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Le droit de visite des douanes retoqué par le Conseil constitutionnel. Par Jean Pannier, Avocat.
Parution : mardi 11 avril 2023
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La décision a fait l’effet de la foudre dans un ciel d’azur, c’est en tout cas ainsi qu’elle est vécue chez les gabelous et leurs syndicats qui crient à l’inconséquence. Elle n’est pourtant que la conséquence des abus des douaniers constatés lors de nombreuses procédures judiciaires qui traduisent l’agacement des tribunaux et des cours [1] alors que le droit de visite est très utile pour débusquer la fraude spécialement dans le contexte de la lutte anti-terroriste et anti-blanchiment. L’affaire tombe à pic pour élargir le sujet aux violations des droits de la défense lors des enquêtes douanières maintes fois dénoncées en matière, notamment, de fraude aux accises pour rester dans l’actualité judiciaire.

Il faut enfoncer le clou, la douane se voit rappeler à l’ordre à cause de ses abus et du laxisme de la hiérarchie qui réagit presque toujours trop tard du fait de la culture-maison du résultat fort peu compatible avec le respect scrupuleux des droits de la défense. Elle voit ainsi ses prérogatives remises en question et se trouve sous les projecteurs au détriment de l’utilité de ses missions. Il n’y a guère qu’à la DNRED structure à compétence nationale que les enquêteurs - selon les périodes il faut le préciser - sont tenus par un chef mais qui ne remonte pas toujours l’information. D’où les crispations qui aboutissent à la nomination d’un directeur à l’écoute de sa direction générale.

Dans les services régionaux d’enquête (SRE), c’est selon. Si par malheur le chef est en fin de carrière et qu’il découvre le monde de l’enquête on peut s’attendre au pire car les enquêteurs ont la bride sur le cou et cachent beaucoup de choses à leur direction qui ne veut surtout pas les démotiver. Si l’on ajoute que la défense est démunie pour cause d’absence de formation au droit douanier, le piège est fatal car les certitudes des enquêteurs deviennent vite des preuves et les droits de la défense n’entrent pas dans leurs bureaux.

Si d’aventure la douane s’acoquine avec des fraudeurs repentis dénommés « aviseurs » pour faire tomber les concurrents la rupture d’égalité des armes est consommée. Ainsi va le contentieux douanier comme d’ailleurs le service de la communication qui ne cesse de jurer, la main sur le cœur, que l’administration joue à fond son rôle pédagogique alors que les entreprises vivent tout autre chose. On peut se demander pourquoi ça ne change pas après tous les dérapages constatés.

C’est dans cette ambiance « je t’aime, moi non plus » que l’article 60 en vigueur depuis 1948 est virtuellement passé à la trappe le 22 septembre 2022. Il y passera concrètement le 1er septembre 2023, délai de grâce. De profondis !

1. L’article 60 du Code des douanes ou la pêche miraculeuse.

« Pour l’application des dispositions du présent code et en vue de la recherche de la fraude, les agents des douanes peuvent procéder à la visite des marchandises et des moyens de transport et à celle des personnes ».

Ce texte a permis de procéder, à l’aveugle, à de très importantes saisies de drogues, d’armes y compris chimiques voire de substances nucléaires, d’argent liquide etc… A la suite d’un échange de points de vue à la Gazette du Palais [2] la Chambre criminelle a précisé que le droit de visite ne se limite pas au rayon douanier mais s’étend à l’ensemble du territoire national ce qui a pu choquer par exemple ceux qui ont été contrôlé à un feu rouge en plein Paris. C’est la pêche miraculeuse qui permet, à la surprise, d’arrêter les malfaisants tout en respectant les règles de la procédure mais c’est là où le bât blesse souvent comme l’a jugé la Cour d’appel de Colmar (Voir l’article Une retenue douanière qui ne dit pas son nom).

Le Conseil constitutionnel a abrogé l’article 60 à la suite d’une QPC mais il invite le gouvernement à revoir sa copie au plus tard le 1er septembre 2023. Panique à bord avec forte dose de stress dans les services concernés douane et Justice. Bruno Lemaire et Gabriel Atal viennent de présenter la nouvelle mouture du texte dans une ambiance électrique chez les douaniers de terrain.

L’avant réforme, c’est-à-dire la période de sursis, a déjà donné des ailes à la défense qui a fait tomber plusieurs procédures, ce qui fait dire à certains qu’une fois de plus la progression des droits de l’homme profite surtout à la grande criminalité comme, on l’a vu, avec la remise en liberté de grands trafiquants de drogue à la suite d’une erreur de procédure. Les restrictions annoncées au nom du respect des libertés portent atteinte à l’efficacité de la répression et finalement à la sécurité du bon peuple. Il faut le dire à voix basse mais c’est dommage de se priver d’un droit de visite qui a fait ses preuves.

Le problème de la douane c’est, entre autres faiblesses, le manque d’encadrement qui oblige la hiérarchie à soutenir la base quand c’est déjà trop tard sans compter la complaisance de l’autorité judiciaire pour fermer les yeux sur les abus… jusqu’au jour où ça déborde. On voit alors surgir des décisions annulant des procès-verbaux pour détournement de procédure ou atteinte au principe de loyauté dans la recherche des preuves par exemple lors l’exploitation de fichiers bancaires volés. On observe trop souvent que les douaniers ont la bride sur le coup notamment lorsque les services locaux d’enquêtes sont dirigés par des fonctionnaires en fin de carrière qui laissent tout faire surtout lorsqu’ils n’ont aucune expérience antérieure de l’enquête. Paix sociale avant tout, surtout si les enquêteurs obtiennent des transactions y compris sur des interventions contestables. La plupart du temps les entreprises visées ne savent même pas se défendre et préfèrent payer.

2. L’origine de la décision du Conseil constitutionnel.

Le tribunal correctionnel de Bourges, par jugement en date du 1 avril 2022, reçu le 6 avril 2022 à la Cour de cassation, a transmis une question prioritaire de constitutionnalité dans la procédure suivie contre M. Mounir S du chef de blanchiment.

Le requérant reprochait en particulier aux dispositions de l’article 60 de ne plus être adaptées à l’ordre juridique en permettant les contrôles, sans encadrement juridique de l’espace et du temps durant lequel une personne est immobilisée et son véhicule fouillé, et sans contrôle effectif de l’autorité judiciaire, le cas échéant par l’emploi de mesures coercitives, et qu’il en résulterait une méconnaissance de la liberté individuelle, de la liberté d’aller et de venir, du droit au respect de la vie privée et des droits de la défense (Dans cette affaire, les douaniers avaient procédé à la fouille d’un véhicule à un péage et avaient découvert 47.000 euros en espèces dans l’habillage d’une portière, conduisant à l’interpellation du suspect pour blanchiment d’argent).

Le blanchiment est devenu ces dernières années la nouvelle coqueluche de l’administration des douanes approuvée et encouragée par le ministère public ; il est pourtant loin d’être justifié dans de nombreux contentieux ce qui pose question. S’agit-il d’un effet de mode pour redorer le blason de la douane ? Au lieu de s’épuiser à ferrailler sur le thème du blanchiment l’avocat a fait mouche en obtenant de torpiller la procédure par la magie d’une QPC.

La question portait sur l’équilibre entre, d’une part, la liberté individuelle, le droit au respect de la vie privée et la liberté d’aller et venir, et d’autre part, la lutte contre la fraude, mais également en filigrane, sur la notification des droits aux personnes contrôlées, le contrôle douanier n’étant ni une retenue douanière ni une garde à vue.

On peut cependant constater la prudence du Conseil Constitutionnel qui a bien pris soin de ne pas remettre en cause la valeur constitutionnelle des contrôles douaniers, et de ne pas aller sur le terrain des voies de recours des contrôles, ni sous la mise sous contrôle d’une autorité judiciaire.

En outre, l’encadrement du droit de visite n’est pas vraiment nouveau puisqu’il a fait l’objet de nombreuses décisions judiciaires au plus haut niveau ce qui permet de s’interroger sur l’utilité d’une QPC qui pourrait inspirer d’autres initiatives concernant plusieurs articles du code des douanes ayant fait l’objet d’avancées jurisprudentielles. Finalement l’article 60 était déjà encadré mais le voilà déjà bien fragilisé par une réforme qui risque d’être une usine à gaz.

Cette prérogative, que la doctrine commente avec résignation observe Yann Bisiou, a pour but de rendre la fraude apparente aux yeux des agents. Elle n’a été encadrée qu’à la marge par la jurisprudence.

Jurisprudence de la Cour de Cassation :

Rappelons encore que, s’agissant de la lutte contre le trafic des stupéfiants qui pose des problèmes spécifiques en raison de l’exploitation par les trafiquants de ce qu’il est convenu d’appeler « les mules colombiennes » l’article 60 était devenu inadapté. La loi n° 87-1157 du 31 décembre 1987 relative à la lutte contre le trafic de stupéfiants a inséré dans le code des douanes un nouvel article 61 bis, dont l’alinéa 1 prévoit le type de fouilles le plus agressif qui soit : « Lorsque des indices sérieux laissent présumer qu’une personne transporte des produits stupéfiants dissimulés dans son organisme, les agents des douanes peuvent la soumettre à des examens médicaux de dépistage après avoir préalablement obtenu son consentement exprès » [3].

La question prioritaire de constitutionnalité est ainsi motivée :

« Le droit de visite offert aux agents des douanes par l’article 60 du code des douanes, qui ne confère aucun statut à la personne qui y est soumise contre son gré et qui n’est entouré d’aucune garantie légale, notamment quant à un contrôle de l’autorité judiciaire, est-il conforme à la Constitution, alors même que sa mise en œuvre est susceptible d’être contraire à l’exercice des libertés constitutionnellement garanties, au nombre desquelles figurent la liberté d’aller et de venir et le respect de la vie privée protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le respect des droits de la défense qui découle de l’article 16 de la Déclaration de 1789 ainsi que la liberté individuelle, que l’article 66 de la Constitution place sous la surveillance de l’autorité judiciaire ? »

La disposition législative contestée est applicable à la procédure et n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel.

La question, ne portant pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’aurait pas encore eu l’occasion de faire application, n’est pas nouvelle.

Les dispositions contestées permettent aux agents des douanes, pour l’application des dispositions du code des douanes et en vue de la recherche de la fraude, de procéder au contrôle des marchandises, des moyens de transport et des personnes, sans accord de la personne concernée, ni autorisation préalable de l’autorité judiciaire et sans qu’il soit nécessaire de relever l’existence préalable d’un indice laissant présumer la commission d’une infraction, en tout lieu public des territoires douanier et national où se trouvent des personnes, des moyens de transports ou des marchandises, à toute heure du jour et de la nuit et à l’égard de toute personne se trouvant sur place, ce qui inclut la possibilité de fouiller ses vêtements et ses bagages.

La doctrine considère que l’encadrement jurisprudentiel de l’article 60 est insuffisant [4].

Yann Brisiou remarque que « cette prérogative, que la doctrine commente avec résignation [5], a pour but de rendre la fraude apparente aux yeux des agents. Elle n’a été encadrée qu’à la marge par la jurisprudence » [6].

Pourtant, la jurisprudence a assorti de garanties cette mesure de contrainte.
En premier lieu, elle ne peut s’exercer que le temps strictement nécessaire à la réalisation des opérations de visite, qui comprennent le contrôle de la marchandise, du moyen de transport ou de la personne, la consignation, dans un procès-verbal, des constatations faites et renseignements recueillis, ainsi que, le cas échéant, les saisies et la rédaction du procès-verbal afférent.

En deuxième lieu, dans ce cadre, si les agents des douanes peuvent recueillir des déclarations en vue de la reconnaissance des objets découverts, ils ne disposent pas d’un pouvoir général d’audition de la personne contrôlée.

En troisième lieu, les agents des douanes ne sont pas autorisés à procéder à la visite d’un véhicule stationné sur la voie publique ou dans un lieu accessible au public libre de tout occupant.

En quatrième lieu, la visite des personnes, qui peut consister en la palpation ou la fouille de leurs vêtements et de leurs bagages, ne saurait inclure une fouille à corps, impliquant le retrait des vêtements.

En cinquième lieu, si les agents des douanes peuvent appréhender matériellement les indices recueillis lors du contrôle, c’est à la condition de procéder à leur inventaire immédiat, de s’abstenir de tout acte d’investigation les concernant, de les transmettre dans les meilleurs délais à l’officier de police judiciaire compétent pour qu’il procède à leur saisie et à leur placement sous scellés et de s’assurer, dans l’intervalle, qu’ils ne puissent faire l’objet d’aucune atteinte à leur intégrité.

Enfin, la personne concernée par le contrôle, si elle fait l’objet de poursuites, dispose de la faculté de faire valoir, par voie d’exception, la nullité de ces opérations.

Cependant, conclut la Chambre criminelle, notamment en l’absence de tout recours par voie d’action ouvert à la personne directement intéressée par le contrôle, la question de savoir si ces garanties sont propres à assurer une conciliation équilibrée entre, d’une part, la liberté individuelle, le droit au respect de la vie privée et la liberté d’aller et venir, d’autre part, la lutte contre les fraudes transfrontalières et les atteintes aux intérêts financiers de l’Etat et de l’Union européenne est sérieuse [7].

En conséquence, la Cour de cassation renvoie la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

3. L’examen de la constitutionnalité de l’article 60.

Le requérant reproche à ces dispositions de permettre aux agents des douanes de procéder, en toutes circonstances et sans contrôle effectif de l’autorité judiciaire, à la visite des marchandises, des moyens de transport et des personnes, le cas échéant par l’emploi de mesures coercitives. Il en résulterait une méconnaissance de la liberté individuelle, de la liberté d’aller et de venir, du droit au respect de la vie privée et des droits de la défense.

« Sur le fond :
Selon l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression ». Son article 4 proclame que « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ».

Il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d’autre part, l’exercice des droits et libertés constitutionnellement garantis, au nombre desquels figurent la liberté d’aller et de venir et le respect de la vie privée, protégés par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789.

Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation notamment que les agents des douanes ne peuvent pas procéder à la visite d’un véhicule stationné sur la voie publique ou dans un lieu accessible au public libre de tout occupant, ni procéder à une fouille à corps de la personne contrôlée. Ils ne peuvent maintenir à leur disposition l’intéressé que le temps strictement nécessaire à leur mission et ne sont autorisés à recueillir que les déclarations faites en vue de la reconnaissance des objets découverts.

La lutte contre la fraude en matière douanière, qui participe de l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions, justifie que les agents des douanes puissent procéder à la fouille des marchandises, des véhicules ou des personnes.

Toutefois, les dispositions contestées permettent, en toutes circonstances, à tout agent des douanes de procéder à ces opérations pour la recherche de toute infraction douanière, sur l’ensemble du territoire douanier et à l’encontre de toute personne se trouvant sur la voie publique.

En ne précisant pas suffisamment le cadre applicable à la conduite de ces opérations, tenant compte par exemple des lieux où elles sont réalisées ou de l’existence de raisons plausibles de soupçonner la commission d’une infraction, le législateur n’a pas assuré une conciliation équilibrée entre, d’une part, la recherche des auteurs d’infractions et, d’autre part, la liberté d’aller et de venir et le droit au respect de la vie privée.

Par conséquent, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, les dispositions contestées doivent être déclarées contraires à la Constitution ».

Sur les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité :

Selon le deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause ».

En principe, la déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l’article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l’abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l’intervention de cette déclaration.

Ces mêmes dispositions réservent également au Conseil constitutionnel le pouvoir de s’opposer à l’engagement de la responsabilité de l’État du fait des dispositions déclarées inconstitutionnelles ou d’en déterminer les conditions ou limites particulières.

En l’espèce, d’une part, l’abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles entraînerait des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 1er septembre 2023 la date de leur abrogation. D’autre part, les mesures prises avant la publication de la présente décision ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.

Le Conseil constitutionnel décide :

Article 1er. - L’article 60 du code des douanes, dans sa rédaction issue du décret n° 48-1985 du 8 décembre 1948 portant refonte du code des douanes, est contraire à la Constitution.

Art. 2 - La déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 1er prend effet au 1er septembre 2023.
La hiérarchie douanière qui, à la différence de l’administration fiscale, a toujours su limiter les dégâts lors des précédentes réformes (5) se mure dans le silence et mijote une nouvelle mouture de l’article 60 qui fait monter la température chez les syndicats qui ont raison de s’inquiéter.

4. Vers une nouvelle version de l’article 60 qui n’a pas dit son dernier mot.

La censure par le Conseil constitutionnel des dispositions de l’article 60 du Code des douanes implique l’élaboration d’un nouveau cadre législatif d’ici le 1er septembre 2023. Ce nouveau texte doit concilier l’objectif de recherche d’auteurs d’infractions douanières avec la liberté d’aller et de venir ainsi que le droit au respect de la vie privée. Par ailleurs, la modernisation du cadre d’action de l’administration des douanes emporte des enjeux qui vont bien au-delà de la seule mise en conformité de l’article 60 précité. Ce besoin de modernisation s’exprime suivant plusieurs dimensions :

- Mieux garantir les droits et libertés, en mettant à jour certaines dispositions du code des douanes au regard des jurisprudences de la Cour de Justice de l’Union européenne, du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation ;

- Adapter le cadre de l’action douanière aux nouvelles réalités numériques et mieux appréhender la cyber-délinquance douanière dans ses différentes manifestations. Il s’agit en particulier de tirer les conséquences de l’utilisation désormais généralisée des crypto-actifs dans les schémas de fraude douanière et le blanchiment des produits de ces fraudes, ainsi que de recueillir des éléments de preuve numérique dont il convient de garantir l’intégrité ;

- Adapter certaines procédures et infractions douanières au regard de l’évolution des stratégies des réseaux de fraude et des réglementations de l’Union européenne. Il convient, par exemple, de tirer les conséquences de la complexification des activités criminelles détectées dans le cadre de l’action douanière, qui rendent nécessaire, dans le respect des droits et libertés garantis par la Constitution, l’exercice de pouvoirs douaniers qui ne soient pas limités par l’exigence du franchissement d’une frontière ;

- Renforcer la complémentarité entre l’action des services douaniers et la conduite des enquêtes judiciaires. Cette articulation doit être repensée afin de permettre à la douane d’apporter tous les éléments de preuve permettant de mieux documenter la commission d’infractions douanières et, par conséquent, d’assurer la répression effective de la délinquance douanière.

Les missions de la douane.

Administration de la frontière et de la marchandise, la douane est au cœur du processus de mondialisation. À ce titre, elle remplit simultanément une mission de soutien à l’attractivité de l’économie et à la performance des entreprises et, dans le même temps, un rôle essentiel de protection de la sécurité du territoire, de la population et de gestion des crises. La douane assure le traitement des flux de marchandises à leur entrée dans l’Union européenne et contrôle les marchandises à l’occasion des processus de dédouanement. Elle mène également une lutte globale contre les trafics, la criminalité organisée et le financement du terrorisme, particulièrement dans le domaine des stupéfiants, des tabacs et cigarettes de contrebande, de la contrefaçon, des mouvements de capitaux, des espèces animales et végétales protégées, des biens culturels, ainsi que dans le blanchiment des profits illicites issus de ces trafics.

Ces prérogatives s’exercent dans un cadre national et européen. Le code des douanes de l’Union européenne confie à la douane une mission de surveillance du commerce international de l’Union. Le code des douanes national et d’autres législations y ajoutent une mission de lutte contre la fraude et les grands trafics internationaux. À ces missions, s’ajoutent celles du contrôle migratoire découlant du statut de garde-frontière pour l’application du code Schengen, ainsi que la vérification du respect de 350 réglementations non douanières pour les marchandises entrant sur le territoire. Pour l’application de cette pluralité de réglementations, le contrôle douanier est axé sur les flux de marchandises, caractérisés par :
- des fraudes s’appuyant sur des techniques de dissimulation sophistiquées et évolutives ;
- l’imprégnation croissante du fret légal par des flux illicites, avec le développement accéléré de la technique de contrebande du « rip off » consistant à placer la marchandise illicite dans un chargement d’apparence légale et à l’insu des expéditeurs et destinataires, ou encore l’envoi de marchandises de fraude commandées sur internet ou le Darknet et dissimulées dans les flux logistiques réguliers du commerce licite. Ce contrôle, y compris dans la recherche de droits compromis ou éludés par les entreprises dans le cadre de leurs obligations déclaratives, doit, à ce titre, impérativement conserver son caractère inopiné, également imposé par le Code des douanes de l’Union. C’est à cette condition qu’il permet à l’administration des douanes d’appréhender, voire de saisir aux fins de confiscation, des marchandises sensibles qui ne doivent en aucun cas être écoulées sur le marché de l’Union ou le marché national pour des raisons de santé et/ou de sécurité publiques. Par ailleurs, l’obligation de résultat imposée par les instances européennes dans la lutte contre les fraudes au budget de l’UE impose aux douanes européennes de garantir l’effectivité des contrôles.
- Renforcer la complémentarité entre l’action des services douaniers et la conduite des enquêtes judiciaires. Cette articulation doit être repensée afin de permettre à la douane d’apporter tous les éléments de preuve permettant de mieux documenter la commission d’infractions douanières et, par conséquent, d’assurer la répression effective de la délinquance douanière.

Objectif 1 - Maintenir la surveillance douanière sur l’ensemble du territoire Il s’agit de réaffirmer la spécificité de la mission de l’administration des douanes de surveillance du ter ritoire douanier de l’Union européenne à travers la rénovation de l’article 60 permettant ainsi de sécuriser sa capacité d’action sur l’ensemble du territoire national.

1 • Modernisation du droit de visite (article 60) > Le nouveau cadre législatif proposé sécurise la capacité d’action de la douane en rendant le droit de visite des marchandises et des personnes conforme à la Constitution. Ce droit de visite dépendra du lieu géographique de son exercice : il demeurera plein et entier en zone frontière et dans la zone géographique du « rayon des douanes » (un rayon de 40 km à l’intérieur du territoire au delà de la bande frontière), ainsi que dans les ports, aéro ports, gares ferroviaires et routières internationales ; en dehors de la zone frontière et du rayon des douanes, la mise en œuvre du droit de visite devra être motivée afin d’être juridiquement sécurisée. Elle s’effectuera donc soit après l’information pré alable du procureur de la République, soit en ayant des raisons plausibles de soupçonner une infraction douanière. La capacité de réaliser des contrôles douaniers à l’intérieur du territoire demeure essen tielle pour entraver les trafics qui le traversent. > Les garanties en matière de droits des personnes qui avaient déjà été apportées au droit de visite par la jurisprudence judiciaire sont codifiées. Comme c’est déjà le cas aujourd’hui, l’article précise ainsi que la visite des personnes pourra ainsi consister en la palpation ou la fouille de leurs vêtements, de leurs bagages, ainsi que de tout autre effet personnel, mais exclut la « fouille à corps ». En outre, le maintien à disposition des personnes n’est possible que le temps strictement nécessaire aux opérations de visite ; > Enfin, le droit de visite des marchandises et des personnes tel que modifié par la loi est appliqué à l’occasion de la visite des marchandises et personnes se trouvant à bord des navires.

2 • Créer une réserve opérationnelle douanière > Constituée de citoyens volontaires et de retraités de l’administration douanière, la réserve opérationnelle de la douane permettra de faire face à des besoins ponctuels, y compris sur demande de l’autorité préfectorale en complément des autres forces de sécurité, pour l’exercice des contrôles douaniers lors des situations de crise ou d’événements internationaux ou encore pour la réalisation de tâches nécessitant

Objectif 2 - Moderniser le cadre d’exercice des pouvoirs douaniers afin de lutter > Réformer le délit de blanchiment douanier de façon à permettre à la douane d’incriminer plus facilement les flux financiers correspondant aux fraudes qu’elle recherche dans le cadre d’un renforcement de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme dans le champ des fraudes douanières. La notion de « fonds » est élargie pour couvrir pleine ment le phénomène de blanchiment par le moyen de crypto actifs. Enfin, les poursuites engagées au titre du blanchiment douanier sont élargies à tous ceux qui en auront tiré profit.

- Renforcer certaines sanctions douanières, notamment les peines réprimant le trafic de tabac, conformément aux annonces du ministre des comptes publics en décembre 2022 dans le cadre du plan d’action dédié à la lutte contre les trafics illicites de tabacs. Ces peines sont portées à 3 ans (contre 1 an aujourd’hui), pour fabrication, détention frauduleuse en vue de la vente, vente hors du monopole, introduction ou importation frauduleuse de tabacs manufacturés, et à 10 ans (contre 5 ans aujourd’hui) en cas de bande organisée. La répression de ces trafics est renforcée par un alourdissement des peines d’emprisonnement prévues au code général des impôts. L’interdiction du territoire pourra être également prononcée à l’encontre de tout étranger coupable de délits douaniers portant sur les tabacs ou les stupéfiants.

- Étendre à l’ensemble des délits douaniers la possibilité de confisquer les objets ayant servi à les commettre ou destinés à les commettre. Cette modification permettra de mieux adapter la riposte de l’État à l’ampleur inédite des multiples trafics qui le traversent.

Formule étrange qui dissimule habilement ce qui se prépare. Demandez le programme !

5. Les prochaines étapes de la réforme de l’article 60.

L’évolution du droit a parfois des effets à contre-emploi. Ainsi la formule « l’existence de raisons plausibles de soupçonner la commission d’une infraction » ou l’intervention de l’autorité judiciaire avant contrôle vont-elles avoir pour principal effet d’empêcher les douaniers d’aller à la pêche miraculeuse qui est souvent l’une des principales sources de très grosses prises permettant de découvrir des réseaux et des plans de fraude conséquents. Il faut savoir ce qu’on veut.

« S’il vous plait citoyen, ouvrez votre coffre… » ne traumatise que ceux qui veulent bien l’être comme on le constate lors de la demande de vérification du contenu des sacs pour pénétrer dans certains lieux réputés à risque. Il y a des grincheux partout mais ce n’est plus un sujet en ces temps de menaces terroristes. On peut imaginer que les syndicats vont argumenter avant le vote du nouveau texte. Sauf que le vote de ce genre de texte à pas d’heure aura de la chance s’il attire plus de 20 députés. D’où l’intérêt de ferrailler avant.

Bonne chance car, encore une fois, la pêche miraculeuse offre parfois l’énorme avantage de découvrir des fraudes de très haut niveau. Elle protège aussi la sécurité toutes catégories confondues, est-il indécent de le rappeler, et le bon peuple y trouve aussi son compte.

Reste cependant à respecter les règles de la procédure si la retenue douanière doit durer. Qui d’autre que la hiérarchie peut veiller au grain en ne se contentant pas de circulaires qui s’entassent et que bien peu d’agents lisent. Il y aurait assurément moins d’affaires en justice si la hiérarchie veillait au grain. La vigilance de chaque instant fera-t-elle un jour avancer un pas vers le respect des droits de la défense ?

Pour l’heure, sur ce terrain, on constate plus de « dérapages tolérés » que de rappel à l’ordre hiérarchique. Hiérarchie de plus en plus difficilement accessible comme l’est d’ailleurs la magistrature qui demande maintenant aux architectes de construire des palais de justice bien cloisonnés pour que les magistrats ne soient plus exposés à l’inconvénient de croiser des avocats dans les couloirs. Bordeaux, Paris pour l’instant, mais le cloisonnement général est en bonne voie pour empêcher le risque de contamination puisque l’avocat est perçu comme contagieux.

D’où la nécessité parfois de tremper la plume dans l’acide.

Jean Pannier Docteur en droit Avocat à la Cour de Paris Ancien membre du Conseil de l'Ordre Site: [->http://contentieux-fiscal-et-douanier.com]

[1Recueil de jurisprudence douanière, Jean Pannier Economica 2010 700 pages.

[2"Les pouvoirs d’investigation des agents des douanes", Première partie : Le droit de visite des marchandises, des moyens de transport et des personnes." Jean Pannier Gaz. Pal.1992 1, doctr. p.7.

[3Les pouvoirs d’investigation des agents des douanes, Deuxième partie : Le droit de visite des personnes en matière de stupéfiants. Gaz. Pal. 1992. 2

[4Stéphane Detraz RSC 2012 p. 589 (Crim., 8 février 2012, n° 11-81.259, D. 2012. 723 , note S. Detraz ; AJ pénal 2012. 291, obs. G. Roussel ; Dr. pén. 2012, comm. 40 ; Crim., QPC, 25 janvier 2012, n° 11-84.876, Dr. pén. 2012, comm. 40, obs. J.-H. Robert ; Crim., QPC, 21 mars 2012, n° 12-90.006, Dr. pén. 2012, comm. 73, obs. J.-H. Robert ; Crim., 13 juin 2012, n° 12-90.025) Martine Herzg-Evans RSC 1998 p. 735
Yann Bisiou Dalloz Actualité 7 avril 2023 Pénal Droit pénal des affaires.

[5M. Herzog-Evans, Fouilles corporelles et dignité de l’homme, RSC 1998. 735 ; S. Detraz, Constitutionnalité du droit de contrôle général de l’administration des douanes, RSC 2012. 589.

[6Stéphane Detraz RSC 2012 p. 589 (Crim., 8 février 2012, n° 11-81.259, D. 2012. 723 , note S. Detraz ; AJ pénal 2012. 291, obs. G. Roussel ; Dr. pén. 2012, comm. 40 ; Crim., QPC, 25 janvier 2012, n° 11-84.876, Dr. pén. 2012, comm. 40, obs. J.-H. Robert ; Crim., QPC, 21 mars 2012, n° 12-90.006, Dr. pén. 2012, comm. 73, obs. J.-H. Robert ; Crim., 13 juin 2012, n° 12-90.025) Martine Herzg-Evans RSC 1998 p. 735 Yann Bisiou Dalloz Actualité 7 avril 2023 PENAL Droit pénal des affaires.

[7Cass. crim 22 juin 2022 Pourvoi n° Q22-90.OO8 F-D