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[Parution] "Carnet de prison".
Parution : lundi 17 juillet 2023
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"Une zone ternissant notre belle "civilisation", terriblement humaine : nous sommes la seule espèce animale enfermant des individus gardés par d’autres individus. Bien que cela soit pénible, il faut regarder ce qui s’y passe, quitte à se faire mal (...)".
Les mots sont de Galien, auteur de l’ouvrage "Carnet de prison" (paru en mars 2023), où ce dernier raconte son expérience d’animateur d’atelier de dessin en maison d’arrêt pendant plus de deux ans. Deux ans pendant lesquels il a, pour reprendre ses propres mots, accepté "de se faire mal" pour ne pas laisser les détenus dans ce qu’il appelle "l’angle mort de la société". Le Village de la Justice a lu ce carnet de prison avec attention, avec émotion aussi il faut le dire, et a souhaité ici donné la parole à son auteur.

Ce n’est pas tous les jours, en tant que citoyen, que nous avons la possibilité de pénétrer dans le milieu carcéral. Par définition, c’est un lieu à l’écart de notre société, ce fameux "angle mort" dont parle Galien. Son roman graphique nous le permet. On sent que le réel est présent à chaque mot et chaque dessin (dont il faut évidemment souligner l’esthétique et la précision), ce que confirme Alain Badiou qui signe la préface de l’ouvrage : "Je tiens à dire tout de suite que ce carnet est le meilleur texte que je connaisse quant au réel de la prison (...)".
Rentrer en prison, faire connaissance avec les détenus, de leur quotidien : voici une des clefs de lecture de ce livre.
Il y a aussi celle du rapport à la liberté. De la réflexion sur le traitement des délinquants, de notre regard sur eux. Ou encore celle de l’introspection, qui nous confronte en tant que lecteur à notre propre vision de la prison...

Privés de liberté, les détenus sont confrontés au temps qui passe, à l’ennui ; certains pourraient penser : "tant mieux, ils ont ainsi tout le temps de penser à leurs méfaits". Malheureusement cette oisiveté subie est rarement saine et ces hommes, ces femmes se renferment sur eux. Des ateliers comme celui proposé par Galien représentent donc un échappatoire, une bouffée d’oxygène, bénéfique pour sortir du marasme, de la violence (en-soi et autour de soi) et se projeter vers un futur. Souvent, à l’issue de ces ateliers, les détenus sont comme apaisés.

Le Village de la Justice a souhaité poursuivre la lecture de cet ouvrage en s’entretenant avec son auteur...


Galien, pourquoi pensez-vous que votre livre est nécessaire ?

"Je suis intervenu sur une période de 2,5 ans.
Ça a été une expérience très intense, peut-être trop. Elle a pris tellement de place dans ma tête, que j’en parlais souvent en festival BD, avec mes amis... J’ai fini pas comprendre qu’elle m’avait sans doute bouleversé plus que je ne le pensais. J’ai écrit ce livre d’abord pour me libérer. Puis pour essayer de comprendre en profondeur ce qu’est, en définitive, la liberté, sous l’angle de sa privation. Comment on l’enlève, comment on la limite, et quel est l’impact. En prison, mais pas seulement."

Galien

Quel point fort, s’il ne fallait en retenir qu’un, souhaitez vous mettre en avant dans ce livre ?

"C’est difficile : c’est au lecteur de trouver un point fort, s’il y en a !
Je peux juste préciser mon intention : j’ai essayé d’être intègre, par rapport aux faits, tout d’abord, à chaque personne croisée, ensuite, et à moi-même pour finir.

Surtout, je me suis efforcé de rester aussi proche que possible de mes émotions et de les transmettre. J’ai essayé de garder ma place d’observateur, tout en ne reniant pas mon humanité. Ça a été une écriture très complexe !"

A qui le destinez-vous ?

"À personne en particulier.
Je n’ai pas réfléchi en terme de public visé : l’histoire est sorti telle qu’elle le voulait. À elle de trouver son public.
Curieusement, je me rends compte en festival que le public est très large. Pas mal d’ados sont intéressés. Voire même les enfants... C’est très curieux..."

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Extrait de "Carnet de Prison" de Galien

Votre livre se finit sur cette phrase « la prison est l’angle mort de la société » : comment faire selon vous pour améliorer le regard de la société sur l’univers carcéral, le faire sortir de cet angle mort ?

"C’est difficile comme question !
Pour voir dans un angle mort, il faut changer son point de vue, soit en bougeant soit en tournant la tête. C’est tout le problème de notre société : on fonce, pied au plancher. Il faut être un winner, tant pis pour les autres.
Notre société manque terriblement d’empathie...
Or, l’empathie est une chose enseignée dès le primaire au Danemark, depuis quelques années. Les futurs adultes/citoyens, apprennent très tôt à être attentifs à l’autre, et ainsi dénouer la plupart des tensions ou venir en aide à une personne en difficulté.
De fait, on intervient avant qu’une situation dégénère, ou qu’une personne perde pied...
Si on veut améliorer le regard sur l’univers carcéral, il faut que l’on commence se questionner quant à notre relation à l’autre, à soi."

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Extrait de "Carnet de Prison" de Galien

Avez-vous eu, depuis que vous avez achevé l’ouvrage, des nouvelles de l’Administration pénitentiaire concernant une nouvelle intervention de votre part en milieu carcéral ?

"Non, pas encore.
Mais je dois admettre que j’adorerai avoir le retour de détenus, de gardiens, de leur famille sur ce livre.
Après tout, c’est une expérience que j’ai partagé avec eux."

Informations techniques :
Titre : Carnet de prison
Auteur : Galien
Éditeur d’origine : Steinkis
ISBN : 978-2-368-46637-7
Parution : mars 2023

Rédaction du Village de la Justice