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Déchéance du terme et clauses abusives : nouvelles illustrations après la réponse de la CJUE. Par Clotilde Le Floc’h, Avocat.
Parution : mardi 4 avril 2023
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Un contentieux récurrent opposant les emprunteurs et consommateurs aux établissements bancaires s’est noué autour de l’existence de clauses abusives dans les contrats signés. La Cour de Cassation est régulièrement saisie de la question, tout comme la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE). Elles s’appliquent l’une et l’autre à démêler les situations concrètes qui leur sont présentées, afin de faire évoluer les pratiques bancaires.

Le 22 mars 2023, la Cour de Cassation a confirmé la tendance des juridictions françaises et européennes à sanctionner les banques pour leurs pratiques abusives dans la rédaction et l’application des clauses de déchéance du terme insérées dans leurs contrats de prêt.

Dans un premier arrêt, elle a sanctionné la cour d’appel de ne pas avoir

« examiné d’office le caractère abusif d’une telle clause autorisant la banque a exiger immédiatement la totalité des sommes dues au titre du prêt en cas de défaut de paiement d’une échéance à sa date, sans mise en demeure ou sommation préalable ni préavis d’une durée raisonnable » [1].

Dans le second, elle a jugé que

« la clause qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat de prêt après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d’une durée raisonnable, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au déterminent du consommateur ainsi exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement » [2].

Les deux décisions sont prononcées pour violation de l’article L132-1 du Code de la consommation (dans ses versions antérieures à 2008 d’une part, à 2016 d’autre part), devenu l’article L212-1 du même code.

Pour juger comme elle l’a fait, la première chambre civile a expressément visé deux décisions de la CJUE des 26 janvier 2017 [3] (rendue sur question préjudicielle introduite le 16 juin 2021 par la Cour de cassation).

Ces arrêts concernaient notamment la conformité des dispositions nationales à l’article 3, §1 de la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 lequel dispose :

« une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat ».

Dans sa décision Banco Primus, la CJUE a proposé plusieurs critères permettant de déterminer si une clause est ou non abusive (point 66) :

Ces critères ne sont ni cumulatifs, ni alternatifs : ils constituent un faisceau d’indices permettant aux juges du fond de déterminer si la clause dont ils ont à connaître est, ou non, abusive [4].

Au regard de ces critères, la CJUE juge :

Partant, est abusive une clause expresse et non équivoque stipulant que la déchéance du terme peut être prononcée de plein droit (sans mise en demeure préalable) en cas de retard de paiement d’une échéance dépassant le délai prévu contractuellement en ce que ladite clause

« n’a pas fait l’objet d’une négociation individuelle et crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat » [5].

Est également abusive pour la Cour de cassation, la stipulation ne prévoyant qu’un délai de régularisation de huit jours, ce délai n’étant pas une durée raisonnable offerte à l’emprunteur pour s’exécuter [6].

Par conséquent, il revient aux Banques de faire preuve d’une extrême prudence dans la rédaction des clauses de leurs contrats de prêts et dans leur mise en œuvre en prévoyant notamment l’envoi d’un courrier de mise en demeure ainsi qu’un délai raisonnable.

Ce délai devra être adapté aux circonstances du prêt et à la prescription biennale en matière de crédits immobiliers et crédits à la consommation [7].

Pour les emprunteurs, ces jurisprudences peuvent être utilement invoquées pour obtenir la nullité du prononcé de la déchéance du terme (et des actes en découlant, telle une saisie) et donc l’exécution du contrat signé par le paiement des échéances mensuelles convenues.

Clotilde Le Floc'h, Avocat Barreau des Hauts-de-Seine

[1Cass. Civ. 1re, 22 mars 2023, pourvoi n° 21-16.476.

[2Cass. Civ. 1re, 22 mars 2023, pourvoi n° 21-16.044.

[3CJUE, 26 janvier 2017, Banco Primus (C-421/14) et 8 décembre 2022 (CJUE, 8 décembre 2022, (C-600/21)

[4CJUE, 8 décembre 2022, C-600/21, point 35.

[5CJUE, 8 décembre 2022, C-600/21, point 51.

[6Pourvoi n° 21-16.044.

[7Article L218-2 du Code de la consommation.