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Handicap : pour une intégration professionnelle réussie, il faut inclure le collectif.
Parution : mardi 23 mai 2023
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Pour intégrer dans de bonnes conditions un(e) collaborateur(trice) en situation de handicap, il faut « mettre les choses sur la table » avec les ressources humaines, avec tact mais lucidité, afin de déterminer les changements à apporter à l’environnement de travail.
Au-delà des éléments matériels, qui garantiront des situations de communication optimales, il est nécessaire de travailler avec le collectif, formé par les autres salariés et le management.
Nous partageons avec vous des témoignages particulièrement éclairants, de la manière dont il est possible de s’adapter en cas de handicap auditif et de déficience visuelle.

Article initialement publié dans le Journal du Village de la Justice n°99 dont le dossier spécial est dédié à l’inclusion et la diversité.

Note aux lecteurs...

Cet article a été publié dans le numéro 99 du Journal du Village de la Justice. N’hésitez pas à le consulter en intégralité !

« Dans ma vie personnelle, j’avais fait un gros travail sur mon handicap. Mais je me suis aperçue que tout ne marchait pas dans la vie professionnelle ! Comment s’épanouir lorsque les critères attendus sont "efficacité, rapidité et performance" au sein d’une équipe, tout en partageant avec les autres la réalité de son handicap et l’obligation de sortir du cadre », explique Virginie Delalande, avocate devenue écrivaine et conférencière et sourde profonde depuis sa naissance.
Dans le monde du travail, une malentendance ou une surdité, par exemple, amène très souvent la personne qui en souffre à surcompenser. « Je ne voulais pas être un boulet. Quand je travaillais en cabinet, j’avais si peur de manquer une information importante à cause de ma surdité que je travaillais deux fois plus que les autres. Je vérifiais tout, connaissais les dossiers par cœur et me donnais à fond dans les recherches les plus complexes. J’étais appréciée pour cela », se remémore- t-elle. Mais à quel prix, aussi : fatigue excessive, surmenage...
Salariée juridique internationale, l’avocate finit par accepter un aménagement de son poste avec une plateforme extérieure qui permet d’obtenir une retranscription des réunions [1].

Travailler avec une personne malentendante : créer la situation de communication.

Selon Arnaud Porte, directeur du pôle Pour le quotidien et Denis Le Squer, directeur général de la Fondation pour l’audition, les outils ad hoc pour accompagner les malentendants ou les sourds sur leur lieu de travail [2] sont une chose. Mais ils doivent impérativement s’appuyer sur une politique d’intégration dans le temps incarnées par toutes les parties prenantes dans l’entreprise.
La Fondation a d’ailleurs édité un guide « Surdités en entreprise » à l’attention des employeurs [3].
Ceux-ci ne sont pas toujours conscients des enjeux de santé publique autour de ce sujet. « Nous voudrions que les entreprises et la société au sens large prennent conscience de l’importance de préserver son capital auditif. Il serait bon que la médecine du travail teste l’audition des salariés et pas uniquement celle des personnes exposées à des risques dans leur travail qui, elles, sont très bien suivies par ailleurs. Cela permettrait de repérer précocement la presbyacousie chez les individus à partir de 45 ans » déclarent les deux experts.

Solène Nicolas est consultante accessibilité au sein de la SCOP Le Messageur et Samuel Poulingue en est le co-fondateur et le gérant. La structure intervient notamment dans l’aménagement des postes de travail pour les personnes sourdes et malentendantes en développant de nouveaux usages, associés à des technologies d’amélioration du son et de sous-titrage en temps réel. « 99 % des personnes malentendantes ne communiquent pas en langue des signes. Elles parlent en français. Leur besoin est que l’on adapte les situations de communication orale (réunions, téléphonie, visioconférence, événements divers, échanges informels) afin qu’elles leur soient accessibles, ce qui contribue aussi à l’égalité des chances. Le grand public pense que porter des aides auditives équivaut à retrouver l’ouïe or ce n’est pas le cas, elle permet d’exploiter l’audition restante », explique S. Poulingue.

« Le fait qu’on puisse aller au-delà des appareils et implants auditifs est très méconnu », précise S. Nicolas, qui dispose elle-même d’un implant cochléaire depuis l’âge adulte, à la suite d’une perte de l’audition.
Parmi les solutions existantes figurent l’amélioration du son, notamment grâce à la connectivité des aides auditives ; l’apport de sous-titres en temps réel quand le son ne suffit pas et l’implication des collègues dans des habitudes de communication inclusives.
« On peut par exemple travailler sur la sonorisation en faisant s’exprimer les gens dans un microphone et en transmettant le son de leur voix, isolé du bruit environnant, vers les appareils auditifs de la personne malentendante. Si nécessaire, on peut ajouter du sous- titrage en direct produit par des interprètes de l’écrit qui interviennent à distance », décrit S. Nicolas.

Si les entreprises ont rarement une idée précise des besoins des personnes sourdes ou malentendantes et se focalisent sur l’équation « outil = solution », les salariés malentendants ou sourds ont tout intérêt à évoluer par rapport à leur propre handicap, en acceptant de s’appuyer sur des outils adaptés, ainsi que sur leurs collègues. Ces derniers doivent de leur côté prendre conscience de la nécessité de changer la façon dont ils communiquent avec leurs collègues atteints de surdité ou malentendance.

Intégrer la déficience visuelle d’un salarié : « une contrainte comme une autre ».

L’entreprise Colgate-Palmolive en France a mis en place une « Mission Handicaps », dont le co-leadership est assuré par la RSE et la DRH. L’initiative, mise en place il y a un peu plus d’un an et demi, a trouvé aussi sa traduction au sein de la direction juridique Europe de l’Ouest, qui a accueilli de septembre 2021 à septembre 2022 une stagiaire ayant une déficience visuelle. « Nous nous sommes adaptés. Cela voulait dire établir des priorités claires pour lui permettre de savoir ce qui était urgent ou pas, d’utiliser des outils informatiques simples (ex. loupe Windows) pour afficher un texte en caractères plus gros, ou de se connecter sur les ordinateurs pour une lecture commune de documents lors de nos réunions plutôt que d’utiliser le rétro-projecteur. Si un document rédigé par la stagiaire était destiné à être transmis à la direction générale, on lui laissait plus de temps par rapport à de simples notes de service, pour que la forme et le fond soient conformes aux attentes », décrit Miguel Videira Pimentão, directeur juridique Europe de l’Ouest du groupe Colgate-Palmolive.
Au sein de la « Mission Handicaps », les questions d’égalité des chances et de diversité sont traitées au même niveau et le groupe a accéléré son engagement en faveur du handicap ces dernières années (ex : plus d’informations données aux salariés sur les questions liées à la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), initiative Diversity, Equity & Inclusion (DE&I) déclinée au niveau des fonctions juridiques européennes).

Retrouvez cet article (pages 16-17) et bien d’autres sur le sujet de l’inclusion et la diversité dans le Journal du Village de la Justice n°99.

Emmanuelle Serrano pour la Rédaction du Journal du Village de la Justice.

[1Tadeo.

[2Acceo, RogerVoice, Deafi, Elioz, Sourdline, etc.

[3Librement accessible ici.