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Déménagement et respect du droit de visite et d’hébergement. Par Barbara Régent, Avocate.
Parution : vendredi 24 mars 2023
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Environ 10% de la population française déménage chaque année. Lorsque les parents sont séparés, se pose immanquablement la question de la résidence de l’enfant. Lorsque le parent qui déménage avait la résidence habituelle de l’enfant, ce dernier peut voir, dans certaines situations, sa résidence transférée chez le parent qui ne part pas.

En mai 2016, Guillaume Kessler et Catherine Lafon ont publié, dans la revue « Droit de la famille » (Lexis-Nexis) une étude intitulée « Les conséquences du déménagement de l’un des parents sur la détermination de la résidence habituelle de l’enfant ».

Cette étude très complète s’est fondée sur l’analyse de 100 décisions de cours d’appel (dont des référés) relatives au désaccord parental sur la résidence de l’enfant suite au déménagement de l’un d’eux. Représentatif d’un an de contentieux, du 2 mars 2015 au 1er mars 2016 et de 26 sièges distincts, un panorama précise :
- le parent qui a pris l’initiative du déménagement,
- la résidence de l’enfant avant et après le déménagement,
- les modalités d’exercice du droit de visite et d’hébergement,
- l’incidence du déménagement sur les frais de trajet,
- et les principaux critères motivant la décision du juge.

Les conclusions de cette étude sont intéressantes :

« Il se dégage, de l’analyse quantitative de la jurisprudence des cours d’appel, une tendance assez nette à la sanction de l’éloignement géographique : le simple fait de partir peut être assimilé à une faute sanctionnée par la perte de la résidence habituelle ».

I) Que dit le droit ?

Aux termes de l’article 373-2 du Code civil : « La séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de l’exercice de l’autorité parentale. Chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant et respecter les liens de celui-ci avec l’autre parent ».

L’article 373-2-11 du Code civil contient par ailleurs une liste des éléments que le juge aux affaires familiales prend en compte lorsqu’il se prononce sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale. Parmi les éléments énumérés figurent :

« 1°/ La pratique que les parents avaient précédemment suivie ou les accords qu’ils avaient pu antérieurement conclure ; [...]
3°/ L’aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et respecter les droits de l’autre
 ».

Le but de ces dispositions n’est pas d’empêcher un parent de déménager avec l’enfant dont il a majoritairement la charge quotidienne, mais d’éviter qu’un des parents cherche volontairement à éloigner l’enfant de l’autre parent, en particulier lorsque le déménagement tient avant à tout à des convenances ou à des considérations personnelles.

Ces dispositions du Code civil guident la Cour de cassation dans ses arrêts.

Est ainsi approuvé un arrêt qui, « ayant souverainement constaté que pour ne pas éveiller son attention, Mme C n’avait informé M. R de son départ à Perpignan que tardivement, de manière tronquée et fallacieuse et qu’elle avait ainsi obtenu par fraude la garde de l’enfant puis conservé celle-ci en mettant le juge de Perpignan devant le fait accompli », « en a déduit que par ces manœuvres dolosives, elle avait délibérément fait fi de l’intérêt de sa fille de maintenir des relations suivies avec son père et violé les droits de celui-ci, dans le seul but de privilégier sa nouvelle vie sentimentale, de sorte qu’il convenait de fixer la résidence habituelle de l’enfant chez son père à Chambéry » [1].

De même, il a pu être reproché à une cour d’appel de ne pas avoir recherché si le comportement de la mère ne traduisait pas son refus de respecter le droit des enfants à entretenir des relations régulières avec leur père [2] : « Qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher si le comportement de la mère ne traduisait pas son refus de respecter le droit des enfants à entretenir des relations régulières avec leur père, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés ».

II) Des situations variables selon le comportement et les motivations du parent qui déménage.

L’étude précitée souligne la diversité des situations auxquelles les magistrats sont confrontés dans ces dossiers fort complexes. Toutefois une distinction fondamentale ressort de la jurisprudence : le déménagement est-il choisi ou subi ?

En effet, cette étude souligne que l’éloignement géographique ne saurait ainsi être sanctionné s’il a été rendu nécessaire par une embauche, une mutation, une promotion ou même un besoin de formation spécifique. Le fait que la mère ait réussi le concours de professeur des écoles après avoir suivi un master à distance justifie ainsi sa décision de quitter la Lorraine pour s’installer en région parisienne, ce choix étant dicté par son affectation dans cette académie et constituant la continuation logique d’un projet professionnel antérieur à la séparation. De la même façon, la mère licenciée de son emploi qui a déménagé parce qu’elle y a trouvé un travail ne saurait être regardée comme ayant fait ce choix dans le but d’éloigner le père de ses enfants, de même qu’il ne saurait être attribué au père qui a déménagé en région parisienne pour des raisons analogues une quelconque volonté de nuire à la mère.

Toutefois le juge prend soin de vérifier que le nouvel emploi ou la nouvelle affectation impliquait nécessairement un éloignement géographique [3].

Avoir obtenu un emploi, un logement, et poursuivre un projet professionnel ne suffit ainsi pas à justifier le choix de la mère de s’éloigner du domicile du père, dès lors qu’elle ne démontre pas avoir été dans l’incapacité de bénéficier de conditions identiques dans une région plus proche de l’autre parent [4].

Le fait de vouloir créer une nouvelle famille, en particulier, est un motif insuffisant à lui seul [5].

L’atteinte portée aux droits de l’autre parent et le bouleversement qui en résulte pour les enfants sont trop importants [6]. L’enfant ne doit pas être soumis aux aléas des projets personnels de chacun des parents [7].

De même, le fait que la mère quitte la Savoie pour s’installer à Calais avec son nouveau compagnon, sans démontrer un impératif professionnel, justifie le transfert de la résidence habituelle de l’enfant au domicile du père, même si ce dernier ne bénéficie alors que d’un droit de visite et d’hébergement dit classique (un WE sur deux) :

« Attendu que Mme Stéphanie P. est partie s’installer à Calais alors que l’ensemble de la famille réside à Annecy, que si le choix du lieu de vie est une liberté fondamentale garantie par la constitution, il ne doit pas s’opérer en violation des droits attachés à la co-parentalité et à celui de l’intérêt supérieur de l’enfant ; Attendu que Mme. Stéphanie P. a quitté la région pour suivre son nouveau compagnon, qu’elle ne justifie nullement d’un impératif professionnel (…) ; Attendu que par ce choix imposé au père dès lors que ce dernier s’y opposait, Mme. Stéphanie P. est le moins à même de respecter les droits attachés à la co-parentalité ; (…) Qu’il convient en conséquence de confirmer, dans l’intérêt de l’enfant, l’ordonnance qui a fixé la résidence habituelle de l’enfant chez le père » [8].

Dans le même sens, la cour d’appel d’Orléans a transféré la résidence habituelle de l’enfant au domicile du père dès lors que « le projet de déménagement de la mère à Barcelone était un projet purement personnel, puisque motivé par sa volonté de rejoindre son nouveau compagnon » [9].

Pour se déterminer sur les motivations réelles du parent déménageant, les juges prennent naturellement en compte son aptitude à respecter une réelle co-parentalité : « L’attitude de Madame V. démontre qu’elle n’est pas à même de respecter les droits du père et fait fi des règles de l’exercice conjoint de l’autorité parentale. Son déménagement dans un autre département, en cours d’année scolaire, est par ailleurs préjudiciable à l’intérêt de l’enfant, eu égard à ses difficultés particulières justifiant un cadre et des repères stables. Dès lors, et nonobstant l’attachement réciproque mère/fils, il y a lieu de réformer la décision du premier juge, et de transférer la résidence de Thibault au domicile de son père » [10].

De nombreuses décisions prennent en compte l’atteinte au droit de visite et d’hébergement résultant du déménagement, même si ce droit est limité à un week-end sur deux :

« il ressort des déclarations de Mme X G à l’audience du 12 décembre 2019 que son nouvel emploi dans la Nièvre est en réalité un détachement de son emploi de Clichy la Garenne (58), détachement qu’elle a sollicité en septembre 2019 ; que la cour relève que Mme X G, a ainsi, alors qu’elle se trouvait dans l’attente d’une décision de justice sur l’appel formé par ses soins, sollicité et obtenu un nouvel emploi dans la Nièvre et ce faisant a de façon unilatérale et particulièrement brutale coupé B de son cadre de vie habituelle où il avait ses habitudes et ses repères  ; il n’est pas contesté que ce déménagement correspond à des convenances personnelles  ; que si le droit pour Mme X G d’établir son lieu de vie ne peut être remis en cause, il est indéniable que ce choix porte atteinte tant aux droits du père qu’à ceux de l’enfant  ; Considérant qu’il doit en effet être rappelé, sur ce dernier point, que le droit de l’enfant d’entretenir des liens avec ses deux parents est protégé par l’article 9 de la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989 ratifiée par la France ; Considérant que Mme X G a de sa seule initiative bouleversé l’équilibre de son fils en s’installant brutalement à Menestreau (58), contraignant au surplus ce petit garçon à des trajets générant des fatigues importantes pour un enfant de cet âge  ; Qu’il ne peut être sérieusement soutenu que l’éloignement géographique imposé au père et à l’enfant n’altérera pas les liens existants entre eux, du fait de l’impossibilité de maintenir un droit de visite et d’hébergement régulier » [11].

A fortiori, la jurisprudence est plus sévère envers le parent qui, en déménageant, met à mal le droit de visite et d’hébergement élargi reconnu à l’autre parent.

Trois arrêts illustrent cette jurisprudence :

Cour d’appel de Colmar, 5e chambre civile A, 3 Novembre 2015 - n° 15/04466 : « L’attitude de Mme W. se révèle très peu respectueuse des droits de M. B.. Après avoir imposé l’éloignement alors qu’une alternance des lieux de résidence était envisagée, elle a fait obstacle à l’élargissement du droit de visite et d’hébergement du père tel que fixé par la cour d’appel, grâce aux efforts d’adaptation et de flexibilité de ce dernier. En niant une place égale du père dans la vie de l’enfant, ce sont en fait les droits de celui-ci qui sont bafoués, dans la mesure où il doit pouvoir entretenir des relations avec ses deux parents. Le premier juge a tiré les justes conséquences de cette attitude de recherche exclusive de son propre intérêt en fixant la résidence principale de Jean-Baptiste au domicile de son père ».

Cour d’appel, Paris, Pôle 3, chambre 3, 19 Novembre 2015 - n° 15/16904 (Numéro JurisData : 2015-029856) : « Considérant que le déménagement de Mme Laurence L. au Vésinet affecte nécessairement l’exercice par M. Eric P. du droit de visite et d’hébergement élargi dont il bénéficie dès lors que la distance séparant le domicile des parents s’établit à 32,5 kilomètres après le déménagement alors que ceux-ci demeuraient dans la même commune lors du divorce ; (…) Considérant que s’il ne peut pas être reproché à Mme Laurence L. d’avoir déménagé pour se rapprocher de son lieu de travail, celle-ci doit néanmoins assumer les conséquences de ses choix de vie ; Considérant que Mme Laurence L. ne peut pas sérieusement soutenir que ce déménagement n’affecte en rien l’exercice par M. Eric P. du droit de visite et d’hébergement élargi dont il bénéficiait ».

Cour d’appel, Paris, 14 janv. 2016, n° 14/02763 : JurisData n° 2016-000317 :

« Considérant toutefois que depuis le prononcé de cette ordonnance, Mme Marine A. a pris la décision de déménager pour s’installer avec son nouveau compagnon à Lésigny, faisant ainsi obstacle aux relations que les enfants entretenaient avec leur père le mercredi après-midi d’un commun accord entre les parents ; Considérant que compte tenu de ces éléments, il apparaît conforme aux intérêts des enfants de maintenir leur lieu de vie à Brunoy où ils ont établis tous leurs repères ; Qu’il y a donc lieu de fixer la résidence des enfants au domicile du père ».

Conclusion.

On peut déduire de l’étude précitée et de la jurisprudence une tendance qui a de plus en plus vocation à se développer lorsque :
- l’âge de l’enfant est suffisant (à partir de 5-6 ans) ;
- le déménagement est davantage choisi (convenances personnelles) que subi (par exemple dans le cadre d’une mutation professionnelle quasi-imposée) ;
- l’autre parent (qui ne part pas) a des capacités et une implication éducatives non sérieusement contestables ;
alors le parent qui déménage risque fort de perdre la résidence habituelle de l’enfant.

En effet, lorsque les conditions ci-dessus sont réunies, les juges privilégieront nettement le maintien des repères de l’enfant (école, amis, cercle familial, loisirs…) plutôt que son déracinement. C’est ce qui explique que l’étude relève une tendance assez nette à la « sanction de l’éloignement géographique ».

La jurisprudence est encore plus nette lorsque le déménagement fait obstacle à l’exercice régulier d’un droit élargi de visite et d’hébergement de l’autre parent (par exemple en milieu de semaine).

Il semble donc nécessaire de conseiller au parent qui envisage de déménager de bien mesurer les conséquences de cette décision. Elle va, bien souvent, impacter le développement de l’enfant, son équilibre affectif, son bien-être, sa scolarité, ses capacités d’attachement… par la distension du lien avec l’un des parents que l’éloignement provoque indubitablement.

En effet, les études démontrent que l’enfant a besoin, pour se construire, d’un contact régulier avec ses deux parents (sauf cas particuliers de violence, de toxicité, de troubles psychiatriques… qui ne sont pas traités dans cet article). Il est essentiel, en outre, de lui éviter de longs et fatigants déplacements entre les domiciles de ses deux figures d’attachement.

Voici peut être quelques exemples de questions à se poser avant de décider d’un déménagement à un âge où l’enfant a besoin de contacts très réguliers avec ses deux parents :
- Le déménagement envisagé est-il vraiment impératif ?
- Puis-je le retarder ?
- Existe-t-il une autre solution dans l’attente que l’enfant grandisse ?
- Quel sera l’impact sur mon enfant au regard de sa personnalité, de son âge, de ses besoins exprimés ou non ?
- Cet éloignement va-t-il le faire souffrir ?

L’amour des deux parents pour l’enfant est un socle qui lui permet de grandir et de construire sa personnalité affective. La proximité des rencontres entretient la réciprocité de l’affection. Dans la mesure du possible, et c’est ce que fera le juge, il faut essayer d’examiner prioritairement quel est l’intérêt de l’enfant d’avoir des liens les plus réguliers possibles avec ses deux parents.

On peut aussi se rappeler que lorsque l’on a conçu ce projet d’enfant avec son ex-partenaire, on s’était mis d’accord sur un endroit où l’élever, un secteur géographique où des repères rassurants ont été bâtis. La séparation est un bouleversement pour les enfants qu’ils ont parfois du mal à accepter. Y ajouter un éloignement géographique peut accentuer un traumatisme. La vigilance s’impose.

Enfin, il est toujours possible de solliciter l’aide d’avocats formés aux modes amiables pour apaiser les désaccords familiaux et éviter l’escalade d’un conflit. Ils sont très créatifs et peuvent trouver des solutions « sur mesure » auxquelles les parents n’auraient pas pensé tout en leur permettant de maintenir ou de restaurer un dialogue parental indispensable.

Il est important de préserver l’enfant des litiges parentaux.

Barbara Régent, Avocate au Barreau de Paris, co-fondatrice de l'association "Avocats de la Paix" https://www.regentavocat.fr/

[11re Civ., 28 novembre 2007, no 06-21.748.

[21re Civ., 4 juillet 2006, no 05-17.883.

[3CA Limoges, 25 févr. 2016, n° 15/00380 : JurisData n° 2016-003735 : « si la mère a effectivement trouvé un emploi après avoir suivi son nouveau compagnon, celle-ci ne démontre pas avoir cherché un emploi à proximité de l’ancien domicile familial ».

[4V. CA Paris, 24 sept. 2015, n° 15/05418 : JurisData n° 2015-021223 : la mère qui s’est installée dans la région toulousaine n’établit pas qu’elle n’aurait pas été en mesure d’entreprendre sa reconversion professionnelle dans la région parisienne.

[5CA Versailles, 17 déc. 2015, n° 14/08643 : JurisData n° 2015-029024.

[6CA Caen, 30 avr. 2015, n° 14/02153 : JurisData n° 2015-009704.

[7CA Nancy, 2 nov. 2015, n° 14/02477 et n° 15/02202 : JurisData n° 2015-029862.

[8CA Chambéry, 9 nov. 2015, n° 15/01737 : JurisData n° 2015-029859.

[9CA Orléans, 7 déc. 2015, n° 14/02838, n° 534 : Juris-Data n° 2015-029641.

[10Cour d’appel, Bordeaux, 6e chambre civile, 3 Décembre 2015 - n° 14/01262.

[11CA Versailles, 19 déc. 2019, n° 19/05351.