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L’écriture inclusive : qu’en est-il en droit ? Par Raphaël Hérimian Avakian, Juriste.
Parution : mardi 2 mai 2023
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L’écriture inclusive est un sujet de controverse qui suscite un débat de société sulfureux, opposant les progressistes et les puristes de la langue française.
Sans se prononcer sur le bien fondé ou non de l’usage de l’écriture inclusive, l’objet de cet article est de faire le point sur ce que dit le droit en matière d’écriture inclusive et de revenir sur la décision du 14 mars 2023 du TA de Paris.

Née d’une prise de conscience de certains mouvements féministes, elle prétend réduire les inégalités dans les langues, construites selon ces organisations sur des bases masculines et patriarcales.
Partant du principe que les femmes étaient souvent exclues en l’absence de variante féminine d’un mot masculin, par exemple, l’écriture inclusive se veut plus adaptée à l’inclusion, par la création notamment de nouveaux termes, pour inclure toutes les personnes indépendamment de leur genre.

Devenue un réel sujet de société à l’heure où la mise en avant des minorités et les débats sur les identités de genre font leurs choux gras, l’écriture inclusive est à la fois perçue comme l’outil louable de l’égalité et comme la déconstruction violente de la langue.

Les avis sont en effet controversés. L’ancienne secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, présentait l’écriture inclusive comme un outil louable pour asseoir la Femme dans la société moderne : « L’écriture inclusive, c’est reconnaître que la langue française a toujours été exclusivement masculine et que cela doit changer pour rendre visible la place des femmes dans notre société ».
En revanche, l’Académie française, qui a pour mission de veiller à la définition et la normalisation de la langue française depuis 1635, considère que l’écriture « est un contresens linguistique et une aberration. Elle complique inutilement la lecture et ne contribue en rien à la promotion de l’égalité des sexes ».
La controverse est posée.

D’un point de vue juridique, certains pays se sont prononcés favorablement à l’écriture inclusive, si bien que son utilisation a été consacrée par certaines dispositions. Ce fut le cas au Mexique dans un décret présidentiel de 2021 où l’utilisation de l’écriture inclusive est exigée dans les documents gouvernementaux. Plus localement, la Ville de Buenos Aires a notamment exigé l’usage de l’écriture inclusive dans les documents officiels de la métropole, dans sa loi sur la communication gouvernementale n°5.452/2018, de même que le décret exécutif n°18-032 en Belgique, qui encourage le langage neutre dans les documents officiels de l’administration.
D’autres pays préfèrent ne pas mentionner l’écriture inclusive dans les textes de loi, mais plutôt dans les guides d’utilisation. Par exemple, certaines provinces du Canada encouragent l’écriture inclusive dans les communications gouvernementales ou universitaires, ainsi que dans les livres scolaires, mais sans l’insérer pour autant dans la loi. Le gouvernement du Québec a néanmoins publié un guide d’utilisation de l’écriture inclusive en 2018, de quoi faire exister cette recommandation comme une obligation tacite ou du moins une pratique très fortement recommandée.

Juridiquement en France, l’écriture inclusive n’existe dans aucune disposition.

Elle ne figure même pas dans la loi n°2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté en France, qui impose la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes contre les discriminations en son article 183, même si son guide d’utilisation a présenté l’écriture inclusive comme un moyen de parvenir à cette égalité.
L’Académie française et le gouvernement ont d’ailleurs exprimé leur opposition à l’utilisation de l’écriture inclusive dans les textes officiels (ex. Circulaire du 21 novembre 2017 relative aux règles de féminisation et de rédaction des textes publiés au JO), invoquant les arguments selon lesquels elle n’aurait aucun impact sur les discriminations et que cela rendrait les textes difficiles à comprendre.

Néanmoins, malgré ces réserves, une jurisprudence récente du Tribunal administratif de Paris est venue confirmer la légalité de l’utilisation de l’écriture inclusive dans l’espace public.
Il s’agissait en l’espèce de l’association Francophonie Avenir qui avait fait une requête pour faire retirer deux plaques commémoratives rédigées en écriture inclusive et accrochées sur la décision de la maire de Paris.
C’est par une décision du 14 mars 2013 que le Tribunal administratif rejette cette requête sur le fondement de la loi du 4 août 1994 qui préconise l’utilisation de la langue française.
Selon le Tribunal, l’écriture inclusive n’est pas contraire à la langue française et donc ne contrevient pas à l’obligation légale d’utiliser la langue française dans les textes officiels.

Malgré tout, l’usage de l’écriture inclusive en France reste assez marginal et controversé. Certains militants pour l’égalité des genres et le langage inclusif continuent de faire pression sur les autorités pour que l’écriture inclusive soit reconnue et encouragée, tandis que d’autres défenseurs de la langue française s’opposent fermement à son utilisation.

Le débat reste ouvert, et il est difficile de prédire si l’écriture inclusive finira par s’imposer comme une norme acceptée et généralisée, ou si elle restera un sujet de débat et de controverse.

Raphaël A. Hérimian, Juriste Droit des affaires et des nouvelles technologies.
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