Village de la Justice www.village-justice.com

Construction et environnement : le droit au service de l’optimisation et de l’innovation ? Par Mireille Klein, Responsable juridique.
Parution : lundi 22 mai 2023
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/construction-environnement-droit-service-optimisation-innovation,46213.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Depuis 2020, l’accélération en faveur de la densification, la rationalisation et la transformation est très nette dans les textes, guidant le droit à faire non seulement « mieux avec ce qui existe » mais aussi -au plus court terme possible- « mieux avec moins ». Le tout sous la surveillance appuyée des juges et dans un cadre réglementaire plutôt en prise avec les réalités.

1. La logique de base : la séquence « ERC » ; de la non-régression à l’intégration de la logique de cycle.

L’émergence de la logique d’optimisation des usages est ancienne puisque l’on peut identifier ses prémisses en 1976 [1], au travers de la création de l’étude d’impact et des mesures de suivi potentielles pouvant en découler déclinant la séquence ERC (éviter/réduire/compenser).

Le « éviter » signifiera/ devra signifier dans certains cas ne pas faire mais pourra également se traduire en termes d’intensification des usages par l’utilisation en priorité des m² vacants ou par la logique de recyclage des fonciers déjà artificialisés.

Le « réduire » poussera, outre la rationalisation des projets, vers toutes formes de densification.
Le « compenser » permettra l’optimisation des usages par la mise en place de facilitations en vue de la dépollution, ou la désartificialisation/la renaturation pour rééquilibrer la densité/l’imperméabilisation des sols à l’échelle d’un territoire.

S’y est sans doute rajouté – au regard de la crispation du contexte :
- le « s’adapter » reposant sur un usage raisonné des biens existants (comme le bail réel d’adaptation à l’érosion côtière qui permet une utilisation, tant que possible, au regard de l’érosion côtière avec faculté de résiliation anticipée en cas de danger avéré) et
- le « transformer » qui émerge clairement des derniers textes, en facilitation des changements d’usages (exemple : leviers fiscaux divers en faveur de la transformation en logements), et plus encore en anticipation des évolutions futures dès le moment de la création.

2. L’optimisation de l’existant : faire mieux avec ce qui existe.

Le droit organise au travers de divers textes récents la faculté de mieux utiliser ce qui existe :
- Par la remise en activité du vacant, du bâti ou foncier dégradé et le renouvellement urbain
- Par la reconversion du foncier en friche et/ou pollué
- Par l’incitation à la densification et l’utilisation maximale et multiple de tout terrain déjà artificialisé et du bâti existant.

• Maîtriser l’évolution des territoires : la trajectoire Zéro Artificialisation Nette (ZAN).

Introduite par la loi Climat [2], cette trajectoire vise l’optimisation de la fonctionnalité des sols et l’atteinte d’un objectif national d’absence de toute artificialisation nette des sols en 2050. Le rythme de l’artificialisation des sols doit être diminué de moitié tous les 10 ans, à l’échelle territorialisée.

Parmi les éléments pris en compte pour l’atteinte de ces objectifs, le texte prévoit outre la renaturation et la préservation des espaces naturels existants :
- la maîtrise de l’étalement urbain
- le renouvellement urbain
- l’optimisation de la densité des espaces urbanisés.

L’ensemble des documents d’urbanisme de l’échelle régionale jusqu’à l’échelle communale doivent être orchestrés sur la base de ces stratégies et ce, d’ici à août 2027. Les sanctions sont sévères à défaut : en l’absence de documents supra-communaux cohérents avec cette stratégie, l’ouverture à l’urbanisation sera suspendue dès août 2026 et dans les communes dites non « zannées » en août 2027, aucune autorisation d’occupation des sols ne pourra plus être instruite.

Les dispositions de la loi visent corrélativement à accélérer les projets de rénovation, de réhabilitation ou de changement de destination des bâtiments existants sans modification de l’emprise au sol.

• Exonérer de taxe d’aménagement pour inciter à reconvertir ou sanctionner l’étalement urbain.

L’article 65 de la loi de finances pour 2023 [3] prévoit ainsi deux mesures :
- d’une part, donner à compter du 1er janvier 2024 et en récompense des efforts de reconversion, la possibilité aux collectivités locales d’exonérer de taxe d’aménagement les constructions réalisées sur des sites qui ont fait l’objet d’une opération de dépollution (ou d’une renaturation) effectuées dans des conditions permettant la réaffectation des sols à un usage conforme aux règles d’urbanisme applicables sur ces terrains [4].
- d’autre part, en sanction de l’étalement, l’augmentation progressive de la valeur forfaitaire par emplacements de stationnement servant à la détermination de la taxe lorsque les aires de stationnement ne sont pas comprises dans des constructions closes et couvertes (et donc non situées en surdensité en dessus ou en dessous des constructions).

• Exproprier pour libérer du bâti ou foncier dégradé.
Depuis le 25 décembre 2022, les collectivités peuvent envisager -au regard de l’état de dégradation ou d’absence d’entretien- l’expropriation de locaux, terrains ou équipements situés en secteur de restructuration d’une zone d’activité économique (ZAE) ayant fait l’objet d’un projet partenarial d’aménagement (PPA) ou d’une opération de revitalisation de territoire (ORT) [5]
Le préfet ou les autorités compétentes - Maire ou Président d’EPCI - peuvent mettre en demeure les propriétaires concernés de conduire les travaux nécessaires [6].

Lorsque les propriétaires n’ont pas manifesté, dans un délai de trois mois, la volonté de se conformer à la mise en demeure ou lorsque les travaux de réhabilitation n’ont pas débuté dans un délai d’un an, une procédure d’expropriation peut être engagée au profit de l’Etat, de la Commune, de l’EPCI ou d’un établissement public d’aménagement, national ou local.

• Assouplir les règles d’urbanisme en place pour accélérer la reconversion et la verticalité.

Les possibilités de dérogations aux règles du PLU offertes par la loi Climat permettent au travers de :

• Autoriser la densification dans les secteurs de la maison individuelle :
Un projet d’ordonnance envisage la possibilité de densifier les lotissements (vote à majorité simplifiée pour remise en question du règlement de lotissement en termes notamment de hauteur).

• Maximiser l’usage de l’existant pour la production énergétique vertueuse
La loi du 10 mars 2023 [7] relative à l’accélération de la production d’énergie renouvelable organise la valorisation en support de production d’énergie renouvelable (panneaux solaires) des terrains déjà artificialisés ou ne présentant pas d’enjeu environnemental majeur ainsi que du bâti existant.

Sont notamment visés :

3. De l’écoconception à la réversibilité : faire mieux et plus sobre.

Au-delà du mieux utiliser ce qui existe, le droit organise le « moins utiliser » qui se décline :
- Au travers de la mise en avant de la lutte contre le gaspillage et de l’économie circulaire ;
- Au travers d’une réflexion dès la conception de l’évolution du bâti, depuis l’approvisionnement du chantier jusqu’à la fin de vie du bâtiment, en passant par l’optimisation de la densité,
- Au travers d’une anticipation de la réversibilité du bâti.

A ce titre, on peut mettre en avant :
• Réutiliser, réemployer et économiser :
La loi du 10 février 2020 dite loi AGEC (anti-gaspillage et économie circulaire) permet, outre la traçabilité des déchets, la mise en œuvre, sur la base des pratiques existantes antérieures et par le biais d’une écriture du droit en direct avec des start’up d’Etat type Trackdéchets, la réutilisation ou le réemploi des matériaux de construction et de démolition ou de rénovation significative.

• Justifier l’optimisation de la densité en amont.
Les récentes dispositions relatives à l’évaluation environnementale [8] prévoient que l’étude d’impact des projets d’aménagement intègre, dès le moment du dépôt du permis de construire, les conclusions d’une « étude d’optimisation de la densité des constructions » portant sur la zone concernée par ces actions ou opérations et tenant compte de la qualité urbaine et des enjeux de préservation et de la restauration de la biodiversité et de nature en ville.

• Ecoconstruire et analyser le cycle de vie du bâti.
La RE 2020 est applicable depuis janvier 2023 à tous les types de bâti neufs. Cette réglementation, non plus seulement thermique mais environnementale, intègre l’écoconception de l’opération et le cycle de vie du bâti sur 50 ans, de sa naissance (acheminement, choix des matériaux…) à sa fin de vie (reconversion/recyclage) en passant par son fonctionnement et son entretien. Il s’agit donc bien de développer une réflexion en amont pour mieux consommer, produire et gérer.

• Etudier la réversibilité du bâti.
L’étude du potentiel de changement de destination et d’évolution d’un bâtiment (décret restant à paraître) vise au travers d’un diagnostic prévu par la loi Climat à intégrer les enjeux de réversibilité des usages des bâtiments dès la conception du projet (articles L. 122-1-1 et L. 126-35-1 du code de la construction et de l’habitation).

En conclusion, il est au regard de ces développements, possible de dire que le droit accompagne, le « maximiser » d’une part et encourage la sobriété d’autre part.
Néanmoins, il se base très essentiellement sur la réalité et les logiques actuelles et n’anticipe encore pas les innovations nécessaires à une réelle frugalité créative.
Le biomimétisme imposerait de s’inspirer des principes du vivant, au-delà de l’optimiser, et d’aller vers le « beaucoup avec peu » ou vers le « ne plus vouloir faire trop », en prenant en compte les limites du milieu.
Au titre du « ne plus faire trop », en dehors de la désormais nécessaire justification des projets au travers des études d’impact, la loi Climat [9] a certes instauré le principe général d’interdiction des projets commerciaux (implantation ou extension) soumis à Autorisation d’Exploitation Commerciale qui artificialiseraient nouvellement des sols. Cependant les dérogations mises en place corrélativement restreignent fortement la portée du texte [10].

Il s’agira sans doute aussi de s’engager sur les voies innovantes de la bio-ingénierie pour des systèmes plus durables, notamment inspirés par la nature.
Au Zimbabwe à Harare un supermarché, l’Eastgate Center, a été construit en s’inspirant directement des termitières. En recréant leurs structures, le bâtiment garde une chaleur uniforme, peu importe la température extérieure. Dans ce grand ensemble en béton, l’air extérieur est rafraîchi ou réchauffé quand il circule dans le bâtiment, grâce à un système de trappes et de différences de pression. Pour l’aération, l’architecte s’est tourné vers un matériau « modeste », amplement disponible à proximité : l’argile. Il a combiné techniques de constructions traditionnelles et ingénierie moderne (par exemple, en surélevant le toit pour laisser circuler l’air). En recréant ce modèle de ventilation et d’isolation, le Eastgate Center consomme moins de 10 % de l’énergie d’un bâtiment conventionnel de cette taille.
Le droit saura-t-il accompagner ce virage ? Là, comme dans d’autres domaines, cela suppose avant tout un changement de pratiques voire de paradigme…

Mireille Klein Responsable juridique / référente environnement RSE et enseignante en M2 et au CNAM secteur Grand Est

[1Loi n°76-629 du 10 juillet 1976 sur la protection de la nature.

[2Loi n° 2021-1104 dite Climat et résilience du 22 août 2021, article 191.

[3Loi de finances pour 2023, n°2022-1726 du 30 décembre 2022.

[4Terrains réhabilités en application des articles L 512-6-1, L 512-7-6, L 512-12-1 ou L 556-1 du Code de l’environnement à la suite de l’arrêt définitif d’installations classées ou terrains pollués situés dans un secteur d’information sur les sols (SIS). Sous réserve que les organes et conseils compétents aient délibéré en ce sens avant le 1er juillet 2023.

[5Loi Climat et résilience du 22 août 2022 / introduction dans le code de l’urbanisme de l’art. L. 300-8 / décret n°2022-1639 du 22.12.2022 (JO 24.12.2022).

[6Une procédure similaire est déjà prévue à l’article L. 300-7 du CU pour imposer des travaux aux propriétaires d’ensembles commerciaux dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Les modalités en sont définies aux articles R. 300-28 et R. 300-29.

[7Loi n°2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergie renouvelable.

[8Décret n° 2022-1673 du 27 décembre 2022 portant diverses dispositions relatives à l’évaluation environnementale des actions ou opérations d’aménagement et aux mesures de compensation des incidences des projets sur l’environnement (JO 28.12.2022.

[9Article 215 de la loi Climat et résilience.

[10Échappent à cette interdiction les projets d’une surface de vente inférieure à 10.000 m² (article L752-6 du Code de Commerce), à condition qu’ils s’insèrent en cohérence avec la trajectoire ZAN dans un secteur au type d’urbanisation adéquat, qu’ils répondent aux besoins du territoire, améliorent la mixité fonctionnelle du secteur et qu’ils justifient de l’absence d’alternative à la consommation d’espace naturel, agricole ou forestier.