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Une possible revitalisation de la commission internationale humanitaire d’établissement des faits. Par Emah Ngono Line Murielle, Doctorante.
Parution : vendredi 26 mai 2023
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Les exactions commises au cours du déroulement des hostilités liées aux conflits armés à travers le monde sont de plus en plus récurrentes. De nombreux mécanismes ont été mis en place afin de pouvoir établir la responsabilité des coupables. Au rang de ces derniers, il faut compter la Commission internationale humanitaire d’établissement des faits (CIHEF) qui semble avoir été jetée aux oubliettes.

La mise en œuvre et le développement du droit international humanitaire (DIH) ont contribué, au fil du temps, à sauver d’innombrables vies, à protéger l’intégrité, la santé et la dignité humaine et à faire prendre conscience des principes fondamentaux sur lesquels repose notre civilisation commune. Ce droit est le résultat d’un édifice bâti depuis de nombreuses années sous l’impulsion d’Henri Dunant dont la première pierre a été posée en 1864 avec la signature de la Convention sur l’amélioration du sort des militaires blessés dans les armées en campagne.

Le DIH a donc été conçu pour trouver un équilibre entre les considérations opposées de préservation de l’humanité et de la nécessité militaire. De l’avis du Comité International de la Croix-Rouge, cet ensemble de règles continue, globalement, à répondre de manière adéquate à l’environnement actuel des conflits armés. Le DIH a fait la preuve de sa flexibilité dans le passé et continuera à évoluer en tenant compte des nouvelles réalités conflictuelles.

Face aux violations massives du DIH, la stratégie de coopération visant à punir les responsables nécessite une volonté politique des états parce qu’il ne peut y avoir de plein respect des droits humains, si la lutte contre l’impunité n’est pas érigée en priorité. Elle constitue l’une des pièces maîtresses pour la mise en œuvre de la justice pénale internationale, facteur de résolution des conflits et de réconciliation nationale.

Les états doivent donner effets à leurs engagements souscrits en prenant toutes les mesures nécessaires pour juger les criminels ou pour accompagner la justice pénale internationale dans l’exercice de sa mission de poursuite et de jugement des auteurs de crimes internationaux. C’est dans ce sens que l’article 86 du Statut de Rome prévoit une obligation générale pour les états de coopérer pleinement dans les enquêtes et poursuites pour les crimes relevant de sa compétence.

En effet, elle ne peut accomplir son mandat que si les états la soutiennent et coopèrent avec elle, dans la recherche des preuves ou pour l’arrestation d’une personne incriminée.

C’est l’une des raisons de la création de la Commission internationale humanitaire d’établissement des faits. Il est important, pour tout état de considérer l’universalité de l’être humain en mettant de côté certaines considérations politiques ou de néocolonialisme. Cette coopération est indispensable non seulement pour trouver les responsables des crimes internationaux, mais aussi pour faciliter l’exécution des peines d’emprisonnement et des ordonnances de réparation délivrées par les institutions compétentes.

La CIHEF a été créée officiellement en 1991 en tant qu’organe subsidiaire du Conseil de Sécurité des Nations Unies, pour enquêter sur les violations graves du DIH.

Opérationnelle depuis 1992, elle est un organe international permanent dont la fonction essentielle consiste à enquêter sur tout fait prétendu être une infraction ou violation grave du DIH, selon les Conventions de Genève de 1949 et le Protocole additionnel I de 1977 ou une autre violation grave des dits instruments d’une part ; et faciliter, en prêtant ses bons offices, le retour à l’observation des dispositions des Conventions et du Protocole additionnel I d’autre part. De ce fait, elle joue un rôle primordial dans le rétablissement de la paix et de la sécurité internationales tant prônées par les Nations unies. C’est donc un mécanisme indispensable pour aider les états à veiller à l’application et à l’observation du DIH.

La commission est composée de quinze membres élus par les états qui ont reconnu sa compétence. La signature ou la ratification du Protocole additionnel I par un état n’implique pas la reconnaissance de sa compétence. Le consentement doit être donné séparément. Ainsi, un état peut soit faire une déclaration unique par laquelle il reconnaît la compétence de la commission de manière permanente, soit donner son consentement à titre provisoire pour que la CIHEF enquête sur un conflit particulier. Seulement soixante-seize états, issus de tous les continents, ont déjà reconnu sa compétence.

Elle est saisissable par n’importe quel état partie au Traité, dont les conclusions relatives aux violations graves auraient eu, des effets automatiques obligatoires.

C’est dire que pour être active, la CIHEF doit recevoir une demande d’enquête formulée par les états ayant reconnu sa compétence, qu’ils soient ou non parties au conflit visé par la demande. Ainsi, les autres acteurs de la scène internationale, en l’occurrence les organisations internationales, les organisations non gouvernementales, les organisations communautaires, les particuliers et autres ne sont pas habiletés à le faire. Elle ne peut non plus agir de sa propre initiative comme c’est le cas avec le Procureur de la Cour pénale internationale.

Une fois saisie, l’enquête est menée par une chambre composée de cinq membres dont deux sont nommés « ad hoc » par chacune des parties au conflit. La CIHEF établie alors un rapport qu’elle communique uniquement aux parties belligérantes. Le rapport contient les conclusions de la commission au sujet des faits et les recommandations qu’elle juge appropriées.

Dès lors, les états concernés sont appelés à poursuivre devant leurs propres tribunaux les criminels ou bien les livrer à d’autres juridictions compétentes. Ce mode alternatif de justice est une commission d’enquête, un mécanisme supplémentaire de mise en œuvre de la responsabilité des états qui ont soutenu ou pratiqué des violations graves du DIH.

Elle permet en outre aux victimes d’obtenir réparation et de limiter la naissance d’un futur conflit motivé par la haine de l’état ou du régime.

Jadis elle a été considérée comme présentant le plus grand potentiel en raison des avantages pouvant être tirés de sa saisine. Les grands avantages de la CIHEF tiennent à ce qu’elle existe déjà, à ce qu’elle possède des règles de procédure détaillées et à ce qu’elle est disponible à tout moment. Ses limites actuelles, à l’instar de la restriction de sa compétence aux conflits armés internationaux, peuvent être corrigées avec l’accord des parties concernées. Outre, la stimulation de cette institution devrait se faire au moyen d’un texte qui étend sa compétence aux situations de conflit armé non international.

De la même manière, ses procédures peuvent être modifiées par consensus. Il est également suggéré qu’elle puisse offrir ses « bons offices », comme le prévoit l’article 90 du Protocole Additionnel I de 1977, pour œuvrer avec les parties à un conflit armé non international en vue de la réconciliation et du respect du DIH et participer de cette manière à la fin des souffrances de la personne humaine. Aussi, devrait-elle être autorisée à communiquer ses conclusions publiquement, sans être au préalable soumise à l’accord des parties, car il s’agit de la préservation de l’humanité.

De surcroit, vue que lors d’un conflit armé non international, les groupes armés rebelles sont comptés parmi les principaux belligérants, il faudrait donc aussi revoir dans quel sens les membres « ad hoc » peuvent être désignés pour effectuer des enquêtes.

Cette commission devait rendre plus efficaces les dispositions succinctes en matière d’enquête prévues dans les Conventions de Genève de 1949. La commission devait être constituée lorsque vingt « hautes puissances » contractantes au moins auraient accepté sa compétence. Elle est maintenant entrée en fonction, mais jusqu’à présent elle n’a jamais été saisie par une partie contractante ou une partie au conflit.

Il faudrait débloquer la situation et donner vie à ce mécanisme pour que les états s’intéressent à elle. Celle-ci pourrait en effet rendre de grands services, la constatation des faits constituant souvent une étape capitale dans le processus de contrôle ou de répression des violations du DIH.

En effet, lorsque les faits sont établis par un organe interne, il y a plus de chance d’être partial or, en la matière l’impartialité et l’indépendance doivent être de rigueur car il s’agit des questions relatives au rétablissement et à la préservation de la paix et de la sécurité internationales.

Un autre point innovateur serait de limiter la forte emprise des états dans sa procédure afin d’améliorer son efficacité en émettant la possibilité d’amendements au mécanisme déclenchant son intervention, afin de dissocier sa saisine de l’initiative exclusive des états.

En effet, l’absence de volonté de la part des parties à un conflit armé a été considérée comme le principal écueil de la procédure existante de la commission qui repose sur l’initiative et l’acceptation des états.

Pour les états susceptibles d’être l’objet d’enquêtes, ceux-ci peuvent décider de ne pas saisir la commission parce qu’ils veulent protéger leur souveraineté, refusent que leurs actes soient passés au crible par d’autres ou s’inquiètent de ce que ses conclusions puissent avoir un impact direct sur la responsabilité de l’état.

En revanche, pour bénéficier de ce changement, il est nécessaire de sensibiliser davantage les différents acteurs à y recourir. Aussi, il est recommandé que les Nations Unies - en occurrence le Conseil de Sécurité -, s’adresse à la CIHEF, sur la base du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, pour profiter de ses compétences. La question pourrait se poser de savoir pourquoi les Nations Unies ont jusqu’ici eu recours à des missions « ad hoc » d’établissement des faits sans s’appuyer sur la CIHEF existante.

Vu leurs compétences en DIH, les membres de la commission pourraient être utilisés dans des missions d’établissement des faits mandatées par les Nations unies, et avoir ainsi l’occasion de prouver en pratique leur compétence et d’accroître l’acceptabilité du travail de la commission à l’avenir.

Aussi, lorsque la CIHEF elle-même prend l’initiative d’encourager les états à la saisir pour enquête, il est recommandé qu’elle rende publique le refus d’un état à le faire.

Les états tiers devraient aussi encourager les parties à un conflit armé à la saisir du fait de la responsabilité de protéger telle que prévue par l’article premier commun des Conventions de Genève. Ils pourraient également déclencher l’intervention de la commission, à condition que les états parties à un conflit armé en aient accepté la compétence, soit par une déclaration, soit par une acceptation « ad hoc ». L’action de la CIHEF est très positive pour les victimes.

De plus, le Comité international de la Croix-Rouge ou d’autres organes indépendants, des organisations non gouvernementales et des individus, pourraient être habilités à déclencher son action et lui renvoyer des violations prétendues du DIH pour examen, afin d’encourager sa saisine.

Emah Ngono Line Murielle, Doctorante en droit Université Catholique d'Afrique Centrale [->enlinemurielle@yahoo.com]