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Projets hôteliers en Ile-de-France : gare à l’agrément ! Par Alice Le Néel, Avocate.
Parution : mardi 16 mai 2023
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Ce sont des jugements passés inaperçus mais lourds de conséquences. Dans deux affaires distinctes et par deux jugements des 10 janvier 2022 et 21 novembre 2022, le Tribunal administratif de Paris est revenu sur sa jurisprudence antérieure pour considérer que les projets hôteliers entrent dans le champ d’application de l’agrément prévu par les dispositions de l’article R510- 1 du Code de l’urbanisme.
Article actualisé par son auteure en mai 2023.

Saisie d’un appel contre le jugement du 10 janvier 2022, la décision de la Cour administrative d’appel de Paris est attendue dans les prochains jours.

L’agrément « Ile-de-France » est une autorisation délivrée par l’Etat, préalable à l’implantation de certaines activités économiques en Ile-de-France et dont l’objectif est de contrôler l’équilibre entre l’offre de logements et les locaux dédiés aux activités secondaires et tertiaires.

L’agrément constitue une pièce du dossier de demande de permis de construire (article R431-16 du Code de l’urbanisme). Son obtention constitue un préalable obligatoire à la délivrance d’un permis de construire.

Le Code de l’urbanisme soumet à ce dispositif, tout en ménageant plusieurs exceptions, les opérations dans la région d’Ile-de-France tendant à la construction, la reconstruction, la réhabilitation ou l’extension de tous locaux ou installations servant à des activités industrielles, commerciales, professionnelles, administratives, techniques, scientifiques ou d’enseignement.

Jusqu’alors les opérateurs et l’administration s’accordaient pour appliquer la circulaire n° 96- 38 du 14 juin 1996 relative à la réforme de la procédure d’agrément des locaux d’activités économiques en Ile-de-France qui excluait expressément l’activité hôtelière du champ d’application de l’agrément.

Le Tribunal administratif de Paris jugeait d’ailleurs que la création d’hôtels n’était pas soumise à agrément (TA 11 avril 2014, n° 1302156).

Cette solution a été abandonnée.

En effet, le Tribunal administratif de Paris a relevé que la circulaire n° 96- 38 du 14 juin 1996 ne figurait pas sur le site mentionné par les dispositions de l’article R312- 8 du Code des relations entre le public et l’administration et était, en conséquence, réputée abrogée.

L’obligation de publier les circulaires sur le site circulaires.legifrance.gouv.fr a été introduite par un décret du 8 décembre 2008 et l’article L312-2 du Code des relations entre le public et l’administration répute abrogées les instructions, les circulaires ainsi que les notes et réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives si elles n’ont pas été publiées.

Le Tribunal administratif de Paris a ainsi considéré, dans les deux jugements rendus, que les titulaires des permis de construire contestés ne sauraient utilement se prévaloir des énonciations de cette circulaire du 14 juin 1996 pour justifier l’absence d’agrément Ile-de-France.

Il a ensuite estimé qu’un projet d’hébergement hôtelier « a pour objet une activité commerciale entrant dans le champ d’application de l’agrément ». Ainsi, et faute d’agrément Ile-de-France, les dossiers de demande des permis de construire contestés étaient incomplets.

Si le jugement avant-dire droit du 21 novembre 2022 est devenu définitif, le jugement du 10 janvier 2022 a fait l’objet d’un appel devant la Cour administrative d’appel de Paris.

L’audience s’est tenue le 6 avril 2023 et l’affaire est toujours en délibéré.

Sans attendre la décision de la cour administrative d’appel, le formulaire de demande d’agrément, qui doit être déposé en version dématérialisée via la plate-forme demarches-simplifiees.fr, a été modifié pour intégrer une rubrique dédiée aux hôtels.

Si la position des premiers juges était confirmée par la Cour administrative d’appel de Paris, un point resterait en suspens : cette évolution jurisprudentielle s’applique-t-elle également aux surfaces à sous-destination d’ « autres hébergements touristiques » et notamment aux meublés de tourisme (type Airbnb) ? La prudence devrait conduire les porteurs de tels projets à passer par la case agrément.

Enfin, il est à noter que l’article R510-6 du Code de l’urbanisme, qui prévoit des dispenses d’agrément pour les projets en dessous de certains seuils de surface, ne prévoit aucune exemption pour les « activités commerciales ». Les projets hôteliers entreraient donc dans le champ de l’agrément dès le premier mètre carré créé ou réhabilité.

Décisions :
TA Paris, 21 novembre 2022, n° 2105696
TA Paris, 10 janvier 2022, n° 2013641/4-2

Mise à jour du 22 mai 2023 : la CAA de Paris écarte l’agrément pour l’immobilier d’entreprise pour l’hôtellerie : contrairement au TA, elle juge que l’activité hôtelière n’est pas une activité commerciale. Les porteurs de projets devraient toutefois surveiller l’éventuelle introduction d’un pourvoi en cassation contre cet arrêt ainsi que la modification du formulaire de demande d’agrément (qui comporte désormais une catégorie "hôtel") : CAA de Paris, 1ère chambre, 17/05/2023, 22PA01155.

Alice Le Néel Avocate au barreau de Paris