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Sur la nature d’une vente aux enchères autorisée par le juge des tutelles. Par Béatrice Cohen, Avocat.
Parution : mardi 23 mai 2023
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Par une ordonnance du 16 février 2016, le juge des tutelles de Courbevoie a autorisé un tuteur à confier par mandat à la société Artcurial, opérateur de vente volontaire, la vente de treize œuvres d’arts de Diego et Alberto Giacometti, appartenant en indivision à une majeure sous tutelle et à son fils. Cette dernière a donc procédé à une vente volontaire des œuvres pour un prix total de 2 869 000 euros.

Cependant, la chambre de discipline de la compagnie des commissaires-priseurs a assigné en responsabilité la maison de vente aux enchères au motif qu’il s’agirait d’une vente judiciaire qui ne peut être dès lors réalisée que par un commissaire-priseur judiciaire. Pour rappel, une vente judiciaire est une « vente prescrite par la loi ou par décision de justice » en vertu de l’article 29 de la loi n°2000-642 du 10 juillet 2000 portant réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques.

La chambre de discipline de la compagnie des commissaires-priseurs estime donc avoir subi des préjudices patrimoniaux et moraux constitués par la non-perception des cotisations sociales qu’elle aurait perçues en cas de vente judiciaire et par la violation du monopole des commissaires-priseurs judiciaires. La Cour d’appel de Paris ayant reconnu l’existence de tels préjudices, la société Artcurial s’est pourvue en cassation.

La question fondamentale dans cette affaire est de savoir si

« le qualificatif de judiciaire doit être retenu, non seulement dans le cas où le juge prescrit qu’une vente aux enchères publiques ait lieu (vente forcée), mais également dans celui où il prescrit qu’une vente ait lieu aux enchères publiques ».

Pour retenir la qualification de vente judiciaire, la cour d’appel estime qu’en optant pour une vente aux enchères, le juge a le pouvoir d’imposer une mise à prix ainsi qu’un prix de réserve ce qui penche vers la qualification de vente judiciaire. De plus, la cour d’appel considère que la vente judiciaire est plus protectrice des intérêts du majeur protégé.

La Cour de cassation dans son arrêt en date du 5 janvier 2023 (n° 21-15.650) casse l’arrêt d’appel estimant, au visa des articles 29 de la loi n° 2000-642 du 10 juillet 2000 portant réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques et 505 du Code civil sur la tutelle, que la vente litigieuse est une vente volontaire

« une vente de meubles appartenant à un majeur sous tutelle, autorisée par le juge des tutelles à la requête du tuteur, agissant au nom de la personne protégée, et devant avoir lieu aux enchères publiques, constitue, non pas une vente judiciaire prescrite par décision de justice, mais une vente volontaire qui peut être organisée par un opérateur de vente volontaires ».

Selon la Haute juridiction, il n’y a donc pas lieu de considérer que la circonstance que la vente ait été initiée par un mandataire judiciaire à la protection des majeurs et autorisée par la juge emporte comme conséquence la qualification de vente judiciaire. Ainsi, la vente aux enchères publiques n’étant pas imposée par le juge des tutelles, il s’agit bien d’une vente volontaire.

Béatrice Cohen, Avocat. Barreau de Paris www.bbcavocats.com