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Porte-à-porte : les Témoins de Jéhovah rattrapés par le RGPD. Par Bastien Favard, Avocat.
Parution : vendredi 28 juillet 2023
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Si la Cour européenne des droits de l’Homme a effectivement reconnu que l’obligation finlandaise d’obtenir le consentement des personnes dont les données étaient recueillies par les Témoins de Jéhovah avait interféré avec la liberté de conscience et de religion au sens de l’article 9, cette dernière a estimé qu’il s’agissait d’une ingérence nécessaire, dans une société démocratique, à la protection des droits et libertés d’autrui.

Le médiateur finlandais de la protection des données avait vu d’un mauvais œil le recueil par les Témoins de Jéhovah au cours de leur porte à porte des noms et adresses des personnes qui ne souhaitaient pas recevoir leurs visites, des sourds ou encore des étrangers et avait dès l’année 2000 émis une opinion négative sur le sujet.

Il faudra finalement attendre 2011 pour que la commission de protection de données mette en demeure les Témoins de Jéhovah de se mettre en conformité avec la règlementation européenne en matière de recueil de données personnelles sous six mois.

C’était alors le début d’une longue bataille administrative, les Témoins de Jéhovah soutenant notamment que les données collectées en porte à porte devaient être assimilées à des données recueillies à titre strictement privé dès lors que leurs membres n’avaient pas l’obligation de faire remonter ces informations à leur organisation et que cette pratique faisait partie intégrante de leur vie religieuse.

Le 22 septembre 2016, la Cour suprême administrative de Finlande saisira finalement d’une question préjudicielle la Cour de Justice de l’Union Européenne afin de trancher la question.

Le 10 juillet 2018 (C-25/17, EU:C:2018:551), la Cour de justice de l’Union Européenne estimera que les données collectées par les Témoins de Jéhovah lors de leur porte à porte religieux étaient potentiellement accessibles à un grand nombre de personnes et ne pouvaient donc être assimilées à des données recueillies à titre privé.

La cour suprême administrative finlandaise a donc repris le 17 décembre 2018 cette argumentation et débouté les Témoins de Jéhovah en rappelant par ailleurs que leur organisation coordonnait et encourageait le recueil de données par porte à porte.

Dernier espoir des Témoins de Jéhovah, la Cour européenne des droits de l’Homme n’a toutefois pas suivi non plus leur argumentation dans son arrêt du 9 mai 2023 (31172/19).

Tout en admettant que cette obligation de recueillir au préalable le consentement des personnes visitées interférait avec la liberté religieuse, la Cour a estimé à l’unanimité qu’il s’agissait d’une ingérence nécessaire, dans une société démocratique, à la protection des droits et libertés d’autrui au sens de l’article 9 § 2.

Les activités prosélytes des membres d’une communauté religieuse peuvent donc bien constituer un traitement de données personnelles.

Ce n’est pas la première fois que les Témoins de Jéhovah saisissent la Cour européenne des droits de l’Homme dans le cadre de leur porte à porte.

Dans un arrêt du 25 mai 1993 (Affaire Kokkinakis c. Grèce, Requête n°14307/88), la Cour avait considéré que la condamnation pénale d’un témoin de Jéhovah pour prosélytisme en raison de son porte à porte violait l’article 9 car ne constituant pas une ingérence justifiée dans le droit à la liberté de religion et de conscience.

Cette pratique religieuse ne manquera donc pas de continuer à alimenter la jurisprudence de la Cour de Strasbourg.

Dans tous les cas, cet arrêt du 9 mai 2023 ne manquera pas de bouleverser le quotidien des trois millions de Témoins de Jéhovah en Europe qui devront désormais s’assurer du consentement des personnes qu’elles visitent afin de recueillir leurs données personnelles.

Bastien Favard Avocat au barreau d'Aix-en-Provence [->www.favard.avocat.fr]