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Autorisation d’urbanisme et demandes de pièces complémentaires. Par Chloé Daguerre, Avocat.
Parution : vendredi 19 mai 2023
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L’instruction des demandes d’autorisations d’urbanisme (permis d’aménager, permis de construire ou déclaration préalable) est complexifiée par la possibilité, pour le service instructeur, de réclamer la production de pièces complémentaires. De telles demandes, sous réserve d’être fondées et d’être formulées dans les délais légaux, ont des conséquences importantes pour les porteurs de projets.

1. Quel est le point de départ du délai d’instruction ?

Le délai d’instruction d’une demande d’autorisation d’urbanisme commence à courir à compter de la réception d’un dossier complet [1].

Le délai d’instruction de droit commun est de :

Le délai d’instruction est un délai dit « non franc ».

Par exemple, si le dossier de demande de permis de construire a été enregistré le 23 janvier et que le délai d’instruction est de deux mois, celui-ci commence à courir le 24 janvier et expire le 23 mars à minuit [2].

L’Administration ne dispose d’aucun délai pour adresser au pétitionnaire un récépissé de dépôt du dossier. En pratique, le pétitionnaire devra privilégier l’envoi du dossier en lettre recommandée avec accusé de réception ou la remise en main propre contre récepissé afin de prévenir toute difficulté.

Lorsqu’une demande de pièces complémentaires est émise, le point de départ du délai d’instruction est différé.

2. Sous quel délai et sous quelle forme la demande de pièces complémentaires doit-elle être émise ?

Lorsque le dossier ne comprend pas les pièces exigées par le Code de l’urbanisme, l’autorité compétente, dans le délai d’un mois à compter de la réception ou du dépôt du dossier à la mairie, adresse au demandeur une lettre recommandée avec demande d’avis de réception indiquant, de façon exhaustive, les pièces manquantes [3].

Ce courrier précise :

Si dans le délai d’un mois, une nouvelle demande apparaît nécessaire, elle se substitue à la première.

Une demande de pièces complémentaires notifiée au-delà du délai d’un mois à compter du dépôt de la demande de permis de construire n’a pas pour effet de prolonger le délai d’instruction de la demande de permis de construire [4].

Dans ce cas, le dossier est réputé complet à compter de sa réception en mairie et le pétitionnaire pourra se considérer, en l’absence de décision expresse, comme titulaire d’un permis tacite à l’expiration du délai d’instruction qui lui a été notifié -si son projet entre dans les cas dans lesquels le silence vaut autorisation tacite- [5].

3. Que faire si les pièces réclamées ne sont pas visées par le Code de l’urbanisme ou sont dénuées de pertinence ?

Les pièces à joindre à une demande de permis de construire sont limitativement énumérées aux articles R431-4 et suivants du Code de l’urbanisme.

Le caractère exhaustif de la liste de pièces exigibles emporte plusieurs conséquences :

Cela signifie également le service instructeur ne peut exiger la production de pièces qui sont dénuées de pertinence au vu du projet présenté.

Voir :
« 3. Considérant, en second lieu, qu’aux termes de l’article R. 431-36 du code de l’urbanisme : « Le dossier joint à la déclaration comprend : / [...] c) Une représentation de l’aspect extérieur de la construction faisant apparaître les modifications projetées et si le projet a pour effet de modifier celui-ci » ; que ces dispositions ne s’appliquent que lorsque le projet du déclarant a pour effet de modifier l’aspect extérieur d’une construction existante ; que, par suite, la commune n’est pas fondée à soutenir que le tribunal administratif a commis une erreur de droit en jugeant que la pièce mentionnée au c) de l’article R. 431-36 n’avait pas à figurer dans le dossier de déclaration préalable de Mme A. » [8].

En pratique, une demande de production de pièce manquante ne portant pas sur l’une des pièces énumérées n’a pas pour effet de modifier les délais d’instruction [9].

La portée pratique de cette disposition est intéressante puisque le Conseil d’Etat a récemment jugé que lorsque la demande de pièce complémentaire est infondée, le pétitionnaire est titulaire d’une autorisation tacite à l’expiration du délai d’instruction non prorogé [10].

Cette jurisprudence a néanmoins été rendue en référé, et à propos d’une déclaration préalable.

Elle constitue un revirement de jurisprudence important, dès lors que le Conseil d’Etat va à rebours de ce qu’il jugeait auparavant, à savoir :

« 5. (…) En cas de demande de pièces complémentaires, ce délai est interrompu, à la condition toutefois que cette demande intervienne dans le délai d’un mois et qu’elle porte sur l’une des pièces limitativement énumérées par le code de l’urbanisme. Si cette demande de pièces complémentaires tend à la production d’une pièce qui ne peut être requise, elle est de nature à entacher d’illégalité la décision tacite d’opposition prise en application de l’article R. 423-39 du code de l’urbanisme, sans que cette illégalité ait pour effet de rendre le pétitionnaire titulaire d’une décision implicite de non-opposition » [11].

Par ailleurs, en matière de permis de construire, comme en matière de déclaration préalable, une demande de pièces complémentaires constitue une décision faisant grief qui peut être attaquée [12].

4. Que faire si les pièces figurent déjà au dossier ?

Ce cas de figure suit le même traitement juridique que le précédent.

En effet, l’article R. 423-38 du Code de l’urbanisme précise expressément que l’autorité compétente n’a la possibilité d’émettre des demandes de pièces complémentaires que si le dossier initial ne comprend pas les pièces exigées.

Le Tribunal Administratif de Versailles a récemment jugé que :

« Le délai d’instruction n’est pas davantage interrompu, ou modifié par une demande, tout aussi illégale, portant sur l’une des pièces figurant au livre IV de la partie réglementaire du code de l’urbanisme, lorsque la pièce demandée était déjà au nombre des
pièces du dossier de demande, au seul motif de son incohérence avec les autres pièces de ce dossier. Dans de tels cas, une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite naît à l’expiration du délai d’instruction, sans que la demande du service instructeur puisse y faire obstacle
 » [13].

Les conséquences des demandes portant sur des pièces figurant déjà au dossier sont donc identiques :

Néanmoins, en cas de contentieux, l’établissement de la preuve sera plus délicat.

En effet, il conviendra de pouvoir démontrer que la pièce réclamée a bien été fournie dès l’origine.

5. Quelles sont les conséquences sur l’obtention de l’autorisation ?

Par principe, le silence de l’administration vaut décision d’acceptation à l’issue du délai d’instruction [14].

Le silence de l’administration vaut décision implicite de rejet, notamment, dans les hypothèses suivantes :

Si le pétitionnaire estime être titulaire d’une autorisation tacite, faute pour l’administration d’avoir notifié une demande de pièces complémentaires fondée et formulée dans les délais légaux, il doit solliciter un certificat auprès de l’autorité compétente, qui est tenue de lui délivrer sur simple demande [15].

Cela lui permettra de procéder à l’affichage continu de l’autorisation sur le terrain pendant un délai de deux mois et de faire courir le délai de recours des tiers, afin de sécuriser son projet [16].

Chloé Daguerre Avocat à la Cour Barreau de Bordeaux

[1Article R. 423-19 du Code de l’urbanisme.

[2CE, 7 juill. 2008, n° 310985.

[3Article R. 423-38 du Code de l’urbanisme.

[4Article R. 423-41 du Code de l’urbanisme.

[5CAA Marseille, 9e ch., 6 juin 2017, n° 15MA03781 CAA Marseille, 9e ch., 12 déc. 2013, n° 11MA02145.

[6CE, 15 déc. 2015, n° 374026.

[7CE, 15 févr. 2019, n° 401384.

[8Conseil d’État - 6e et 1re sous-sections réunies - 8 avril 2015 - n° 365804.

[9Article R423-41 du Code de l’urbanisme.

[10Conseil d’État - 2ème et 7ème chambres réunies - 24 février 2022 - n° 454047.

[11Conseil d’État - 6ème et 5ème chambres réunies - 13 novembre 2019 - n° 419067.

[12CE, 8 avr. 2015, n° 365804 - CE, 14 mars 1980, n° 11690.

[13TA de Versailles, 17 Mars 2023, n° 2100091.

[14Articles L424-2 et R424-1 du Code de l’urbanisme.

[15Article R424-13 du Code de l’urbanisme.

[16Article R. 424-15 du Code de l’urbanisme.