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La proposition de loi sur les influenceurs. Par Simon Takoudju, Avocat et Célia Doerr, Juriste.
Parution : lundi 27 mars 2023
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Le 1er février 2023, un texte a été déposé par Arthur Delaporte et Stéphane Vojetta "visant à lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux".
Cette proposition de loi fera l’objet d’un vote le 28 mars 2023.

L’émergence croissante des influenceurs sur les réseaux sociaux semble soulever de nombreuses questions.

Un rapport de l’Assemblée Nationale dénombre plus de 150 000 influenceurs sur les réseaux sociaux français.

Les influenceurs sont des personnes qui, publient à travers les réseaux sociaux, des contenus afin de promouvoir des produits ou des services en collaboration avec les marques en question.

Ils tirent des revenus de ces contrats passés avec les marques et reçoivent en sus des produits en nature.

Les questions soulevées par cette émergence des influenceurs sur les réseaux sociaux sont d’autant plus importantes qu’elles touchent en majorité un jeune public (voire un public mineur).

I. Les influenceurs et le droit pénal.

De plus en plus d’influenceurs font l’objet de plaintes notamment via des associations telles que l’Aide aux Victimes d’Influenceurs (AVI) :
- En 2021, la Cour d’Appel de Paris, a condamné l’influenceur Cyprien et sa société ADCI pour avoir dénigré Madame Sandra Szaja et son magazine. L’infleunceur avait en effet twitté « C’est quoi cette merde  ? Il faut vite le jeter dans le feu ».
- Paul Anthony (PA7) a également été condamné pour escroquerie, il incitait en effet des abonnés à créer de fausses entreprises pour toucher des aides de l’État.
- D’autres plaintes visaient des influenceurs pour escroquerie et abus de confiance.

Le rapport de la commission sur la proposition de loi avertit sur le fait que « Les escroqueries sont de toute nature ».

Elles peuvent consister en :
- La promotion de produits qui présentent des risques pour les consommateurs par le biais de publicités trompeuses ;
- La vente de faux voyages, de formations hasardeuses ;
- La promotion de traitements miracles ou de lutte contre le cancer, etc.

Pour mémoire, l’article 313-1 du Code pénal dispose que :

« L’escroquerie est le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manoeuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge.
L’escroquerie est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende
 ».

La proposition de loi présentée par Arthur Delaporte et Stéphane Vojetta, a donc pour objet de mieux informer les influenceurs, leurs agents, mais également les consommateurs sur le cadre juridique qui les entoure, en précisant leurs droits et leurs devoirs.

Si les influenceurs sont en principe soumis au droit pénal, réguler l’influence et lui offrir un cadre juridique est « un enjeu social et démocratique majeur », selon Monsieur Arthur Delaporte, qui permettra d’informer le public et ainsi d’éviter les dérives possibles.

II. Les changements apportés par la proposition de loi.

A. Sur la création d’une définition du terme « influenceur » en droit.

En l’état actuel, aucune définition de la notion d’« influenceur » n’est donnée dans le droit.

Jusqu’à présent, seule l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) définit l’influenceur comme « un individu exprimant un point de vue ou donnant des conseils, dans un domaine spécifique et selon un style ou un traitement qui lui sont propres et que son audience identifie ».

La jurisprudence est également très récemment venue préciser ce terme d’influenceur. En effet, la Cour d’Appel de Paris dans un arrêt du 10 Février 2021 (n°19/17548) définit l’influenceur comme « une personne active sur les réseaux sociaux, qui par son statut, sa position ou son exposition médiatique est capable d’être un relais d’opinion influençant les habitudes de consommation dans un but marketing ».

Cette absence de définition juridique du terme influenceur a pour conséquence un cadre juridique incomplet.

En effet, les dispositions sont éparses (Code de la consommation, Code de la santé publique, Code du commerce, etc.), et créent un vide juridique.

Les liens entre les influenceurs et les marques peuvent prendre diverses formes :
- Un cadre purement éditorial : l’influenceur intervient de façon spontanée sur les produits qu’il apprécie, ses coups de cœur.
- La collaboration : la marque confie à l’influenceur la mission de créer du contenu en tant que prestataire de services indépendant (contrat d’entreprise).
- La mise en scène : certains influenceurs se mettent en scène et revendiquent le statut d’artiste-interprète.

Il est donc nécessaire de donner une définition précise de l’influenceur et de l’agent d’influenceur afin de leur appliquer des régimes juridiques qui leur seront propres.

Par conséquent, une définition juridique de l’influenceur est proposée par la création d’un nouvel article L122-26 du Code de la consommation, comme :

« Toute personne physique ou morale qui fait la promotion directement ou indirectement de produits, actes ou prestations contre rémunération, y compris lorsque celle-ci est constituée par des avantages en nature, de manière active sur les réseaux sociaux et qui, par son statut, sa position ou son exposition médiatique dispose d’une audience pouvant influencer la consommation du public exerce l’activité d’influenceur ».

B. Sur l’interdiction de promouvoir certains produits sous peine de sanctions pénales.

Le texte prévoit dans un article L122-27 du Code de la consommation, d’interdire totalement la promotion de produits de type pharmaceutiques, médicaux et des actes de chirurgie mais également l’interdiction des placements ou investissements financiers numériques, les jeux d’argent, etc.

Selon la proposition de loi en date du 1er Février 2023, « Le non-respect de ces dispositions est sanctionné par une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende ». Telles sont les sanctions pénales en cas d’escroquerie ou d’abus de confiance.

À ce propos, le ministre de l’Economie, Monsieur Bruno Le Maire a annoncé ce vendredi 24 Mars qu’il souhaite interdire toute publicité pour la chirurgie esthétique sur les réseaux sociaux.

Cette mesure sera également étudiée à l’Assemblée nationale le 28 Mars 2023.

Concernant la pratique du dropshipping, un article L 122-28 pourrait encadrer cette pratique en obligeant les influenceurs à s’assurer « de l’absence de fictivité du produit ainsi que du respect par le vendeur initial des conditions générales de vente ».

Le dropshipping consiste pour l’acheteur à passer commande au vendeur, qui lui ne s’occupe que de la commercialisation et de la vente du produit. La livraison de ce dernier sera effectuée par le fournisseur directement à l’acheteur.

Cette pratique est légale mais peut avoir pour conséquence, la vente de produits contrefaits, d’une qualité moindre, jusqu’à l’absence même de livraison du produit.

C. Sur la nécessité de rédiger un contrat sous peine de sanctions pénales.

La proposition de loi en date du 15 Novembre 2022, proposait, outre la définition du terme d’influenceur, de poser le principe d’un mandat écrit entre l’influenceur et son agent qui comprendrait des mentions obligatoires.

Des sanctions pénales seraient applicables en cas de non-respect de ces formalités, et seraient insérées dans le Code du travail [1] :

« Art. L. 7125 8. – Le fait, pour toute personne ayant une activité d’agent d’influenceurs, de ne pas avoir conclu par écrit un contrat avec chaque influenceur qu’elle représente, en méconnaissance des dispositions de l’article L. 7125 6, est puni d’un emprisonnement de six mois et d’une amende de 75 000 euros.

Est puni des mêmes peines le fait, pour toute personne ayant une activité d’agent d’influenceurs, d’avoir établi un contrat ne comportant pas les mentions obligatoires prévues au II de l’article L7125 6 ».

La volonté de mettre en place des sanctions pénales a été reprise dans la proposition de loi plus récente du 1er Février 2023.

Ainsi, la proposition de loi propose la mise en place d’un véritable encadrement des pratiques utilisées par les influenceurs, telles que le dropshipping ou encore l’interdiction de promouvoir certains produits, qui peuvent faire l’objet d’escroqueries.

Il convient de préciser que ce n’est qu’une proposition de loi qui devra être débattue puis votée le 28 mars 2023.

Simon Takoudju, Avocat Barreau de Bordeaux Célia Doerr, Juriste, Canopia Avocats mail: [->st@canopia-avocats.com] site web : https://www.stakoudju-avocat.fr

[1Proposition de loi du 15 Novembre 2022.