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Le travail de nuit des femmes, par Sophie Cornevin Colle, Avocat.
Parution : mardi 28 mai 2002
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La question du travail de nuit des femmes a eu en France une évolution marquée par trois périodes fondamentales :

-une période d’interdiction totale (I),
-une période transitoire marquée par des dérogations et des exclusions(II),
-une période récente d’autorisation absolue et surtout d’égalité entre les salariés(III).

Mais avant toute analyse, qu’entendons nous juridiquement par travail de nuit ?

A cette question nous n’avons aucune définition légale. La même lacune est d’ailleurs observée dans les Conventions internationales qui se sont penchées sur le travail nocturne, à savoir la Convention de l’Organisation Internationale du Travail (Note : Convention n¡4 de l’O.I.T, n¡41, n¡89) et la Directive Européenne (Note : Directive n¡ 76/207/CEE du 9 février 1976.).
Toutes se contentent, sans définition expresse, de préciser uniquement les horaires considérés comme étant un travail de nuit. Ainsi, était considéré jusqu’en 2001 comme travail de nuit en France, tout travail effectué entre dix heures du soir et cinq heures du matin (Note : Article L 213-2 du Code du travail ). Pour l’Organisation Internationale du Travail, qui a elle aussi déterminé des horaires, le travail de nuit est celui effectué dans une période d’au moins onze heures consécutives, comprenant un intervalle d’au moins sept heures s’insérant entre dix heures du soir et sept heures du matin. Elle prévoit toutefois que des intervalles différents peuvent être prescrits pour différentes régions, industries, ou entreprises, mais après consultation des organisations syndicales, des employeurs et des salariés intéressés (Note : J. BUE et D. ROUX -ROSSI, Travail de nuit des femmes, Collection document travail et emploi, Ministère du travail de l’emploi et de la formation professionnelle 1993 .).

Comme nous l’avons signalé, il y a eu en France une période d’interdiction totale sur laquelle il importe de nous pencher brièvement pour mieux comprendre.

I : LE PRINCIPE D’UNE INTERDICTION TOTALE

L’interdiction du travail de nuit des femmes en France datait de la loi du 2 novembre 1892. C’est elle qui la première opérait une distinction entre les sexes dans le travail (Note : N.ARNAUD, Les contradictions du droit, in Histoire des femmes au 19 ème siècle, Paris 1991,PLON, chap. 4, page 96.). Elle était le résultat de débats parlementaires qui avaient commencé dix ans auparavant, c’est à dire en 1881. Cette loi du 2 novembre 1892, reprise par l’article L.213 du Code du travail instaurait un principe général d’interdiction de tout travail de nuit aux femmes.
Il importe d’examiner le contenu de cette interdiction (b) ainsi que les fondements qui étaient avancés pour essayer de justifier cette position discriminatoires (a).

a : Le fondement de cette interdiction : Protection ou exclusion ?

Depuis les premiers débats parlementaires européens, les raisons toujours avancées pour exclure les femmes du travail de nuit étaient le souci de protection :

- Tout d’abord la protection de son intégrité physique, en évitant qu’elle ne subisse des violences la nuit de la part des hommes, ou de protéger ces"femmes, représentantes d’un sexe dit faible, contre les fatigues d’un travail professionnel entre 8 heures du soir et 6 heures du matin" (Note : Proposition de loi n¡208 du 3 mai 1973, de Madame VERDIN, doc. parl., Sénat, session 1972 -1973.).

- La protection de sa procréation car pour certains, il fallait protéger les femmes en tant que productrices, mais surtout en tant que reproductrices ; Il fallait leur éviter les travaux pénibles susceptibles de les rendre inaptes à procréer. Ce qui à fait dire à certains"que c’était non pas la protection des femmes en tant que personne, que celle de leur corps potentiellement fécond "(Note : R.DHOQUOIS, Droit du travail, protection de la productrice ou protection de la reproduction : l’exemple de la loi du 2 novembre1882, Actes novembre, décembre 1977. )

- La protection de sa morale : Le but était d’éviter que les femmes ne travaillent la nuit où elles peuvent être victimes d’actes susceptibles de blesser leur moralité.
Mais en réalité, malgré le bien fondé de cette protection féminine, on se posait la question de savoir si ce n’était pas un moyen de marginaliser les femmes du marché du travail ? ou plutôt de protéger non pas le corps des femmes, mais les corps de métiers masculins et freiner la concurrence féminine ? C’est du moins l’avis de certains auteurs (Note : P.SEGUIN, L’adaptation du droit du travail, Dr. Soc., n¡ 2, décembre 1986, page 828 à 833.). De toutes les manières le principe de lœinterdiction était adopté.

b : Le contenu de l’interdiction

En vertu de l’article L.213-1, le travail de nuit des femmes était interdit :

-dans les usines, manufactures, mines et carrières, chantiers, ateliers et leurs dépendances, de quelque nature que ce soit, publics ou privés, laîques ou religieux, même lorsque ces établissements ont un caractère d’enseignement professionnel ou de bienfaisance ;

-dans les offices publics ou ministériels, les établissements des professions libérales, des sociétés civiles, des syndicats professionnels et des associations de quelque nature que ce soit.
Nous constatons que dans cette loi, le champs couvert par l’interdiction était large et la nature des travaux concernés par l’interdiction n’était pas définie, mais seuls étaient visés les types d’établissements auxquels s’appliquait l’interdiction.
Mais alors, dès le lendemain de sa promulgation, la loi de 1892 qui posait d’énormes difficultés devait être largement transgressée. Cette situation permit l’instauration législative de plusieurs dérogations (La loi du 25 janvier 1925 avait prévu 2 types de dérogations : le travail de nuit des femmes est possible temporairement dans les industries ayant des denrées périssables, dans les industries de fruits et légumes, poissons, fruits confits, établissements de traitement du lait ; dérogations en cas de chômage résultant d’une interruptio6n accidentelle ou de force majeure ; en 1982 , la l’ordonnance du 16 janvier a permis la possibilité de déplacer de deux heures les limites horaires fixées par la loi .) et exclusions (Note : la loi du 2 janvier 1979 prévoit que l’interdiction est exclue pour certains établissements commerciaux, exclusion pour les femmes ayant des postes de responsabilité, des postes de direction ou techniques, exclusion pour les femmes cadres, ingénieurs, agents de ma”trise ou techniciennes selon les cas. la promulgation de la loi du 2 janvier1979 qui autorisait le travail de nuit aux femmes occupant des postes de direction ou techniques qui impliquaient une responsabilité , les femmes occupant les travaux du service d’hygiène et du bien être), qui aboutiront à la législation de 1987, qui apportera de nouvelles dispositions sur la durée du travail.

II : LA LOI DU 19 JUIN 1987 ET L’AUTORISATION CONTRACTUELLE

Dès 1987, une période transitoire devait intervenir car une brèche devait s’ouvrir avec la loi Seguin sur l’aménagement du temps de travail, loi qui portait une clause sur le travail de nuit. Cette initiative était confortée par la révision de la convention n¡89 du B.I.T. de juin 1990 qui levait l’interdiction. Sans toutefois abroger l’interdiction existante, la loi Séguin avait prévu une possibilité de la lever.
Mais tout cela était subordonné au respect de trois conditions : l’article L. 213-3 du Code du travail prévoyait que ce travail de nuit devait être exceptionnel, il devait se faire en équipes successives, et surtout il fallait que ce travail soit subordonné à une double négociation (Note : Convention ou accord de branche étendu ,et convention ou accord d’entreprise. Ce dernier types d’accord pouvant être remplacé par une autorisation de l’inspecteur du travail dans les entreprises sans délégués syndicaux).

Mais en réalité, sur le plan européen, la France se trouvait isolée : certains pays avaient très tôt émis des doutes sur le maintien de ces lois et conventions discriminatoires, cela au nom du principe d’égalité entre les hommes et les femmes : c’était par exemple le cas de l’Irlande pour qui cette interdiction était discriminatoire et empêchait les femmes d’avoir des emplois (Note : Inégalité des Chances en Matière d’Emploi , Tendance et perspectives, Femmes au travail, B.I.T n¡ 2, 1987, page 35 à 44. ). En 1987, plus précisément le 29 mai, le Bureau International du Travail se penchait sur toute la convention, et en juillet 1990 de nouveaux textes étaient adoptés sur le travail de nuit. Ces textes avaient la caractéristique d’être généraux, applicables aux hommes et aux femmes (Note : BIT 236e conférence internationale du travail session Genève mai 1987 doc. GB 236- 2.1 ).

Sur le plan européen, la directive 76/207/CEE du 9 février 1976 en son article 5 allait dans le même sens et n’interdisait pas le travail de nuit aux femmes. D’ailleurs dans l’arrêt STOECKEL (Note : C.J.C.E., 25 juillet 1991, arrêt C-345/89, STOECKEL, rec. de jurisp. De la C.J.C.E., pageI.4062 à I. 4068) du 9 février 1991, la Cour de Justice des Communautés Européennes s’était prononcée sur la légalité de la norme française au regard de la directive du 9 février 1976 qui prévoyait l’égalité de traitement entre les deux sexes pour l’accès à l’emploi, à la formation professionnelle et les conditions de travail.

A l’occasion d’une question préjudicielle qui lui était posée, la Cour avait décidé que le soucis de protection qui avait inspiré à l’origine l’interdiction, n’apparaissait plus fondé, en dehors des cas de grossesses ou de maternité. Elle mis en demeure la France d’accorder son droit national au droit européen. Depuis le 9 mai 2001, c’est la position adoptée par la France

III : LA LOI DU 9 MAI 2001 OU L’AUTORISATION TOTALE ET L’EGALITE PROFESSIONNELLE INSTAUREE

Par nécessité de se mettre en conformité avec la directive européenne assurant l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes, et pour éviter une condamnation au paiement d’une astreinte financière de 14482,66 par jours à partir du 30 novembre 2000, le 9 mai 2001, l’interdiction du travail de nuit des femmes était levée( loi n¡2001-397 du 9 mai 2001). Cette nouvelle loi sur l’égalité professionnelle entre hommes et femmes apporte de nouveaux aménagements au travail de nuit, en l’ouvrant cette fois-ci à tous les salariés de l’industrie.
Cette loi, tout en redéfinissant la notion de travail de nuit (a), prévoit de nouvelles conditions du recours au travail de nuit (b), et fait largement référence à la santé et à la situation familiale des salariés(c).

a :Une plage horaire plus élargie

Avec la nouvelle loi, le travail de nuit est désormais celui compris entre 21 heures et 6 heures du matin et non plus entre 22 heures et 5 heures du matin comme cela était le cas dans l’ancien article L.213-2 du Code du travail.

b :Les conditions du recours au travail de nuit

Selon les dispositions de l’article L.213-1, le recours au travail de nuit ne doit pas être automatique. Il ne doit être choisi que de manière exceptionnelle, et devra être justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité ou des services d’utilité sociale
De plus, pour mettre en place le travail de nuit , la démarche choisie par le législateur est la convention ou un accord collectif de branche étendu, ou alors un accord d’entreprise ou d’établissement.
L’accord collectif devra comporter des justifications du recours au travail de nuit et prévoir une contrepartie sous forme de repos compensateur, et le cas échéant sous forme de compensation salariale, ainsi que l’organisation de temps de pose.

c :Des références à la santé et à la situation familiale des salariés

Des propositions visant à faciliter la conciliation entre l’activité nocturne et les responsabilités familiales se traduisent par de nouvelles dispositions concernant tout d’abord le passage du travail de nuit au travail de jour. Selon l’article L 213-4-2, le salarié pourra toujours retourner à un poste de jour lorsque le travail de nuit s’avère incompatible avec ses obligations familiales impérieuses comme par exemple la garde d’enfants ou la garde de personnes dépendantes.
Selon l’article L.213-4-3, il pourra tout aussi refuser le travail de nuit pour les mêmes raisons, et ce refus ne devra pas constituer une faute ou un motif de licenciement.
Les salariés de nuit souhaitant passer à un travail de jour ou vis-versa, bénéficieront d’une priorité d’emploi.

Sur le plan de la santé, le recours au travail de nuit doit prendre en compte les impératifs de sécurité et de santé des travailleurs, si la femme est enceinte ou vient d’accoucher, elle pourra toujours à sa demande être affectée à un poste de jour pendant sa grossesse et pendant la période de congé post natal lorsque la totalité du congé de maternité n’a pas été prise.
Tous les travailleurs de nuit devront bénéficier d’une surveillance médicale accrue, et cela au minimum tous les six mois. En cas de mise en place ou alors de modification de l’organisation du travail de nuit, le médecin du travail devra préalablement être consulté.


Auteur : Sophie CORNEVIN COLLET
Avocat à la Cour depuis 1989
9, rue du général de Larminat - 94000 CRETEIL
Tél : 0149804900
Fax : 0143999793
Cabinet secondaire : 27 boulevard GALLIENI, 94360 BRY sur MARNE

Certificat de spécialité :
Droit social

Secteurs d’intervention :
-Litiges individuels et collectifs résultant du contrat de travail
-Droit de la famille
-Contentieux des accidents de la circulation
-Droit de la construction
-Droit du sport

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