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Actualités sur l’incidence professionnelle de la victime d’une infection nosocomiale. Par Caroline Fontaine-Beriot, Avocat.
Parution : jeudi 13 avril 2023
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L’incidence professionnelle peut être reconnue même en cas de maintien de l’activité professionnelle.
Retour sur l’arrêt du Conseil d’Etat du 1er juillet 2022 (n°442802).

A la suite d’un accident ou d’une agression, la victime est susceptible de connaître d’importantes répercussions d’ordre professionnel. Il peut s’agir parfois de la nécessité de réduire son temps de travail, d’envisager une reconversion vers un poste en adéquation avec ses séquelles, parfois de renoncer à toute activité professionnelle.

Le principe de la réparation intégrale qui gouverne l’indemnisation du dommage corporel nécessite de prendre en considération chacune des composantes des conséquences d’ordre professionnel subies par la victime.

Le préjudice professionnel futur, c’est-à-dire postérieur à la consolidation médico-légale de la victime, est indemnisé à travers deux postes prévus par la nomenclature Dintilhac, à savoir :

Les pertes de gains professionnels futurs correspondent aux conséquences financières découlant de l’incapacité de la victime impactant son activité professionnelle. Il peut s’agir d’une perte de gains découlant soit de la perte d’emploi par la victime, soit de l’obligation pour cette victime d’exercer son emploi à temps partiel.

Ainsi, par exemple une victime qui est obligée de travailler à mi-temps verra les pertes de gains découlant de ce passage à temps partiel indemnisées au titre des pertes de gains professionnels futurs. Les pertes de gains professionnels futurs correspondent donc à l’aspect quantifiable et parfaitement évaluable du préjudice professionnel de la victime.

Néanmoins, il serait faux de considérer que les pertes de gains professionnels futurs permettent d’indemniser l’ensemble du préjudice professionnel la victime. En effet, ces pertes de gains ne vont pas prendre en considération les pertes de chance d’évolution de carrière ou de rémunération, ou encore le fait qu’il est plus difficile pour la victime d’exercer son activité en raison d’une augmentation de la pénibilité, ou encore que cette victime, bien qu’elle ait pu reprendre son activité antérieure, voit sa valeur sur le marché de l’emploi réduit en raison de son handicap.

C’est la raison pour laquelle a été prévu le poste d’incidence professionnelle. Selon la nomenclature Dintilhac, l’incidence professionnelle a pour objectif d’indemniser :

L’incidence professionnelle vient donc compléter l’indemnisation déjà obtenue par la victime au titre des pertes de gains professionnels futurs.

L’indemnisation de ces deux postes doit donc se faire de manière séparée et non globale, l’incidence professionnelle venant réparer des composantes patrimoniales mais également extrapatrimoniaux du préjudice professionnel futur.

Par un arrêt du 1er juillet 2022 (n°442802), le Conseil d’État énonce que l’incidence professionnelle peut être reconnue même en cas de maintien de l’activité professionnelle.

En l’espèce, à l’issue d’une intervention chirurgicale réalisée au sein d’un centre hospitalier intercommunal (CHI) pour remédier à une fracture fermée du tiers proximal du fémur droit, un patient a contracté une infection nosocomiale. Le Conseil d’État a censuré l’arrêt rendu par la cour administrative d’appel au motif que le versement d’une indemnisation au titre de l’incidence professionnelle a lieu d’être même si la victime n’est pas dans l’impossibilité d’exercer toute activité professionnelle à la date de consolidation de son état.

Le patient a alors saisi le tribunal administratif afin de solliciter la réparation de ses préjudices, sollicitant la condamnation à titre principal du CHI et, à défaut, de l’ONIAM. Le tribunal administratif a condamné l’ONIAM à verser au patient plus de 500 000 euros en réparation de ses préjudices.

L’ONIAM a donc interjeté appel devant la Cour administrative d’appel de Versailles qui, par un arrêt rendu le 16 juin 2020, a considéré que l’indemnisation devait être mise à la charge du CHI. Néanmoins, pour rejeter la demande du patient tendant à l’indemnisation qu’il réclamait au titre de l’incidence professionnelle, la cour relevait que celui-ci n’était pas dans l’impossibilité d’exercer toute activité professionnelle à la date de consolidation de son état de santé.

Le Conseil d’État, saisi par le patient, annule l’arrêt des juges du fond en considérant que la cour ne pouvait pas uniquement retenir, pour rejeter la demande, que le patient n’était pas « dans l’impossibilité d’exercer toute activité professionnelle à la date de consolidation de son état ».

En effet, une telle circonstance, à la supposer établie, « n’est pas de nature à priver la victime d’un droit à indemnisation au titre de ce chef de préjudice » puisque le poste de préjudice incidence professionnelle a précisément pour objectif d’indemniser la dévalorisation de la victime sur le marché du travail.

Pour le Conseil d’État, la possibilité pour la victime d’exercer une activité professionnelle à la date de consolidation ne fait pas nécessairement obstacle à son droit à indemnisation au titre de l’incidence professionnelle.

Caroline Fontaine-Beriot Avocat au barreau d'Aix en Provence