir au constat que le titre du tiers propriétaire est régulier, conduit à ne pas faire du tiers de mauvaise foi un simili condamné mais à assurer une protection efficace de son patrimoine légitimement acquis.

La définition applicable aux alinéas 2, 5, 6 et 9 de l’article 131-21 du Code pénal, propre à la matière pénale, consiste donc à ne pas avoir eu la conscience ou la volonté de s’interposer entre le condamné et son patrimoine et de jouer le rôle du propriétaire de paille.

La définition applicable à l’alinéa 3 de la même disposition, inspirée du droit civil, consiste à avoir ignoré la réalité de la situation du bien, à savoir qu’il constituait le produit ou l’objet d’une infraction.

Matthieu Hy Avocat au Barreau de Paris www.matthieuhy.com [contact@matthieuhy.com]

[1Loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.

[2C.pén., art.131-21, al.2.

[3C.pén. art.131-21, al.5

[4C.pén., art.131-21, al.6.

[5C.pén., art.131-21, al.9.

[6Pour une illustration de ce que l’absence de bonne foi ne suffit pas pour l’application de l’article 131-21, alinéa 5, du Code pénal : Crim., 24 juin 2020, n°19-84.477 ; pour des arrêts illustrant le caractère cumulatif : Crim., 6 janvier 2021, n°20-81.667 ; Crim., 18 décembre 2019, n°17-85.083.

[7Circ. 16 juill. 2012 relative à la présentation des dispositions relatives à l’exécution des peines de confiscation de L. n° 2012-409 du 27 mars 2012 de programmation relative à l’exécution des peines JUSDD1229412C.

[8Directive2014/42/UE du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 concernant le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime dans l’Union européenne, art.6.

[9Crim., 17 novembre 2021, n°21-82.838.

[10Crim., 25 novembre 2020, n°19-86.979.

[11En ce sens : Crim., 13 avril 1999, n°97-85.443 ; Crim., 7 mai 2003, n°02-80.348 ; Crim., 3 novembre 2011, n°10-87.630.

[12Crim., 7 novembre 2018, n°17-87.424.

[13Par exemple, Crim., 9 décembre 2014, n°13-85.150.

[14Pour une illustration : Crim., 5 décembre 2012, n°11-89.225.

[15Crim., 3 février 2016, n°14-87.754.