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Le Code de la consommation au soutien de la e-réputation des professionnels. Par Laurent Feldman, Avocat.
Parution : mercredi 5 avril 2023
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Le Tribunal de commerce de Paris a rendu un jugement le 21 septembre 2022 condamnant lourdement un forum de consommateurs pour dénigrement sur le fondement de la loi sur l’économie numérique et du Code de la consommation (article L111-17 et D111-17).

Dans un article publié par Le Village de la Justice en date du 11 janvier 2022 (Le Code de la consommation au secours de l’e-réputation des professionnels), j’avais commenté une ordonnance du Tribunal de commerce de Paris du 22 décembre 2021 par laquelle était évoquée, par le tribunal, contre la plateforme Signal Arnaque qui était fondé sur les dispositions des articles L111-7-2 ainsi que D111-7 et D111-17 du Code de la consommation

Article L111-7-2 du Code de la Consommation :

« Sans préjudice des obligations d’information prévues à l’article 19 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique et aux articles L111-7 et L111-7-1 du présent code, toute personne physique ou morale dont l’activité consiste, à titre principal ou accessoire, à collecter, à modérer ou à diffuser des avis en ligne provenant de consommateurs est tenue de délivrer aux utilisateurs une information loyale, claire et transparente sur les modalités de publication et de traitement des avis mis en ligne ».

Elle affiche la date de l’avis et ses éventuelles mises à jour.

Nous avions noté avec le tribunal l’impossibilité d’identification des personnes mais aussi de ce qu’il est coutume d’appeler de l’expérience de consommation.

Article D111-17 du Code de la consommation :

« Toute personne exerçant l’activité mentionnée à l’article L111-7-2 indique de manière claire et visible :
1° A proximité des avis :
a) L’existence ou non d’une procédure de contrôle des avis ;
b) La date de publication de chaque avis, ainsi que celle de l’expérience de consommation concernée par l’avis ;
c) Les critères de classement des avis parmi lesquels figurent le classement chronologique.
2° Dans une rubrique spécifique facilement accessible :
a) L’existence ou non de contrepartie fournie en échange du dépôt d’avis ;
b) Le délai maximum de publication et de conservation d’un avis
 ».

Il s’agissait d’avis considéré comme nuisible posté sur le site Signal Arnaque et qui avait pour conséquence le dénigrement des produits ou des prestations de la société Mac assistance (CF article sur le Village de la Justice surpa).

Depuis, la jurisprudence a conforté l’importance du Code de la consommation dans un jugement du Tribunal de commerce, 8ème chambre du 21 septembre 2022 Eoservices c/ Signal arnaque [1].

Le site Signal arnaque est un habitué des condamnations pour dénigrement, les internautes mécontents utilisant le site comme un défouloir à grand renfort de mots comme « escroquerie » ou « arnaqueur ».

Dans le jugement précité, la société anglaise Eoservices qui exploite deux sites internet permettant, à travers un abonnement avec tacite reconduction d’établir des modèles de lettre ainsi que des contrats, se plaignait de commentaires dénigrants et même de topics entier la concernant sur les sites Signal arnaque et Scamdoc.

L’argumentation principale de la société Eoservice était fondée non seulement sur l’article 1240 du Code civil, qui est un article dont la responsabilité délictuelle est utilisée pour condamner les actes anti concurrentiels, mais aussi sur les dispositions des articles D111-17 ainsi que L111-7-2 du Code de la consommation.

La société anglaise demandait :

In limine litis.

La société Heretic Sas sollicitait la nullité de l’assignation sous la défense classique et déjà évoquée maintes fois qu’il s’agissait d’une action en diffamation et donc irrecevable pour n’avoir pas respecté le régime de la loi du 29 juillet 1981.

Au fond, la société Heretic, gérant les sites dont s’agit argumentait n’être pas responsable des avis déposés sur son site, les sites en question étant des forums de discussion en ligne.

Enfin, Heretic se défendait en indiquant qu’elle n’était pas plus responsable étant uniquement hébergeur desdits avis.

Elle informait le tribunal que les avis litigieux avaient déjà été retirés au jour de l’audience.

Ainsi, était posé le problème de savoir pour le tribunal si, dès lors que l’éditeur d’un site, l’hébergeur ou le diffuseur, avait connaissance par un tiers lésé du possible non-respect des dispositions des articles L111-7-2 du Code de la consommation, D111-16 et D111-17 du même code et enfin en cas de carence de l’hébergeur à agir, la responsabilité de ce dernier pouvait être engagée.

Dans son jugement du 21 septembre 2022, le Tribunal de Commerce de Paris expose que, tout d’abord, le site Signal arnaque est bien à considérer comme étant un site recueillant des avis en ligne au sens du Code de la consommation.

« Le tribunal considère (…) que les internautes qui se· manifestent sur le site arnaques.com pour se plaindre des pratiques notamment tarifaires du demandeur, déposent bien des avis en ligne au sens d’une part de la norme Afnor NF Z74 501 ; d’autre part, de l’article précité du Code de la consommation ».

Il en excipe que, le site dont s’agit a respecté les articles précités uniquement après avoir été mis en demeure de le faire par le demandeur.

Il convient de s’arrêter précisément sur le premier point qui élargit le domaine des avis au forum des consommateurs et non plus seulement au site ou aux pages recueillant uniquement des avis.

A la suite de ce préambule sur l’application du Code de la consommation aux avis, le tribunal relève un florilège d’expression dénigrante et mêmes insultantes et en déduit que ces expressions ont largement dépassé les limites de la liberté d’expression, ce qui reste le mètre étalon du dénigrement.

Concernant le site signal.arnaques.com, le tribunal a recherché les messages véritablement dénigrants postés par les internautes ; il a relevé :

« ils apparaissent masqués… c’est un vrai scandale » ; « c’est une arnaque » ; « je me suis fait arnaquer » ; « c’est une honte site escrocs » ; « escroquerie » ; « surtout éviter absolument ce site » ; « des escrocs !!! Faites attention !! » ; « ces voleurs petits pois ! » ; « les plus grands voleurs arnaqueurs de la planète » ; « marre de toutes ces arnaques » ; « l’arnaque du siècle… bande d’escrocs » ; « c’est de l’abus de confiance… je suis horrifié par ces pratiques malhonnêtes… une arnaque » ; « pure arnaque à l’abonnement caché ! » « ce sont des pratiques malhonnêtes » ; « c’est vraiment de l’arnaque » ; « les margoulins qui vous piègent » « arnaque !… A fuir ! » ; « Prestataires malhonnêtes qui abusent de l’incompréhension des gens en procédant à des abonnements cachés ».

Il y a donc bien dénigrement.

Le tribunal utilise par ailleurs la loi LCEN (Loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique) pour établir que, dès lors qu’il est porté à connaissance d’un hébergeur, des propos manifestement illicites, ce dernier a l’obligation de les retirer.

Le tribunal condamnera lourdement la société Heretic à verser 25 000 euros au titre du préjudice moral ainsi qu’à supprimer sous astreinte de 500 euros par jour les commentaires litigieux.

Il ordonnera la publication de la décision sur la page d’accueil du site et condamnera Heretic à verser 10 000 euros au titre de l’article 700 du CPC.

Ce jugement est d’une grande importance sur l’affinement des moyens de lutte contre les commentaires et les avis dénigrants et la prise en compte, dans une large mesure de la combinaison du Code de la consommation et de la loi LCEN.

Les praticiens en feront bon usage.

Laurent Feldman, Avocat Barreau de Paris.