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Charte Africaine des droits de l’Homme et des peuples : Les circonstances exceptionnelles confrontées aux droits fondamentaux. Par Paulin Bouda, Etudiant.
Parution : jeudi 6 avril 2023
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La restriction des droits fondamentaux est garantie en raison des circonstances exceptionnelles par les Conventions internationales à l’exception de la Charte Africaine des droits de l’Homme et des peuples. Cependant, certains droits dits intangibles échappent à cette restriction.

En tant que principe restrictif de liberté, les circonstances exceptionnelles ont des répercussions directes sur les droits fondamentaux. Les circonstances exceptionnelles tirent leurs sources des arrêts Heyriès et Dame Dol et Laurent rendus à la première moitié du 19e siècle, par le Conseil d’Etat Français. C’est un régime juridique dérogatoire du droit commun, où les autorités-étatiques s’arrogent des pouvoirs spéciaux leurs permettant de suspendre l’application de certains éléments de l’Etat de droit, en restreignant notamment l’exercice des libertés publiques [1].

Les droits de l’Homme sont entendus comme des prérogatives juridiques sauvegardant la dignité humaine en vertu d’une garantie normative et d’une protection institutionnelle [2].

Ainsi, selon l’article 2 déclaration universelle des droits de l’Homme et du citoyen, de 1789 « le but de toute association est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme… ». Nous nous demandons alors s’il existe une garantie des droits fondamentaux pendant les circonstances exceptionnelles ? Qu’en est-il du système africain des droits de l’Homme ?

Les droits fondamentaux sont des droits garantis par des textes juridiques nationaux et internationaux. Ces droits sont protégés par des systèmes de droits de l’Homme. Un système de droits de l’Homme est un ensemble de normes et d’institutions mises en interrelation pour promouvoir et protéger juridiquement les droits de l’Homme dans un cadre géographique déterminée, sur le fondement d’une philosophie socio-politique particulière [3].

L’existence du système implique la reconnaissance de normes juridiques qui consacrent les droits fondamentaux. Dans le système onusien, les pactes internationaux des droits de l’Homme et les conventions onusiennes garantissent les droits et libertés des individus.

Ces mêmes droits sont garantis dans la sous-région avec la Charte Africaine des droits de l’Homme et des peuples. Il s’agit des textes modernes.

Cependant, autrefois, les droits de l’Homme étaient reconnus en Angleterre par la Magna Carta Libertarum de 1215, et en Afrique, notamment dans la société manding par la Charte du mandé adoptée en 1222 et par la Charte de Kouroukan Fougan adoptée en 1236.

A l’instar de son fondement positiviste, les droits de l’Homme existent en raison de plusieurs fondements notamment, religieux, historiques et philosophiques. Cependant nous nous intéresserons à son fondement philosophique.

Le fondement philosophique des droits fondamentaux prend en compte la considération de la dignité, l’individualité et l’universalité de chaque être humain. La notion de droit de l’Homme suppose l’existence de la reconnaissance à chaque individu de pouvoirs agir indépendamment de toute institution politique. C’est la reconnaissance de droits préexistants à toute société organisée. Ainsi, la considération de la dignité de l’Homme à la garantie philosophique des droits fondamentaux, part du postulat que l’Homme par sa nature dispose d’un certain nombre de respect et est investi d’une dignité supérieure à celle de tout autre. C’est donc la qualité d’être humain qui lui donne cette dignité supérieure impliquant la garantie de certains droits en sa faveur.

Parmi les droits garantis nous avons entre autres, les droits civils et politiques encore appelés « droits-actions » par Karel de Vasak. Ensuite il y’a les droits économiques sociaux et culturels ou droits de créances. Enfin les droits de solidarités.

Ces différents droits sont contenus dans les pactes internationaux et transposés dans l’ordre juridique national, dans les textes de niveau constitutionnel.

Les droits fondamentaux dans leurs ensembles bénéficient d’un mécanisme de protection adéquat et d’une justiciabilité devant les juridictions compétentes. Ainsi la déclaration des circonstances exceptionnelles par les autorité compétentes n’oblitère pas les droits de l’Homme. Cependant, les circonstances exceptionnelles suscitent une restriction ambivalente des droits de l’Homme.

1. Les droits fondamentaux susceptibles de dérogation.

Les droits de l’Homme peuvent faire l’objet de dérogation, l’Etat peut faire des restrictions aux droits fondamentaux pour la protection d’intérêts publics supérieurs.

Ces restrictions doivent être proportionnées, elles ne doivent pas toucher à la substance du droit elle-même et la possibilité de dérogation doit être prévue par le texte qui garantit le droit restreint.

En cas d’état d’exception, les autorités étatiques peuvent prendre des mesures restrictives des droits fondamentaux pourvu que cela soit autorisé par le texte qui garantit les droits restreints. L’article 4 du pacte internationale relatif aux droits civils et politiques autorise la dérogation de certains droits fondamentaux par les Etats sous réserve que ces mesures n’entrainent pas une discrimination fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou l’origine sociale et qu’il n’y ait pas d’incompatibilité avec les autres obligations du droit international.

Par exemple le droit à la liberté d’expression, le droit à la libre circulation des biens et des personnes, le droit à l’éducation peuvent être dérogés en cas de circonstances exceptionnelles. L’objectif principal n’est pas de restreindre les droits de l’Homme, il s’agit de les sauvegarder par la restriction de certains droits qui permettront de mettre en place des moyens expédients pour un retour normal.

Les circonstances exceptionnelles et la charte africaine des droits de l’Homme et des peuples.

Contrairement aux autres textes internationaux, la Charte Africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP) demeure silencieuse dans ses dispositions en ce qui concerne la restriction des droits fondamentaux. Cependant, certaines décisions sont favorables à cette clause de dérogation. C’est le cas par exemple de l’affaire Simone Ehivet et Michel Gbagbo contre République de Côte d’Ivoire [4].

les requérants avaient présentés des conclusions contenant plusieurs éléments entre lesquels ils arguent que leur arrestation et détention par les autorités ivoiriennes sont arbitraires. Par conséquent, ils demandent leur mise en liberté immédiate. En réplique à cette allégation, la République de Côte d’Ivoire excipe la situation exceptionnelle qui prévalait au moment de l’arrestation et de la détention des requérants.

La Cour de Justice de la CEDEAO dans sa décision affirme que Michel Gbagbo étant inculpé et détenu devant les juridictions nationales pour autres causes, elle ne pourra faire droit à sa mise en liberté. Nonobstant le silence de la CADHP, l’on serait tenté de dire que les circonstances exceptionnelles sont reconnues en Afrique d’autant que dans la plupart des Etats africains, le droit de dérogation est consacré. Déplus, dans la plupart des conventions internationales, notamment en droit de l’Homme, les Etats africains sont concernés et ces conventions admettent une clause de dérogation. Ainsi, en absence de dérogation expresse par la CADHP, la dérogation semble être possible dans le système africain en raison des jurisprudences régionales africaines favorables, au droit de la dérogation et la garantie de cette dérogation dans les textes étatiques.

2. Les droits fondamentaux intangibles ou noyau dur.

Les droits fondamentaux intangibles sont des droits identifiés par des théoriciens comme « noyau dur » ou droits absolus et susceptibles d’aucune dérogation.
Le noyau dur permet

« la mise en place d’un espace non susceptible de dérogation conventionnelle par les Etats, même en cas de circonstances exceptionnelles ces droits constituant une sorte d’absolu pour l’humanité, l’idéal commun à atteindre par tous les peuples de toutes les nations, car exprimant une volonté supérieure aux Etats. Elle définit cette limite naturelle de la souveraineté par la sphère d’application des droits de l’Homme » [5].

Le noyau dur peut se présenter alors comme un ensemble de règles impératives relevant de l’ordre public international à l’image du jus cogens et qui n’admet aucune dérogation.

Si on se réfère à la norme de jus cogens, au sens de l’article 53 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités, « est nul tout traité qui dès sa conclusion est en conflit avec une norme du droit international général ». Il s’agit alors de savoir si une règle intangible de droits de l’Homme peut être qualifiée de norme impérative. La réponse est l’affirmative dans le sens que la Cour internationale de justice dans un avis consultatif soutient que

« ces règles fondamentales (…) s’imposent d’ailleurs à tous les Etats, qu’ils aient ou non ratifié les instruments conventionnels qui les expriment, parce qu’elles constituent des principes intransgressibles du droit international coutumier » [6].

Conséquemment, même en cas d’état d’exception les normes constituant le noyau dur ne peuvent aucunement être dérogées. Ainsi, les droits de l’Homme intangibles seraient donc

« les droits de l’Homme de caractère impératif auxquels il n’est permis de déroger en aucune circonstance, pas même en état de crise ou de menace de guerre, de danger public exceptionnel, de proclamation d’un état d’exception etc » [7].

Ces normes du noyau dur sont essentiellement consacrées par les textes internationaux.

Le pacte international relatif aux droits civils et politiques admet la possibilité de dérogation des droits de l’Homme exceptés ceux identifiés par les articles 6, 7, 11, 15, 16, 17 qui portent respectivement sur le droit à la vie (article 6), l’interdiction de la torture (article 7), l’interdiction de l’emprisonnement pour non-exécution d’une obligation contractuelle (article 11), l’interdiction de la condamnation sur les actes non délictueux (article 15), la reconnaissance de la personnalité juridique (16), la protection de la vie privé (article 17).

Cependant, les différentes conventions en matière des droits de l’Homme retiennent essentiellement quatre droits communs qui sont considérés comme noyau dur, ce sont essentiellement ; le droit à la vie, l’interdiction de l’esclavage, la non rétroactivité de la loi pénale, l’interdiction de la torture.

Paulin Bouda, Etudiant en droit public et relations internationales

[1Jean Salomon (dir), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001, p.468.

[2Abdoulaye Soma, Évolution diachronique des droits de l’Homme en Afrique, Revue Cadi, n⁰009/Septembre 2019 p.2.

[3Abdoulaye Soma, op.cit. p.2.

[4Cour de Justice de la CEDEAO, Simone Ehivet et Michel Gbagbo C/ République de Côte d’Ivoire, arrêt N⁰ECW/CCJ/JUD/03/13 du 22 février 2013.

[5Claude Katz, cité par Gueldich Hajer, Les droits indérogeables, in Journée d’étude du 10 décembre 2015 sous-direction du Pr. Rafâa Ben Achour, L’ONU et l’établissement d’un ordre international des droits de l’Homme, FSJPST, 1er numéro de la Revue tunisienne des sciences juridiques, CPU, pp. 45-58.

[6CIJ, Affaire de la licéité de la menace ou de l’emploie d’armes nucléaires, avis consultatif du 08 juillet 1996, Rec. 1996, p.257, §79.

[7Jean Salomon (dir), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001, p.398.

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