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TEOM : le juge admet la prise en compte des charges exceptionnelles de fonctionnement. Par Anne-Margaux Halpern, Avocat.
Parution : jeudi 27 avril 2023
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Par l’arrêt du 14 avril 2023, le Conseil d’Etat s’inscrit dans le prolongement des dernières jurisprudences, ayant considérablement assoupli les règles applicables en matière de Taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM).
En effet, après avoir fait usage de son pouvoir d’instruction et sollicité l’envoi de documents complémentaires, il admet que les charges exceptionnelles de fonctionnement lorsqu’elles n’ont pas le caractère de dépenses d’ordre puissent être prises en compte dans le calcul de la TEOM. 

CE, 14 avril 2023, req. n°465403, ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique c/ société OPPCI Sogecapimmo.

La société OPPCI Sogecapimmo a saisi le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise d’une demande tendant à la décharge des cotisations de taxe d’enlèvement des ordures ménagères auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2019 et 2020, à raison des locaux dont elle est propriétaire à Sèvres (Hauts-de-Seine). Par un jugement du 7 juin 2022, le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise a fait droit à sa demande.

Le ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique a saisi le Conseil d’Etat d’un pourvoi en cassation.

Après avoir admis l’intervention de l’établissement public territorial Grand Paris Seine Ouest, le Conseil d’Etat a rappelé les règles relatives aux dépenses à prendre en compte dans le calcul de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères.
Il a ainsi jugé que la TEOM n’est pas un prélèvement opéré sur les contribuables en vue de pourvoir à l’ensemble des dépenses des collectivités mais une taxe ayant pour objet de couvrir exclusivement les dépenses exposées en matière d’enlèvement et de traitement des ordures ménagères et non couvertes par des recettes non fiscales. Le produit de cette taxe et, par voie de conséquence son taux, ne doivent pas être manifestement disproportionnés par rapport au montant de telles dépenses, tel qu’estimé à la date de la délibération fixant ce taux. Après avoir jugé que les charges exceptionnelles de fonctionnement – sous réserve qu’elles n’aient pas le caractère dépenses d’ordre – sont des dépenses réelles de fonctionnement entrant dans le champ de la TEOM, il a annulé le jugement du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise.

Statuant au fond, sur le fondement de l’article L. 821-2 du Code de justice administrative, le Conseil d’Etat a procédé à un raisonnement en deux temps.

En premier lieu, après avoir examiné le budget primitif et fait usage de son pouvoir d’instruction, il a analysé l’ensemble des dépenses susceptibles d’être prises en compte dans le calcul de la TEOM. Ainsi, il a pris en compte les dépenses réelles de fonctionnement exposées au titre du service d’enlèvement et d’élimination des déchets ménagers ou assimilés dont les charges exceptionnelles, les dépenses réelles d’investissement, la quote-part du coût des directions ou services transversaux de l’établissement public territorial Grand Paris Seine Ouest et enfin les recettes non fiscales, au titre des années 2019 et 2020.

En second lieu, il a apprécié le caractère proportionné du taux de TEOM en examinant le produit attendu de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, par rapport au montant des dépenses que cette taxe a vocation à couvrir. Après avoir relevé que le produit attendu de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères excédait seulement de 13,84 % en 2019 et de 11,35 % en 2020 le montant des dépenses que cette taxe a vocation à couvrir, il en a conclu que les taux fixés par les délibérations dont la légalité est contestée ne peuvent pas être regardés comme manifestement disproportionnés.

Cet arrêt attire l’attention à plusieurs titres.

Le Conseil d’Etat confirme la recevabilité de l’intervention de l’établissement public territorial Grand paris Seine Ouest ayant voté le taux de TEOM, en 2019 et 2020, aux côtés de l’Etat, pour défendre ledit taux.
À la différence des contentieux administratifs « classiques » pour lesquels l’auteur de l’acte a la qualité de défendeur dans le cadre de l’action tendant à son annulation, le contentieux de la TEOM présente une spécificité. Pour cette catégorie particulière de contentieux, la défense de la légalité de la délibération fixant le taux de TEOM est assurée par le ministre de l’Économie.

S’inscrivant dans le prolongement de la jurisprudence ministre de l’Économie c/ Société Euro Dépôt Immobilier [1], aux termes de laquelle il avait jugé que : « Est recevable à former une intervention, devant le juge du fond comme devant le juge de cassation, toute personne qui justifie d’un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l’objet du litige. Il résulte de la nature et de l’objet du contentieux exposé au point 1, que l’établissement public territorial Grand Paris Seine Ouest justifie d’un intérêt de nature à le rendre recevable à intervenir devant le juge de l’impôt compte tenu de la particularité des litiges en matière de taxe d’enlèvement des ordures ménagères », le Conseil d’État juge que l’établissement public territorial Grand Paris Seine Ouest est recevable à former une intervention devant le juge de l’impôt, lorsque celui-ci est saisi d’une demande de décharge de cette taxe, compte tenu de la particularité des litiges en matière de TEOM.
La confirmation par le Conseil d’État de l’intérêt d’une personne publique ayant voté le taux de TEOM à intervenir à l’instance tendant à la décharge de cotisation de ladite taxe se justifie d’autant plus que depuis la Loi de finances n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 pour 2019 et l’introduction d’un IV à l’article 1520 du CGI, ce n’est plus l’État qui supporte les conséquences financières de l’illégalité des délibérations en matière de TEOM mais les collectivités.
Il est donc particulièrement satisfaisant de constater que lors des contentieux, les collectivités – qui disposent des éléments chiffrés ayant conduit au vote du taux de TEOM – interviennent aux côtés de l’Etat.

Le Conseil d’Etat élargit les dépenses susceptibles d’être prises en compte dans le calcul de la TEOM aux charges exceptionnelles de fonctionnelles lorsqu’elles n’ont pas le caractère de dépenses d’ordre.
La Haute juridiction commence par rappeler que la TEOM couvre les seules dépenses de fonctionnement exposées pour le service public de collecte et de traitement des déchets ménagers et des déchets mentionnés à l’article L. 2224-14 du CGCT ainsi que les dépenses directement liées à la définition et aux évaluations du programme local de prévention des déchets ménagers et assimilés, non couvertes par des recettes non fiscales affectées à ces opérations.
Puis après avoir élargi la notion de dépenses de fonctionnement susceptibles d’être prises en compte dans la TEOM aux « dépenses correspondant à une quote-part du coût des directions ou services transversaux centraux de la collectivité, calculée au moyen d’une comptabilité analytique permettant, par différentes clés de répartition, d’identifier avec suffisamment de précision les dépenses […] directement exposées pour le service public de collecte et de traitement des déchets ménagers et des déchets » [2], précisé que le produit de la redevance spéciale n’avait pas à financer la totalité des dépenses de collecte et de traitement des déchets non ménagers lesquelles pouvaient être couvertes par la TEOM pour leur part non couverte par cette redevance ou d’autres recettes non fiscales [3], le Conseil d’Etat se prononce, plus spécifiquement, sur les charges exceptionnelles de fonctionnement « lorsqu’elles n’ont pas le caractère de dépenses d’ordre ».

Le Conseil d’Etat juge que c’est à tort que le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a jugé que la prise en compte des coûts transversaux du service de collecte et de traitement des déchets, issus de la comptabilité analytique, permettait de réduire les aléas de gestion. Au contraire, la prise en compte de ces coûts n’a pas pour effet de priver de leur caractère prévisionnel les dépenses prises en compte pour la détermination du taux de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères à la date du vote de la délibération, et, par suite, de supprimer l’aléa inhérent à l’exécution du budget.

S’agissant de l’appréciation du caractère proportionné du taux de TEOM, le Conseil d’Etat apprécie l’absence de disproportion manifeste entre le produit de la taxe et le coût de collecte et de traitement des seuls déchets ménagers, non couvert par les recettes non fiscales, en se fondant sur les données du budget primitif, connues à la date de la délibération fixant le taux de la TEOM [4] mais également au regard des informations obtenues à la suite d’une mesure d’instruction. Pour rappel, dans l’arrêt du 1er juillet 2020 [5], le Conseil d’Etat avait posé le principe selon lequel les juridictions administratives ont l’obligation – et non la simple faculté - de faire usage de leurs pouvoirs d’instruction si elles estiment que les documents fournis par les parties ne leur permettent pas d’apprécier le caractère proportionné ou non de la taxe. Ainsi, dans le présent litige, le Conseil d’Etat a fait usage de son pouvoir d’instruction et sollicité de l’établissement public territorial Grand Paris Seine Ouest des documents complémentaires lui ayant permis d’apprécier le caractère proportionné du taux de TEOM.
Il en conclut que le taux de TEOM, voté par l’établissement public territorial Grand Paris Seine Ouest, en 2019 et en 2020, n’est pas disproportionné.

En conclusion : Par cet arrêt, le Conseil d’Etat confirme la recevabilité de l’intervention des personnes publiques ayant voté le taux de TEOM dans les contentieux TEOM. Sur le fond, il poursuit sa définition des dépenses susceptibles d’être couvertes par la TEOM et juge que les charges exceptionnelles de fonctionnement n’ayant pas le caractère de dépenses d’ordre sont des dépenses de fonctionnement susceptibles d’être couvertes par la TEOM.

Anne-Margaux Halpern Avocat - Droit public des affaires Barreau de Lyon Cabinet Adaltys Avocats.

[1CE, 30 septembre 2022, req. n°455364.

[2CE, 22 octobre 2021, req. n°434900, Métropole de Lyon c/ Association des contribuables actifs du lyonnais ; CE, 2 février 2022, req. n°453627.

[3CE, 29 novembre 2021, req. n° 454684.

[4CE, 16 janvier 2018, n°412679, n°401613, n°401615 ; CE, 22 octobre 2021, req. n°434900, Métropole de Lyon c/ Association des contribuables actifs du lyonnais.

[5CE, 1er juill. 2020, n° 424288, Immobilière Groupe Casino et Sté Mercialys.