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Vente de semence d’étalon : clause d’arbitrage et interprétation du contrat. Par Blanche de Granvilliers-Lipskind, Avocat et Pol Marionneau, Etudiant.
Parution : vendredi 7 avril 2023
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Dans un arrêt du 8 septembre 2022 rendu à propos d’un étalon exceptionnel décédé récemment, la Cour d’appel de Caen s’est prononcée sur la recevabilité d’une action en justice alors que le contrat contenait une clause d’arbitrage. La cour déclarera le demandeur recevable au terme d’un raisonnement qui mérite d’être approuvé.
Puis la cour s’est penchée sur l’interprétation des termes « vente de semences » tels qu’ils figuraient dans le contrat signé entre les parties. La solution rendue confirme l’enjeu d’une rédaction précise et exhaustive des clauses dans les contrats de vente de saillies pour éviter une spoliation ou tout au moins une incertitude lourde de conséquences financières, à l’heure des nouvelles techniques de reproduction.

Parmi les sagas judiciaires qui font rage dans le monde de l’élevage, celle opposant la société GFE à The Stallion Company (TSC) est à la fois la plus médiatique et la plus préoccupante pour les éleveurs ou tout au moins les propriétaires d’étalons.

Rappelons que le litige est né au départ de l’achat en indivision par la société GFE de 70% de la pleine propriété d’un des meilleurs reproducteurs de la décennie l’étalon de race KWPN dénommé Kannan ayant évolué au plus haut niveau international en concours de saut d’obstacles.

Une convention d’indivision a été signée entre les parties laquelle a été source de litiges jusqu’à ce que le 2 juillet 2019, la société GFE achète à la société The Stallion Company (anciennement French stallions) les 30% de droits indivis restant que cette dernière avait conservés de l’étalon Kannan.

Le litige repose sur la rédaction du contrat ayant scellé la vente et qui avait pour but de faire table rase des litiges entre les deux parties. L’avenir montrera qu’à l’inverse, il sera à l’origine de plusieurs contentieux. La clause litigieuse est rédigé ainsi :
« Le vendeur (TSF) est autorisé à vendre les semences reçues au titre des § C et D, aux mêmes conditions que l’acheteur dans le reste du monde, mais uniquement dans les pays suivants : Angleterre, Irlande, Etats-Unis, Afrique du Sud et Nouvelle-Zélande (…) En cas de manquement à cette règle, la partie ayant contrevenu à ses obligations sera tenue de reverser à l’autre la totalité de chiffre d’affaires réalisé dans un ou plusieurs pays "non autorisés" ».

Or début 2020, la société GFE dit avoir découvert que Monsieur Rehill ès qualités vendait des paillettes de semence congelée de Kannan en Belgique alors que selon la société GFE aucun accord entre indivisaires sur la distribution de semence n’avait été conclu en Italie, territoire réservé à la société GFE. La société GFE soulignait que La commercialisation des paillettes en Italie était d’autant plus grave que le procédé de reproduction utilisé, à savoir l’ICSI (équivalent de la fécondation in vitro) permet un usage fortement décuplé de la semence (une paillette pouvant permettre de réaliser une dizaine de cessions d’insémination distinctes contre une seule suivant le procédé classique d’insémination in utero) et une valorisation très fortement accrue de la valeur de chaque paillette.

Le contrat comportait en cas de litige sur l’exécution et l’interprétation du contrat, une clause d’arbitrage qui devait être exécutée avant que le Tribunal de commerce de Caen ne devienne compétent.

Sur l’absence d’irrecevabilité faute de respect de la clause d’arbitrage.

Rappelons que cette question présente une importance capitale puisqu’elle a pour effet d’entraîner l’irrecevabilité des demandes et l’impossibilité de saisir de nouveau la juridiction, ce d’autant que la Cour de cassation a précisé que le non-respect d’une clause de « conciliation-expertise » constitue une fin de non-recevoir susceptible d’être invoquée pour le première fois en cause d’appel [1].

La société TSF prétendait que la clause d’arbitrage n’avait pas été mise en œuvre. Sa position pouvait s’appuyer sur de nombreuses jurisprudences, telle celle de la CA de Nîmes le 24 janvier 2019 qui a prononcé l’irrecevabilité de l’action tirée du respect de la clause instituant un préalable obligatoire d’arbitrage tout en précisant que le demandeur ne justifiait pas avoir proposé le recours à l’arbitrage.

La société GFE rétorquait qu’en l’espèce, l’absence de mise en œuvre de la procédure de conciliation avait pour unique origine le refus fautif de la société The Stallion Company qui, destinataire d’un courrier en ce sens, n’y a pas répondu, contraignant son adversaire à l’assigner après un délai d’un mois durant lequel le courrier est resté sans réponse.

La Cour d’appel de Caen s’alignant sur la position du tribunal de commerce a considéré qu’il s’agissait bien d’une clause d’arbitrage dont le respect devait être observé mais qu’au cas présent la société GFE avait bien tenté de mettre en œuvre la procédure d’arbitrage mais que faute de réponse de la part de TSC, le Tribunal de commerce de Caen était effectivement compétent.

Sur l’interprétation du contrat et le droit de vendre des paillettes.

La question qui a posé le plus de problème à la cour concernait l’interprétation du contrat de vente du 2 juillet 2019. Ce contrat autorisait le vendeur à vendre des « semences reçues au titre des § C et D aux mêmes conditions que l’acheteur dans le reste du monde ».

La cour était donc invitée à s’interroger sur le point de savoir si la « vente de semences » concernait la vente de semences par un contrat de saillie seulement ou la vente de semence sous toutes ses formes et notamment par la vente de paillettes, pratique qui était reprochée à la société TSC concernant les semences de Kannan.

La société TSC considérait que certes elle ne pouvait vendre des semences via des contrats de saillies, mais qu’elle pouvait aussi vendre des paillettes dans le territoire qui lui était alloué. Pour la société GFE Le seul et unique procédé de commercialisation depuis 2009 est bien la vente de la semence de Kannan à la saillie et non à la paillette.

La semence de Kanon selon le GFE ne pouvait être vendue qu’à la gestation et non à la paillette libre de droit.

L’enjeu de la qualification est grand puisque le contrôle du ou des propriétaires de l’étalon s’en trouve modifié et ce à deux titres. La vente de paillettes implique généralement l’envoi de plusieurs paillettes à l’acheteur que celui-ci pourrait prendre la liberté de vendre à son tour à d’autres clients et les risques de fraudes et de réutilisation des paillettes notamment à l’étranger est certain. En outre autoriser la vente des paillettes rend beaucoup plus difficile voire illusoire le respect des territoires géographiques que les parties s’étaient réservés contractuellement selon leur accord du 2 juillet 2019.

Cette pratique de la vente à la paillette met les propriétaires d’étalons dans une situation particulièrement inconfortable puisqu’ils se trouvent dépossédés du sort des paillettes vendues dès lors qu’elles atterrissent entre les mains de l’acheteur. Certes la délivrance d’un certificat sanitaire est obligatoire à la vente de paillettes dans les pays de l’Union européenne en application du règlement européen du 17 décembre 201 n°2020/686 qui a complété le règlement 2016/429 en matière de traçabilité et police sanitaire.

Dès lors en principe un acheteur européen ne saurait revendre des paillettes préalablement achetées auprès d’un vendeur sans violer la réglementation en vigueur d’autant plus que les propriétaires ont la plupart du temps un droit de commercialisation exclusif. Néanmoins les risques de contournement ne peuvent être écartés ce d’autant que la règle n’est pas internationale mais européenne. L’intérêt de vendre à la saillie permet aussi d’éviter toute Injection Intracytoplasmique de spermatozoïdes (ICSI), cette technique consistant à injecter unique spermatozoïde directement dans un ovocyte apte à la fécondation avant de procéder au développement in vitro de l’embryon qui sera réimplanté dans la jument ou congelé pour un transfert ultérieur.

Selon le contrat la clause litigieuse autorisait « la vente des semences » sous certaines conditions mais aucune ne définissait ni le terme de « vente » ni le terme de « semence ».

Au regard des termes du contrat, la Cour d’appel de Caen a tranché en faveur de la société TSC en énonçant « qu’aucune interdiction n’est faite au vendeur de vendre la semence de Kannan reçue dans le cadre des articles C et D à la paillette ». Elle prend soin aussi de préciser qu’en toute hypothèse la sanction financière prévue par le contrat ne vise que la vente dans une zone géographique non autorisée mais pas en cas de vente dans des conditions (prétendument) interdites à savoir en cas de vente à la paillette critiquant le calcul des dommages et intérêts par le tribunal de Commerce. Selon la cour, le fait que la société TSC ait pu vendre jusque-là de manière habituelle la semence de Kannan à la saillie est sans incidence.

Elle infirme par cette interprétation le jugement du tribunal de commerce qui avait condamné la société TSC à payer à la société GFE la somme de 270 200 euros au titre de la vente de 386 paillettes.

L’infirmation du jugement de première instance témoigne de ce que la rédaction du contrat présente une importance capitale au vu des enjeux et des progrès techniques qui risquent de révolutionner l’élevage de demain. Les propriétaires d’étalons reproducteurs doivent donc faire preuve d’une très grande vigilance dans la rédaction de leurs contrats pour éviter tout doute quant au procédé de commercialisation des semences.

Il n’en reste pas moins que la commercialisation des paillettes reste une question juridique brulante et qu’elle amène avec elle son lot de problématiques que les tribunaux peinent parfois à résoudre, entraînant une insécurité juridique particulièrement forte.

Pour preuve le même contrat est à l’origine d’un autre litige entre les mêmes parties et toujours pour le même étalon, concernant cette fois son clonage. C’est la Cour d’appel d’Angers qui le 31 janvier 2023 a tranché cette fois en faveur du GFE. Dans ce litige la société GFE soutenait avoir découvert que la société TSE s’était rapprochée d’une société de droit américain afin d’élaborer trois clones de l’étalon Kannan initiative qui lui aurait été cachée et dont elle s’estimait victime. En outre la société GFE demandait à se voir reconnaître son droit de propriété sur le seul clône ayant survecu et en obtenir la restitution. Elle n’a pas eu gain de cause en première instance et a interjeté appel du jugement.

La Cour d’appel d’Angers a considéré que c’était à tort que le GFE prétendait que ces opérations de clonage s’étaient faites en fraude de ses droits, car elle ne pouvait pas ignorer les initiatives prises par la société TSE à cet égard, mais la cour a réformé le jugement de première instance et a condamné la société TSC a remettre à la SAS GFE 70% des cellules souches de Kannan et ce, sur le fondement de l’article 547 du Code civil qui dispose que :
« Les fruits naturels ou industriels de la terre,
Les fruits civils,
Le croît des animaux, appartiennent au propriétaire par droit d’accession
 ».

Tout laisse penser que la saga GFE - TSC n’est pas terminée et que le contentieux du commerce de semence a malheureusement son lot d’incertitudes au détriment des éleveurs ayant parfois investi des sommes considérables en achetant des étalons, prévisions déjouées par les progrès de la science et des solutions juridiques imprévisibles.

En l’espèce, chacun des arrêts a fait l’objet d’un pourvoi en cassation par les parties ayant été déboutées et nul doute qu’il fera couler beaucoup d’encre.

Blanche de Granvilliers-Lipskind Avocat à la Cour, Docteur en droit, Membre de l'Institut du Droit Equin et de la commission droit de l'animal et Pol Marionneau Master 2 Droit Anglais et Nord-Américain des Affaires (Paris 1 Panthéon-Sorbonne)

[1Cass Com 22 février 2005 N° de pourvoi : 02-11.519.