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La médiation obligatoire contre vents et marées : réapparition de l’article 750-1 du Code de procédure civile. Par Edith Delbreil Sikorzinski, Médiateure et Jean-Louis Lascoux.
Parution : vendredi 19 mai 2023
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En 2016, le législateur introduit l’obligation à recourir à un mode alternatif de règlements, préalable à tous procès, sous peine d’irrecevabilité. Cette obligation est néanmoins limitée à certains litiges en raison de leur montant (moins de 5.000 €), ou de leur nature (conflit de voisinage ou trouble anormal de voisinage). (1)
Une bataille juridique s’en était suivie relativement au décret d’application, à l’initiative du CNB, aboutissant à un arrêt du 22 septembre 2022, par lequel le Conseil d’État a purement et simplement annulé cette disposition, sans effet rétroactif. (2)

On ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec la décision prise par la Cour Constitutionnelle italienne, le 12 décembre 2012, qui avait de la même façon, retoqué le législateur dans le cadre de la médiation obligatoire pour certains litiges. En fait, il était apparu que la rédaction du texte manquait de clarté et souffrait d’imprécisions dans la mise en œuvre de son dispositif. Fin 2013, avec un meilleur rédactionnel, la médiation obligatoire a été rétablie et a pris depuis une place importante dans le règlement des conflits. Nous espérons qu’il en soit ainsi dans le pays de Molière…

Détermination du législateur vers une médiation obligatoire ?

Renvoyé à sa copie, le gouvernement a rédigé un tout nouveau décret n° 2023-357 en date du 11 mai 2023, publié au Journal Officiel du vendredi 12 mai 2023 (3), réintroduisant l’article 750-1 du Code de procédure civile dans sa rédaction initiale, à la différence près que des précisions sont apportées quant à l’indisponibilité des conciliateurs de justice, en tant que dispense de l’obligation préalable. Contre toute vraisemblance, et malgré toutes les résistances manifestées, la médiation obligatoire apparait bien comme un objectif inscrit dans la feuille de route pour la modernisation continue du système judiciaire.

C’est ainsi que les dispositifs se multiplient notamment, dans les domaines de la fonction publique et de la santé et que les tentatives d’obstruction sont délicatement, mais fermement dépassées. Il est toutefois bien difficile, pour des juristes, d’imaginer ce qui peut être qualifié de déjudiciarisation.

Obligation de médiation, de quoi s’agit-il ?

Contrairement à ce qu’affirment certains, le conflit n’est pas l’expression de deux libertés mais la résultante d’une relation dégradée. Cette dégradation se fait au fur et à mesure des échanges, avec maladresse, ignorance, par manque évident de savoir-faire dans le domaine des relations humaines.

Deux personnes en conflit sont deux personnes dominées par leurs émotions au point de solliciter du juge « justice », sans prendre conscience qu’elles se privent de leur liberté de décision et acceptent de se soumettre à la décision de celui-ci au risque qu’elle leur soit défavorable ! De la même façon, elles ne peuvent, à l’instant, imaginer ce que la médiation peut leur apporter tant les émotions sont débordantes, envahissantes. Elles ne sont donc pas libres.

Le droit à l’instruction a permis l’instauration de l’obligation à l’instruction, sur ce même constat d’ignorance, et personne ne s’en offusque.

Entre une obligation d’aller en justice et une obligation d’aller en médiation, laquelle préférez-vous ? Je vous pose cette question car à bien y réfléchir, l’obligation d’aller en justice, c’est l’acceptation de se soumettre à la décision d’un tiers. Il n’y a aucune liberté chez celui qui va en justice, ni pour celui qui la saisit, ni pour celui qui la subit ! Alors, entre l’obligation d’aller en instance judiciaire et celle d’aller en médiation avec la possibilité de retrouver une solution pérenne par un dialogue apaisé, il y a bien deux poids, deux mesures et dénoncer le concept d’obligation est un faux débat.

De la médiation obligatoire au droit à la médiation, il n’y a qu’un pas.

Avec la médiation, la médiation professionnelle s’entend, il est question de créer un espace nouveau pour l’exercice de la liberté de décision et l’institution d’un droit fondamental, le droit À la médiation : celui de pouvoir décider par soi-même avec l’aide d’un tiers, un médiateur, professionnel de la relation qui va permettre de restaurer l’entente entre les parties, pour une solution pérenne au conflit. (4)

Au 17ème siècle, les Lumières avaient déclaré que tous hommes naissent libres et égaux, et bénéficiaient d’un droit fondamental, celui d’accès à la justice. Cependant, force est de constater que ceux-ci renonçaient en définitive à leur liberté de décider et se soumettaient volontairement à la décision d’une autorité suprême, le juge. Tel est notre héritage !

Or, l’abondance des textes est telle que l’adage « nul n’est censé ignorer la loi » se révèle plus que jamais, être une fiction juridique. Il en est de même de la règle selon laquelle « ma liberté s’arrête là où commence celle des autres. » alors que l’on ne peut réfléchir en termes de liberté comme en termes de propriété !

Il est sans doute, venu le moment de réfléchir autrement et de permettre à tous justiciables, la possibilité de retrouver sa liberté de décision par l’institution d’un droit fondamental dans la constitution, celui du droit À la médiation.

L’émergence d’un « droit à la médiation ».

Le droit À la médiation peut s’exercer dans une culture qu’il convient de réformer et œuvrer sur le transfert des repères culturels pour que les personnes puissent mieux exercer ce droit qui correspond à l’extension de l’exercice de la liberté.

Ne vous méprenez surtout pas : ce droit À la médiation se distingue du droit DE la médiation. Il serait plus familier pour des juristes, d’aborder la médiation, sous l’angle des textes qui en facilitent sa mise en œuvre, une sorte de modélisation. Ce droit DE la médiation est associé à l’idée de provenance, c’est-à-dire un droit ancré dans des représentations du passé avec toutes ses lourdeurs. Développer davantage ce droit DE la médiation n’aurait comme conséquence, que de renforcer un système de substitution tel qu’il existe.

Il faut insister sur cette distinction. Avec le droit À la médiation, c’est l’affirmation d’un droit qui vise à déjudiciariser les aléas relationnels. Ce droit serait associé non plus à la provenance, mais à la notion de destination : il va permettre d’établir librement un projet relationnel en restaurant l’entente et donc, comparée à la lourdeur judiciaire, avec légèreté.

Vouloir ainsi réformer la justice, c’est avant tout, repenser ses fondements, c’est revoir ce que représente l’idée de justice, à quoi elle fait référence et à quoi elle s’applique. Vouloir insérer la médiation dans le système judiciaire consiste avant tout à s’interroger quant au but. Le législateur doit réfléchir à ces aspects avant d’aller plus en avant afin d’éviter les écueils d’une énième réformette. Tout sera question d’éthique, c’est-à-dire une conception moderne de la vie en société et de ses pratiques régulatrices.

De ce fait, l’institution d’un droit à la médiation induit nécessairement formation des magistrats, afin qu’ils puissent prescrire avec connaissance, et formation des médiateurs judiciaires, étant précisé que « médiateur » est une nouvelle profession dont les compétences consistent dans l’aide à la réflexion, à la prise de décision et à l’assistance pour la conduite de projets relationnels, qu’il s’agisse de rétablissement des relations ou de changement.

Un tel projet pourrait bien être soutenu par une modification constitutionnelle plaçant le droit à la médiation comme une extension d’un plein exercice de la liberté.

Ressources et références
1) Article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 dite de « modernisation de la justice du XXIe siècle », modifiée par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 dite « pour la confiance dans l’institution judiciaire » - article 750-1 du code de procédure civile.
2) Arrêt du C.E. n° 436939 du 22 septembre 2022
3) Décret n° 2023-357 du 11 mai 2023 relatif à la tentative préalable obligatoire de médiation, de conciliation ou de procédure participative en matière civile a été publié au Journal Officiel du vendredi 12 mai 2023.
4) Livre Blanc de la Profession de Médiateur, collectif - Médiateurs Editeurs - Pratique de la médiation professionnelle, par JL Lascoux - éditions ESF - Dictionnaire encyclopédique de la médiation par JL Lascoux - éditions ESF.

Jean-Louis Lascoux, auteur du Dictionnaire de la Médiation (ESF) ; Pratique de la Médiation Professionnelle (ESF) ; Médiation en milieux hostiles (ESF). Président du centre de recherche en entente interpersonnelle et sociale et ingénierie relationnelle - www.creisir.fr
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