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La prescription biennale court à compter de l’achèvement des travaux. Par Emmanuel Lavaud, Avocat.
Parution : mercredi 3 mai 2023
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La 3ème chambre civile de la Cour de cassation aligne sa jurisprudence sur celle de la 1ère chambre civile en retenant qu’en matière de marchés de travaux, en application des articles 2224 du Code civil et L137-2, devenu L218-2, du Code de la consommation, l’action en paiement de travaux et services engagée à l’encontre de consommateurs par un professionnel se prescrit à compter de la date de la connaissance des faits permettant à ce dernier d’exercer son action.

Cette date est caractérisée, hormis les cas où le contrat ou la loi en disposent autrement, par l’achèvement des travaux ou l’exécution des prestations, cette circonstance rendant sa créance exigible.

Dans l’espèce ayant conduit à l’arrêt de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation du 1er mars 2023, un maître d’ouvrage a confié des travaux de construction d’un mur de soutènement et de réfection de terrasses à la société Maçonnerie générale Pastorelli (la société Pastorelli).

Cette dernière a adressé une facture du solde des travaux le 19 décembre 2011 à sa cliente.

Le maître d’ouvrage a refusé de régler cette facture, en invoquant probablement des désordres affectant selon lui le chantier.

A l’initiative de ce maître d’ouvrage, une expertise amiable a été diligentée au contradictoire de la société Pastorelli, et le rapport d’expertise a été établi le 17 décembre 2012.

Face au refus persistant du maître d’ouvrage de régler sa facture, la société Pastorelli l’a assigné en paiement de sa facture devant le tribunal.

Par un arrêt du 27 mai 2021, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a jugé prescrite l’action de la société Pastorelli au motif que son action était intervenue plus de deux ans après l’émission de sa facture.

La société Pastorelli a formé un pourvoi devant la Cour de cassation. Selon elle en effet, le délai de prescription biennale devait courir à compter la date à laquelle la créance constituée du solde du prix restant dû était devenue exigible. En l’espèce, selon elle, la créance était exigible à compter de l’issue de l’expertise amiable diligentée au contradictoire de la société Pastorelli, ayant conduit au rapport établi le 17 décembre 2012.

Cette position était manifestement fragile puisque la facture du solde des travaux est quoi qu’il en soit exigible à l’issue du chantier, ou selon la jurisprudence désormais ancienne à compter de la date d’émission de la facture, peu importe que le maître d’ouvrage conteste la qualité des travaux exécutés.

Pour l’indemnisation des désordres, ce sont les garanties légales qui vont lui permettre d’obtenir réparation. Il ne peut pas se faire justice à lui-même en refusant de régler la dernière facture, dès lors que le chantier est achevé.

Le pourvoi est donc rejeté sans surprise par la Cour de cassation.

Mais c’est la motivation de cet arrêt qui est particulièrement intéressant, car la Cour de cassation procède à une uniformisation de sa jurisprudence avec celle de la 1ère chambre civile en affirmant clairement que le délai de prescription biennale court à compter de l’achèvement du chantier, et non pas à compter de l’émission de la facture.

Rappelons tout d’abord qu’aux termes de l’article L137-2, devenu L218-2, du Code de la consommation, « L’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans ».

Ajoutons que suivant l’article 2224 du Code civil, le délai de prescription court à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

La Cour de cassation expose de manière particulièrement pédagogique que

« S’il a été jugé que le point de départ du délai biennal de prescription se situait, conformément à l’article 2224 du Code civil, au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer l’action concernée [1], il a été spécifiquement retenu, comme point de départ, dans le cas d’une action en paiement de travaux formée contre un consommateur, le jour de l’établissement de la facture [2] ».

Cependant, poursuit-elle, « la Cour de cassation retient désormais que l’action en paiement de factures formée contre un professionnel, soumise à la prescription quinquennale de l’article L110-4 du Code de commerce ou contre un consommateur, soumise à la prescription biennale de l’article L137-2, devenu L218-2, du Code de la consommation, se prescrit à compter de la date de la connaissance par le créancier des faits lui permettant d’agir, laquelle peut être caractérisée par l’achèvement des travaux ou l’exécution des prestations » [3].

Elle en conclut

« qu’au regard des dispositions de l’article 2224 du Code civil dont l’application a été admise pour déterminer le point de départ du délai de l’article L137-2, devenu L218-2, du Code de la consommation, et afin d’harmoniser le point de départ des délais de prescription des actions en paiement de travaux et services, il y a donc lieu de prendre en compte la date de la connaissance des faits qui permet au professionnel d’exercer son action, laquelle est caractérisée, hormis les cas où le contrat ou la loi en disposent autrement, par l’achèvement des travaux ou l’exécution des prestations, cette circonstance rendant sa créance exigible ».

La 3ème chambre civile revoit donc son ancienne jurisprudence, et s’aligne sur les solutions retenues d’abord par la chambre commerciale, puis par la 1ère chambre civile.

En matière de droit de la consommation, cette solution est ancienne. S’agissant du paiement des échéances d’un prêt immobilier, il était en effet jugé par la 1ère chambre civile que « Le point de départ du délai de prescription biennale prévu par l’ article L137-2 du Code de la consommation se situe au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer l’action concernée, soit, dans le cas d’une action en paiement au titre d’un crédit immobilier consenti par un professionnel à un consommateur, à la date du premier incident de paiement non régularisé » [4].

Cette solution a été confirmée par la 1ère chambre civile par un arrêt du 11 mai 2017 [5].

Une solution différente avait été adoptée en matière de marchés de travaux.

Pour la 1ère chambre civile, en matière de travaux, la date d’exigibilité de la facture était la date de son émission : « C’est en vain que les clients font grief à l’arrêt d’écarter le moyen tiré de la prescription de l’action. En effet, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que le point de départ du délai de prescription biennale de l’action en paiement de la facture litigieuse se situait au jour de son établissement » [6].

La solution était la même pour la 3ème chambre civile dans une espèce dont il est intéressant de rappeler les faits : « Le 25 avril 2013, ayant différé l’émission de sa facture définitive dans l’attente de la prise en charge, par l’assureur, d’un sinistre affectant un de ses ouvrages, la société a adressé deux factures au maître de l’ouvrage. Après relance, le maître d’ouvrage a invoqué dans un courrier électronique la prescription de l’article L137-2 du Code de la consommation mais a proposé de régler la somme due "dans les mêmes conditions que le financement de la maison en 180 mensualités". Le 22 avril 2015, la société a assigné le maître d’ouvrage en paiement. Pour déclarer irrecevable, comme prescrite, la demande de la société, l’arrêt retient que le délai de prescription de l’article L137-2 du Code de la consommation a pour point de départ, en matière de contrat d’entreprise ayant pour objet des travaux de construction immobilière, la date de leur réception marquant leur acceptation par le maître de l’ouvrage. En statuant ainsi, alors que le délai de prescription avait pour point de départ la date de l’établissement des factures litigieuses, la cour d’appel a violé l’article L137-2 du Code de la consommation, devenu l’article L218-2 du Code de la consommation » [7].

Puis, dans le sillage de la chambre commerciale, la 1ère chambre civile a retenu que la prescription biennale court à compter de l’achèvement des travaux, suivant un considérant qui est d’ailleurs celui repris dans l’arrêt de la 3ème chambre civile du 1er mars 2023 :

« La Cour de cassation retient désormais que l’action en paiement de factures formée contre un professionnel, soumise à la prescription quinquennale de l’article L110-4 du code de commerce, se prescrit à compter de la connaissance par le créancier des faits lui permettant d’agir, pouvant être fixée à la date de l’achèvement des prestations [8].
Pour déclarer irrecevable, comme prescrite, l’action en paiement formée par la société Veronneau, l’arrêt retient que la facture datée du 31 décembre 2013 a été établie près de sept mois après l’exécution de la prestation en méconnaissance des délais d’établissement impartis par les articles L441-3 du code de commerce et 289 du code général des impôts, que sa date n’est pas certaine et que le délai de prescription a commencé à courir le 1er septembre 2013, date à laquelle la facture aurait au plus tard dû être émise.
Au vu de la jurisprudence, énoncée au point 5, relative à la fixation du point de départ du délai de prescription de l’action en paiement de travaux formée contre un consommateur à la date d’établissement de la facture, la prescription de l’action de la société Veronneau serait susceptible d’être écartée, tandis que la modification de ce point de départ, conformément au point 7, pourrait conduire à admettre la prescription au regard des constatations de la cour d’appel relatives à la date d’exécution de la prestation
 » [9].

Dans cet arrêt de la 1ère chambre civile, il avait été précisé que :

« si la jurisprudence nouvelle s’applique de plein droit à tout ce qui été fait sur la base et sur la foi de la jurisprudence ancienne, il en va différemment si la mise en œuvre de ce principe affecte irrémédiablement la situation des parties ayant agi de bonne foi en se conformant à l’état du droit applicable à la date de leur action.

L’application de la jurisprudence nouvelle à la présente instance aboutirait à priver la société Veronneau, qui n’a pu raisonnablement anticiper une modification de la jurisprudence, d’un procès équitable au sens de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en lui interdisant l’accès au juge, de sorte qu’il est justifié de faire exception au principe de cette application immédiate, en prenant en compte la date d’établissement de la facture comme constituant le point de départ de la prescription au jour de l’assignation de M. et Mme [T] ».

La 3ème chambre civile s’aligne sur cette solution est unifie donc définitivement sa jurisprudence.

C’est heureux.

Nous relevons qu’elle ajoute une précision selon laquelle la date à compter de laquelle court la prescription biennale est, certes, celle à laquelle le créancier a des faits lui permettant d’agir, mais c’est « hormis les cas où le contrat ou la loi en disposent autrement ».

Les entreprises devront être vigilantes, car il n’est pas forcément naturel pour elles de calculer leur délai d’action à compter de l’achèvement des travaux.

Elles pourront donc aménager le point de départ de ce délai en stipulant dans leur marché qu’il s’agira de la date d’émission de la facture.

A défaut d’une telle stipulation, il serait désormais inutile pour une entreprise de décaler la date d’émission de sa facture pour reporter d’autant le délai de prescription.

En revanche, il n’est pas impossible que la solution retenue par la Cour de cassation soit confrontée à la parfois difficile question de la date d’achèvement des travaux.

Si un procès-verbal de réception est signé entre l’entreprise et son maître d’ouvrage, il n’y aura pas de débat sur l’achèvement des travaux.

Mais en l’absence de réception formelle des travaux, c’est-à-dire dans l’hypothèse d’une réception tacite, il pourrait y avoir un débat sur la date d’achèvement des travaux.

Enfin, n’oublions pas d’attirer l’attention sur le fait que ce délai de prescription biennal ne s’applique qu’entre un professionnel et un consommateur, il ne s’applique pas entre professionnels.

Emmanuel Lavaud, avocat au barreau de Bordeaux http://www.laudet-lavaud-avocats.fr

[11re Civ., 16 avril 2015, pourvoi n° 13-24.024, Bull. 2015, I, n° 100 ; 1re Civ., 11 mai 2017, pourvoi n° 16-13.278, Bull. 2017, I, n° 111.

[21re Civ., 3 juin 2015, pourvoi n° 14-10.908, Bull. 2015, I, n° 136 ; 3e Civ., 14 février 2019, pourvoi n° 17-31.466.

[3Com., 26 février 2020, pourvoi n° 18-25.036, publié au Bulletin ; 1re Civ., 19 mai 2021, pourvoi n° 20-12.520, publié au Bulletin.

[4Cass. 1ère Civ., 16 avril 2015, n° 13-24.024.

[5Cass. 1ère Civ., 11 mai 2017, n° 16-13.278.

[6Cass. 1ère Civ., 3 juin 2015, n° 14-10.908.

[7Cass. 1ère Civ., 14 février 2019, n° 17-31.466.

[8Com., 26 février 2020, pourvoi n° 18-25.036, publié.

[9Cass. 1ère Civ., 19 mai 2021, n° 20-12.520.