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Télétravail et inaptitude : l’employeur doit l’implémenter s’il est préconisé par le médecin du travail. Par Frédéric Chhum, Avocat et Mathilde Fruton Létard, Elève-Avocate.
Parution : vendredi 5 mai 2023
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Dans un arrêt du 29 mars 2023 (n°21-15.472), la chambre sociale de la Cour de cassation a considéré que lorsque le médecin du travail indique qu’un reclassement est possible en télétravail pour un salarié inapte, l’employeur doit aménager un poste en télétravail quand bien même l’entreprise n’a pas mis en place le télétravail.

1) Rappel des faits et procédure.

Une salariée a été engagée en qualité de secrétaire médicale par l’association Gimac santé au travail, à compter du 25 novembre 1982.

Elle exerçait en dernier lieu les fonctions d’assistante coordinatrice d’équipe pluridisciplinaire.

A l’issue de deux examens médicaux des 3 et 17 février 2016, elle a été déclarée inapte à son poste par le médecin du travail, ce dernier précisant qu’elle

« pourrait occuper un poste administratif sans déplacement et à temps partiel (2 j /semaine) en télétravail avec aménagement du poste approprié ».

Elle a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement par lettre du 7 décembre 2016.

La salariée a contesté son licenciement et a demandé des dommages et intérêts pour non-respect par l’employeur de son obligation de reclassement.

La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 3 février 2021, a condamné l’employeur à :

L’employeur a alors formé un pourvoi en cassation.

2) Moyens.

L’employeur fait grief à l’arrêt de le condamner à verser à la salariée une somme à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant du caractère illicite de son licenciement, alors que :

Par ailleurs, l’employeur fait grief à l’arrêt de le condamner à verser à la salariée une somme à titre de dommages-intérêts en raison du retard dans le paiement des salaires, alors que le retard dans le paiement des salaires n’ouvre droit à des dommages-intérêts distincts de l’intérêt au taux légal que lorsque le créancier a subi, par la mauvaise foi du débiteur, un préjudice indépendant du retard.

3) Solution.

La chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la cour d’appel mais seulement en ce qu’il condamne l’association Gimac santé au travail à payer à la salariée des dommages-intérêts en raison du retard dans le paiement des salaires, aux motifs que la cour d’appel n’a pas caractérisé l’existence d’un préjudice distinct de celui résultant du retard apporté dans le paiement des créances, en contradiction avec l’article 1231-6 du Code civil.

Toutefois, la Cour de cassation rejette le grief relatif à la condamnation à des dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant du caractère illicite de son licenciement.

En effet, après avoir rappelé les dispositions des articles L12226-10 et L1226-12 du Code du travail, elle expose que :

« Il appartient à l’employeur de proposer au salarié, loyalement, en tenant compte des préconisations et indications du médecin du travail, un autre emploi approprié à ses capacités, aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail ».

Elle en déduit en l’espèce que :

« […] le médecin du travail était parfaitement clair dans l’avis d’inaptitude du 17 février 2016 sur les dispositions à mettre en œuvre de nature à permettre à la salariée de conserver son emploi en précisant qu’elle pourrait occuper un poste administratif, sans déplacement, à temps partiel, en télétravail à son domicile avec aménagement de poste approprié et en confirmant cet avis le 7 juin 2016 en réponse aux questions de l’employeur.

[…] les missions accomplies […] étaient susceptibles d’être pour l’essentiel réalisées à domicile en télétravail et à temps partiel comme préconisé par le médecin du travail.

En l’état de ces constatations, dont elle a déduit que l’employeur n’avait pas loyalement exécuté son obligation de reclassement, et sans être tenue d’effectuer la recherche invoquée par le moyen pris en sa première branche dès lors que l’aménagement d’un poste en télétravail peut résulter d’un avenant au contrat de travail, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ».

4) Analyse.

Pour rappel, lorsqu’un salarié est déclaré inapte par le médecin du travail, l’employeur doit lui proposer un autre emploi approprié à ses capacités, en prenant en compte les conclusions écrites du médecin du travail et en assurant au besoin des mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail [1].

En revanche, l’employeur n’est pas dans l’obligation de créer spécifiquement un poste adapté aux capacités du salariés [2].

Le débat consistait donc à savoir si le télétravail constituait seulement une modalité d’aménagement d’un poste ou au contraire une création de poste dans le cas où l’entreprise ne l’a pas mis en place.

L’employeur considérait que comme le télétravail n’avais pas été mis en place dans l’entreprise, le mettre en place constituerait une création de poste à laquelle il ne peut être contraint.

La Cour de cassation rejette cet argument et approuve la cour d’appel car elle estime au contraire que le télétravail, considéré alors comme une simple modalité d’aménagement d’un poste, peut être prévu par un simple avenant au contrat de travail.

Ainsi, l’employeur devant prendre en compte les préconisations formulées par le médecin du travail dans le cadre de sa recherche de reclassement, il doit nécessairement mettre en place du télétravail si cela est préconisé par le médecin du travail et que c’est le seul aménagement rendant le poste adapté aux capacités du salarié.

Toutefois, il semble que l’employeur puisse toujours refuser la mise en place du télétravail préconisé par le médecin du travail s’il invoque des motifs valables. En effet, l’article L4624-4 du Code du travail laisse la possibilité à l’employeur de ne pas suivre les propositions émises par le médecin du travail en lui faisant connaitre, ainsi qu’au salarié concerné, les motifs qui s’opposent à ce qu’il y soit donné suite.

Sources.

- Cass. soc., 29 mars 2023, n°21-15.472.
- « Obligation de reclassement : le télétravail comme mode d’aménagement de poste », La semaine juridique Social n°13 du 4 avril 2023, act. 119.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum

[1Articles L1226-2 et L1226-10 du Code du travail.

[2Voir not. Cass. soc., 10 avril 2019, n° 18-12.164.