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Le « cyber-flashing » ou « dick-pic », hiatus du droit pénal ? Par Aaron Rellé, Juriste.
Parution : mardi 11 avril 2023
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Depuis peu, la pratique du « dick-pic » est devenue un fléau sur les réseaux sociaux tels qu’Instagram, Snapchat ou encore à travers la fonctionnalité AirDrop d’Apple. Certains pays tels que l’Angleterre ou le Pays de Galles se sont penchés activement pour réprimer prochainement cette pratique. Cependant, le « cyber-flashing » ne semble pas faire l’objet de considérations - pour l’heure - par le droit pénal et le législateur français, laissant ainsi cette pratique se marginaliser dans la société.

Le « cyber-flashing » est défini comme le fait, pour une personne, d’utiliser un moyen de communication afin d’envoyer une image à connotation sexuelle (le plus souvent son sexe), à quelqu’un qu’elle ne connaît pas et sans son consentement. L’envoi de « dick-pic » sur les réseaux sociaux et notamment par le système « Airdrop » d’Apple est de plus en plus fréquent dans les transports en commun, restaurants, établissements scolaires…

Bien que le fait d’envoyer des photos de nature sexuelle soit contraire au droit et à la décence, le droit français ne peut - pour l’heure - réprimer ce type de pratique.

I. L’impossibilité pour le droit pénal français de se fonder sur l’infraction d’exhibition sexuelle.

1. La nouvelle définition de l’infraction d’exhibition sexuelle.

L’article 222-32 du Code pénal réprime « toute exhibition sexuelle imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public ». La loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste ajoute dans un alinéa 2 que « Même en l’absence d’exposition d’une partie dénudée du corps, l’exhibition sexuelle est constituée si est imposée à la vue d’autrui, dans un lieu accessible aux regards du public, la commission explicite d’un acte sexuel, réel ou simulé ».

Le droit pénal français condamne l’auteur d’une exhibition sexuelle à 1 an et 15.000 euros d’amende. ou à 2 ans et 30.000 euros d’amende si les faits ont été commis à l’encontre d’un mineur.

Dès lors pour caractériser cette infraction, il faut nécessairement démontrer :

2. Les difficultés liées à la caractérisation de l’infraction.

a) Le téléphone portable : outil personnel et non accessible aux yeux du public.

Il ne parait guère nécessaire de porter notre attention sur le caractère visible ou non d’une partie du corps, du fait que le législateur, depuis la loi du 21 avril 2021 réprime l’exhibition avec ou sans démonstration du corps pour autant que l’auteur commette un geste sexuel réel ou simulé.

La première difficulté a trait à la définition française, car il semble difficile d’interpréter cette pratique à la lumière de l’infraction d’exhibition sexuelle. En effet, le législateur condamne lorsque ces faits ont été commis dans un « lieu accessible aux regards du public ».

Pour autant, il est aisé de penser qu’un téléphone portable, objet privé et normalement accessible qu’à la vue de son utilisateur, ne peut être considéré comme susceptible d’être accessible dans un lieu aux regards du public.

Toujours est-il que la jurisprudence n’ait eu à traiter que de faits où une personne, physiquement présente, s’est montrée impudique.

b) L’identification de l’auteur et de l’image.

Ajoutons que la seconde difficulté repose sur l’absence de la présence (visuelle) de la personne, remplacée par l’envoi d’une image à connotation sexuelle dont on ne peut, par ailleurs, certifier qu’elle appartient effectivement à l’auteur des faits. Le législateur, en précisant l’infraction par la loi du 21 avril 2021, accentue davantage le fait que l’exhibition sexuelle est caractérisée par un comportement actif, visuel accessible aux yeux de tous.

Ce qui ressort de manière sous-jacente de cette seconde difficulté est donc à la fois l’identification de l’auteur des faits et son appréhension par les autorités judiciaires, mais également la caractérisation de l’image comme étant effectivement obscène.

Autant d’éléments laissent à penser raisonnablement que l’usage de cette qualification juridique de l’exhibition sexuelle est impossible.

Mais le cyber-flashing ne pourrait-il pas être réprimé sur d’autres fondements ?

II. Une répression sur d’autres fondements ?

1. Le harcèlement sexuel.

L’article 222-33 du Code pénal dispose que « Le harcèlement sexuel est le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. »

Cette pratique du cyber-flashing étant pour la plupart une action unique et non répétée, l’infraction ne peut se voir caractérisée.

2. La diffusion d’images pornographiques susceptibles d’être vues par un mineur.

L’article 227-24 du Code pénal réprime « le fait […] de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message […] pornographique, y compris des images pornographiques impliquant un ou plusieurs animaux […] est puni de trois ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur ».

À travers cette rédaction, la simple éventualité d’être vu par un mineur permet de caractériser le second élément matériel de l’infraction. Cependant, celle-ci semble toutefois dirigée, selon la volonté du législateur, qu’aux éditeurs de contenus sur internet et notamment les sites pornographiques.

Pour autant, le cyber-flashing ne semble pas non plus concerné par cette disposition, car il ne s’agit, ici que d’images pornographiques, définies par le Dictionnaire de l’Académie française comme « la représentation directe, voire brutale, de scènes, de sujets à caractère sexuel et délibérément obscènes ».

3. La diffusion d’image contraire à la décence.

L’article R624-2 du Code pénal dispose quant à lui que : « Le fait de diffuser sur la voie publique ou dans des lieux publics des messages contraires à la décence est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 4e classe.

Est puni de la même peine le fait, sans demande préalable du destinataire, d’envoyer ou de distribuer à domicile de tels messages »

La même difficulté que l’exhibition sexuelle semble apparaître au regard de la qualification de « voie publique ou dans les lieux accessibles aux publics », car les images sont envoyées sur des téléphones portables, objets privés et par principe sont non accessibles aux regards du public.

De plus, la notion de « distribution à domicile » laisse à penser qu’il s’agit plutôt de réprimer des messages tels que des tracts dans la boite aux lettres...

4. L’outrage sexiste et sexuel.

La rédaction du nouvel article concernant l’outrage sexiste et sexuel n’a que peu d’utilité concernant la pratique du cyber-flashing. Le décret du 30 mars 2023 abroge l’article 621-1 du Code pénal en ajoutant l’article R625-8-3 du Code pénal disposant qu’ « est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 5e classe le fait […] d’imposer à une personne tout propos ou comportement à connotation sexuelle ou sexiste qui soit porte atteinte à sa dignité en raison de son caractère dégradant ou humiliant, soit créé à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ».

Lorsque les faits ont été commis dans « un véhicule affecté au transport collectif de voyageurs ou au transport public particulier ou dans un lieu destiné à l’accès à un moyen de transport collectif de voyageurs », la contravention se transforme en délit (article 222-33-1-1 C.Pénal).

Nonobstant la possible utilisation de cette infraction à l’égard du « cyber-flasing », il existe une difficulté afférente à l’infraction en elle-même qui est son efficience en ce qu’il faudra soit qu’un policier prenne en flagrant délit l’infracteur ou que la personne soit identifiée… rare en pratique.

En conclusion.

Il semble que pour l’heure, l’utilisation de l’arsenal juridique concernant la protection du public des images et comportements obscènes dans les lieux collectifs ou de circulation du public, n’est guère efficace.

Pour autant, et il serait de mauvaise foi de le cacher, que même si le législateur s’attachait à modifier, compléter ou créer un cadre plus répressif concernant cette pratique, la difficulté majeure consisterait à identifier et à appréhender les auteurs de tels comportements.

Aaron Rellé Juriste en droit pénal et droit privé Fondateur de la Clinique Juridique Universitaire d'Évry