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Reconnaissance et exécution d’un jugement de divorce ou de responsabilité parentale en France. Par Aude Lelouvier, Avocat.
Parution : vendredi 14 avril 2023
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Vous avez divorcé à l’étranger et vous souhaitez que votre divorce soit reconnu en France ? Vous détenez un jugement étranger relatif à la responsabilité parentale de votre enfant et vous souhaitez le faire exécuter en France ? Voici la démarche à suivre !

En raison de la prolifération des échanges internationaux et en conséquence de situations familiales présentant un caractère international, il arrive fréquemment que des jugements soient rendues par un tribunal étranger et concerne notamment un divorce ou simplement la responsabilité parentale. Il peut s’agir autant d’un couple de français résidant à l’étranger, que d’un couple franco-étranger, ou encore d’un couple d’étrangers ayant des intérêts en France. Quelle que soit la situation, elle peut conduire à l’interrogation suivante : comment faire en sorte que le jugement de divorce ou de responsabilité parentale rendu par un tribunal étranger soit reconnu et exécutoire en France ?

La réponse va dépendre de l’État duquel émane la décision !

La circulation des jugements entre États membres de l’Union européenne.

En principe, si le jugement étranger a été rendu par un juge d’un État membre de l’Union européenne, il suffit simplement d’appliquer le Règlement (UE) n°2019/1111 du Conseil du 25 juin 2019, surnommé « Bruxelles II ter ».

En effet, ce Règlement est applicable en matière de reconnaissance et d’exécution des décisions entre États membres qui portent sur le divorce, la séparation de corps, l’annulation du mariage ainsi que la responsabilité parentale. Néanmoins, il convient de vérifier que la décision a bien été rendue par le juridiction étrangère après l’entrée en vigueur du texte, à savoir le 1er août 2022. A défaut, il conviendra de se référer à son prédécesseur, le Règlement « Bruxelles II bis » [1].

Par conséquent, si la décision concernée est rendue par une juridiction de l’Union européenne depuis le 1er août 2022, elle est reconnue de plein droit dans les autres États membres sans qu’il soit nécessaire de recourir à une procédure particulière [2].

Néanmoins, le texte prévoit des motifs qui peuvent conduire à s’opposer à la reconnaissance d’une décision rendue par une juridiction d’un État membre notamment si la reconnaissance de cette décision serait manifestement contraire à l’ordre public d’un État membre, ou encore si la décision est inconciliable ou qu’elle n’a pas permis au défendeur de se défendre [3].

En pratique, il suffit donc à la partie qui souhaite invoquer dans un État membre une décision rendue dans un autre État membre de produire une copie de la décision (sous réserve qu’elle remplie les conditions nécessaires pour en établir l’authenticité) ainsi qu’un certificat délivré par le juridiction de l’État membre de la décision d’origine [4].

Dans le même esprit, le Règlement supprime également toute procédure d’exequatur préalable en matière d’exécution des jugements [5]. Pour rappel, si la décision de justice implique des mesures de coercition sur les biens ou les personnes, ce qui est notamment le cas en matière de responsabilité parentale, il est nécessaire, outre la reconnaissance de la décision, que celle-ci soit exécutoire sur le territoire français afin de pouvoir revendiquer les effets coercitifs qu’elle produit.

En d’autres termes, les décisions intra-européennes ne supposent donc pas de procédure spécifique, et en conséquence, sont exécutoires dans les autres États membres sans qu’une déclaration constatant leur force exécutoire ne soit nécessaire.

Or, il apparaît à la lecture du règlement que lorsque ledit jugement rendue par la juridiction d’un État membre doit produire effet dans un autre État membre, alors aucune procédure préalable n’est désormais requise. Cependant, comme en matière de reconnaissance, les motifs de non-reconnaissance s’appliquent.

De façon similaire à la reconnaissance, pour permettre l’exécution dans un État membre d’une décision rendue dans un autre État membre, la partie qui demande l’exécution doit alors communiquer à l’autorité chargée de l’exécution une copie de la décision (sous réserve qu’elle réunisse les conditions nécessaires pour en établir son authenticité) ainsi qu’une certificat délivré par la juridiction de l’État membre de la décision d’origine [6].

En résumé, aucune procédure particulière, et encore moins devant une juridiction n’est nécessaire, il suffit juste de produire certains documents pour se prévaloir du statut de divorcés ou bien faire exécuter une décision relative à l’autorité parentale.

En revanche, les choses se corsent lorsque la circulation ne s’opère plus entre États membres…

La circulation des décisions entre un État membre de l’Union européenne et un État tiers.

Dans le cas où une décision a été rendue par la juridiction d’un État tiers et demande à être reconnue ou exécutée en France, le Règlement « Bruxelles II ter » ne peut plus s’appliquer ! Il convient alors de recourir aux règles de droit international privé nationales…

En théorie, au regard de la jurisprudence française, la reconnaissance s’opère de plein droit. Toutefois, bien qu’il s’agisse du principe, en pratique, il est nécessaire pour la partie qui souhaite qu’une décision soit reconnue en France de procéder à une procédure d’opposabilité afin que la régularité de la décision soit contrôlée. Cela suppose donc de déposer une demande auprès du Procureur de la République accompagnée d’une copie de la décision originale ainsi qu’un certificat de non-appel et la traduction de la décision si nécessaire.

Si le Procureur considère que la décision ne respecte pas le droit français et notamment l’ordre public international français c’est-à-dire les valeurs fondamentales du système français, alors la décision ne pourra pas être reconnue en France. C’est notamment le cas des jugements de divorce résultant d’une répudiation dont l’auteur ne saurait se prévaloir en France dans la mesure où ce procédé contrevient au principe d’égalité entre époux.

En outre, si l’exécution de la décision est nécessaire, la jurisprudence de la Cour de cassation [7] est très claire puisqu’elle impose le recours à une procédure d’exequatur dans le cadre de laquelle, le juge de l’exequatur est contraint de vérifier un certain nombre de conditions avant de pouvoir accorder l’exécution de la décision sur le sol français. Le juge vérifiera alors que la décision respecte trois conditions :

1° La compétence indirecte du juge français [8] : le juge vérifie qu’il existe un lien de rattachement avec la juridiction d’origine justifiant sa compétence, mais surtout que cette juridiction n’a pas été saisie en violation d’une compétence impérative du juge français.

2° Le respect de l’ordre public international de fond et de procédure : le juge vérifie que la décision n’est pas contraire à l’ordre public international français.

3° L’absence de fraude à la loi : le juge vérifie que les parties n’ont pas eu d’intention frauduleuse en soumettant leur litige à la juridiction d’origine pour évincer l’application de la loi française.

Si ces conditions sont remplies, le juge accordera l’exequatur à la décision qui lui est présentée et rendra un jugement qui donne force exécutoire à la décision étrangère.

En tout état de cause, cette procédure suppose la saisine du tribunal judiciaire par voie d’assignation ou de requête conjointe. Dès lors, le recours à un avocat est obligatoire !

Quelle que soit l’hypothèse à laquelle vous êtes confronté, il est toujours préférable de vous diriger vers un avocat spécialisé dans les contentieux internationaux afin qu’il vous oriente sur les démarches à suivre.

Aude Lelouvier Avocat au Barreau de Toulouse Docteur en droit international privé www.lelouvier-avocat.fr

[1Règlement (CE) n°2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale.

[2Règ. « Bruxelles II ter », art. 30.

[3Règ. « Bruxelles II ter », art. 38 visant les motifs de non-reconnaissance et exécution suivants :
1° Si la reconnaissance est manifestement contraire à l’ordre public de l’État membre requis ;
2° Si l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent n’a pas été signifié ou notifié au défendeur défaillant en temps utile et de telle manière qu’il puisse pourvoir à sa défense, à moins qu’il ne soit établi que le défendeur a accepté la décision de manière non équivoque ;
3° Si elle est inconciliable avec une décision rendue dans une instance opposant les mêmes parties dans l’État membre requis ;
4° Si elle est inconciliable avec une décision rendue antérieurement dans un autre État membre ou dans un État tiers dans une affaire opposant les mêmes parties, dès lors que cette première décision réunit les conditions nécessaires à sa reconnaissance dans l’État membre requis.

[4Règlement « Bruxelles II ter », art. 31.

[5Règ. « Bruxelles II ter », art. 34.

[6Règ. « Bruxelles II ter », art. 35.

[7Cass. civ. 1, 7 janvier 1964, n° 62-12.438, « Munzer ».

[8Cass., civ. 1, 6 février 1985, n° 83-11.241, « Simitch ».