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Litiges avocat collaborateur/cabinet : quelles sont les conséquences de l’arrêt du 8 mars 2023 ? Par Frédéric Chhum, Avocat.
Parution : mardi 2 mai 2023
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Si les articles 7 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée et 142 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 modifié prévoient une conciliation préalable à l’arbitrage du bâtonnier, ils n’instaurent toutefois pas une procédure de conciliation obligatoire dont le non-respect serait sanctionné par une fin de non-recevoir.
C’est ce qu’affirme la Cour de cassation dans un arrêt de la 1ère chambre civile du 8 mars 2023 (n°22-10.679).

1) Faits et procédure.

Selon l’arrêt attaqué (Montpellier, 24 novembre 2021), le 29 octobre 2020, à la suite de la rupture de son contrat de collaboration libérale, Mme [Y], avocate, a conclu une transaction avec la société PVB avocats.

Le 1er décembre 2020, Mme [Y] a, sur le fondement de l’article 142 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, saisi le bâtonnier de l’ordre des avocats de Montpellier en nullité de la transaction et en paiement d’une indemnité de préavis et d’une indemnité au titre d’un préjudice moral.

Par décision du 30 décembre 2020, le bâtonnier a rejeté la fin de non-recevoir invoquée et tirée de l’absence de conciliation préalable, prononcé la nullité de la transaction, condamné la société PVB avocats à payer à Mme [Y] une indemnité de préavis et Mme [Y] à lui restituer l’indemnité transactionnelle, ordonné la compensation de ces sommes et alloué à Mme [Y] des dommages-intérêts. La société PVB avocats a formé appel de la décision.

2) Motivation sur moyen relevé d’office par la Cour de cassation.

Au visa des articles 7 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée et 142 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Montpellier du 24 novembre 2021.

Selon le premier de ces textes, les litiges nés d’un contrat de travail ou d’un contrat de collaboration libérale sont, en l’absence de conciliation, soumis à l’arbitrage du bâtonnier.

Selon le second, à défaut de conciliation, le bâtonnier du barreau auprès duquel l’avocat collaborateur ou salarié est inscrit est saisi par l’une ou l’autre des parties et l’acte de saisine précise, à peine d’irrecevabilité, l’objet du litige, l’identité des parties et les prétentions du saisissant.

Si ces dispositions prévoient une conciliation préalable à l’arbitrage du bâtonnier, elles n’instaurent toutefois pas une procédure de conciliation obligatoire dont le non-respect serait sanctionné par une fin de non-recevoir.

Pour déclarer irrecevable la requête aux fins d’arbitrage formée le 1er décembre 2020 par Mme [Y], l’arrêt retient que la procédure de conciliation pour les litiges nés à l’occasion d’un contrat de collaboration entre avocats est un préalable obligatoire à l’engagement de toute action contentieuse auprès du bâtonnier et relève que Mme [Y], s’étant bornée à adresser, le 6 novembre 2020, à la société PVB avocats une mise en demeure d’avoir à lui régler les sommes dues au titre de son préavis, n’a présenté aucune demande de conciliation.

En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

La Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel de Montpellier du 24 novembre 2021 et renvoie les parties devant la Cour d’appel de Lyon.

3) Analyse.

L’article 7 dernier alinéa de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 dispose que

« Les litiges nés à l’occasion d’un contrat de travail ou de la convention de rupture, de l’homologation ou du refus d’homologation de cette convention ainsi que ceux nés à l’occasion d’un contrat de collaboration libérale sont, en l’absence de conciliation, soumis à l’arbitrage du bâtonnier, à charge d’appel devant la cour d’appel. En ces matières, le bâtonnier peut, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat, déléguer ses pouvoirs aux anciens bâtonniers ainsi qu’à tout membre ou ancien membre du conseil de l’ordre ».

L’article 142 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 dispose que

« Pour tout litige né à l’occasion d’un contrat de collaboration ou d’un contrat de travail, à défaut de conciliation, le bâtonnier du barreau auprès duquel l’avocat collaborateur ou salarié est inscrit est saisi par l’une ou l’autre des parties soit par requête déposée contre récépissé au secrétariat de l’ordre des avocats, soit par lettre recommandée avec demande d’avis de réception.

L’acte de saisine précise, à peine d’irrecevabilité, l’objet du litige, l’identité des parties et les prétentions du saisissant ».

La Cour de cassation, par un moyen relevé d’office, affirme que

« Si les articles 7 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée et 142 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié prévoient une conciliation préalable à l’arbitrage du bâtonnier, ils n’instaurent toutefois pas une procédure de
conciliation obligatoire dont le non-respect serait sanctionné par une fin de non-recevoir
 ».

Dès lors, les avocats collaborateurs ou les cabinets qui saisissent le bâtonnier d’un litige n’ont plus à passer obligatoirement par la phase de conciliation puisque le non-respect du préalable de conciliation n’est pas sanctionné par une fin de non-recevoir.

Toutefois, nous recommandons aux avocats collaborateurs et ou aux cabinets qui saisissent le bâtonnier de demander à passer par la commission de conciliation (au Barreau de Paris, il s’agit de la commission DEC (difficultés d’exercice de la collaboration).

Pourtant, les procédures de conciliation préalables à l’arbitrage du bâtonnier permettent souvent aux parties de trouver un accord.

A cet égard, à Paris, le taux de conciliation est d’environ 60% devant la commission DEC (commission difficultés d’exercice en collaboration).

Par ailleurs, ces conciliations permettent aussi une issue rapide des dossiers.

Alors que les MARDS (Modes alternatifs de règlements des litiges) sont de plus en plus développés, cet arrêt de la Cour de cassation apparaît à contre-courant.

Toutefois, la Cour de cassation n’a fait qu’appliquer les textes en vigueur.

Dès lors, selon nous, une modification de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 s’impose pour faire que l’absence de préalable de conciliation soit sanctionnée par une fin de non-recevoir.

Dans un arrêt du 8 mars 2023 n°21-19.620 concernant un litige entre avocats associés, la première chambre civile de la Cour de cassation statue dans le même sens.

A cet égard, les litiges entre associés sont souvent inextricables.

A Paris, la Commission CEG (Commission d’Exercice en Groupe) du barreau de Paris aussi permet de régler un grand nombre de litige en évitant l’arbitrage du bâtonnier.

De la même manière, une réforme législative s’impose pour la même raison qu’exposée ci-dessus.

Sources.

Cass. civ. 1ère 8 mars 2023 n° 22-10.679
Cass. civ. 1ère 8 mars 2023 n° 21-19.620

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum