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Le droit privé du travail dans les entreprises publiques à statut. Par Marie Petit, Avocate.
Parution : jeudi 25 mai 2023
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Le Code du travail ne s’applique pas in extenso à tous les salariés de droit privé.
Ainsi, toutes ses dispositions ne s’appliquent pas aux salariés des entreprises publiques à statut, et ce même dans l’hypothèse où elles leur seraient plus favorables.

1. Les entreprises publiques à statut.

Il n’existe pas de définition légale des entreprises à statut.

La doctrine se réfère généralement à la définition selon laquelle elles :

« désignent communément l’ensemble des entreprises et des établissements publics du secteur public concurrentiel dans lesquels les conditions d’emploi et de travail des salariés sont définis, non par voie d’accord collectif comme c’est le cas habituellement mais par un ou plusieurs textes unilatéraux à caractère réglementaire, désignés sous le terme générique de statut, actes qui seront édictés selon les cas, soit par l’autorité administrative de tutelle, soit par la direction de l’établissement sous le contrôle de l’autorité de tutelle » [1].

Le décret n°50-635 du 1er juin 1950 comporte une liste d’entreprises publiques dont le personnel est soumis, pour les conditions de travail relevant des conventions collectives, à un statut législatif ou réglementaire particulier. On trouve dans cette liste la Caisse Centrale de la France d’Outre-mer devenue l’Agence Française de Développement, la SNCF, la RATP, EDF, GDF, etc.

A titre d’exemple s’agissant de l’Agence Française de Développement, l’article R515-16 du Code monétaire et financier illustre ce pouvoir donné à la Direction d’élaborer elle-même les règles relatives aux conditions de travail des salariés :

« La direction et l’administration de l’agence sont confiées à un directeur général nommé pour trois ans par décret.

Le directeur général représente et engage l’agence. Il nomme le personnel et fixe les conditions de son emploi. Il est habilité à donner toute délégation nécessaire au fonctionnement de l’agence.

Il exerce les compétences qui lui sont déléguées par le conseil d’administration ».

Ce pouvoir ne s’exerce toutefois pas sans un contrôle de l’Etat, et à ce titre, l’article 6 du décret n°53-707 du 9 août 1953 relatif au contrôle de l’Etat sur les entreprises publiques nationales et certains organismes ayant un objet d’ordre économique ou social indique :

« Dans les établissements publics contrôlés en vertu du présent décret ou par application des régimes spéciaux mentionnés à l’article 1er ci-dessus ainsi que dans les organismes de sécurité sociale, les mesures relatives aux éléments de rémunération, ainsi qu’au statut et au régime de retraites du personnel, doivent, avant toute décision, être communiquées au ministre intéressé et aux ministres chargés de l’économie et du budget. Ces mesures sont soumises, pour avis, à une commission interministérielle dont la composition et les modalités de fonctionnement sont fixées par arrêté conjoint du Premier ministre et des ministres chargés de l’économie, du budget et du travail. Ces mesures ne deviennent exécutoires qu’après avoir reçu l’approbation du ministre intéressé et des ministres chargés de l’économie et du budget  ».

Cette approbation a été qualifiée d’acte de tutelle par le Conseil d’Etat (voir par exemple la qualification d’acte de tutelle de l’arrêté du 5 août 1996 par lequel le ministre de l’économie et des finances a approuvé le Statut du personnel de la Caisse Française de Développement fixé par son directeur général [2]).

2. L’application du Code du travail aux entreprises publiques à statut.

Depuis la recodification du Code du travail a été introduit au début de chaque livre et de certains titres un article relatif au champ d’application, qui vise souvent les entreprises à statut ou plus largement les établissements publics industriels et commerciaux, pour les inclure ou les exclure.

Il faut donc veiller à se référer systématiquement à cet article chapeau.

A titre d’exemple, le livre II relatif au contrat de travail, qui contient notamment toutes les dispositions relatives à la formation et à l’exécution du contrat de travail et celles relatives à la rupture du contrat et au licenciement, comporte un article L1211-1 qui précise que les dispositions du Statut du personnel ayant le même objet s’appliquent en priorité à celles du Code du travail : « Les dispositions du présent livre sont applicables aux employeurs de droit privé ainsi qu’à leurs salariés.

Elles sont également applicables au personnel des personnes publiques employé dans les conditions du droit privé, sous réserve des dispositions particulières ayant le même objet résultant du statut qui régit ce personnel  ».

Cette réserve permet par exemple à un Statut du personnel de prévoir la possibilité pour l’employeur de mettre un salarié à la retraite avant l’âge de 70 ans, la Cour de cassation ayant confirmé à de nombreuses reprises que les entreprises à statut n’étaient pas soumises aux dispositions du Code du travail relatives à la mise à la retraite et que le Statut pouvait donc valablement prévoir des dispositions différentes, y compris moins favorables.

De même, si la loi du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture supprime l’alinéa de l’article L1221-22 permettant d’appliquer une période d’essai d’une durée plus longue que la durée légale si elle est prévue par un accord de branche conclu avant la date de publication de la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail (article 19), cette suppression n’impacte pas les entreprises à statut puisque cet article se trouve dans le livre II du Code du travail dont il a été indiqué ci-avant que les dispositions s’appliquent au personnel des personnes publiques employé dans les conditions du droit privé sous réserve des dispositions particulières ayant le même objet résultant du statut qui régit ce personnel.

Dès lors, et à condition que celles-ci restent d’une durée raisonnable conformément à la Convention 158 de l’OIT, un Statut du personnel pourrait prévoir des périodes d’essai de durées plus longues que les durées légales.

A l’inverse, au sein du livre I du Code du travail, les titres III, IV et V relatifs à la discrimination, à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et aux harcèlements, comportent chacun un article chapeau spécifique relatif au champ d’application qui permet d’imposer leurs dispositions aux entreprises publiques nonobstant les dispositions éventuelles de leur statut : « Les dispositions du présent titre sont applicables aux employeurs de droit privé ainsi qu’à leurs salariés.
Elles sont également applicables au personnel des personnes publiques employé dans les conditions du droit privé
 ».

3. Statut du personnel et négociation collective.

a. La portée de la négociation collective limitée par les statuts.

Le champ de la négociation collective est limité dans les entreprises à statut s’agissant des thèmes couverts par le Statut du personnel.

A ce titre, l’article L2233-2 du Code du travail dispose :

« Dans les entreprises et établissements mentionnés à l’article L2233-1, des conventions ou accords d’entreprises peuvent compléter les dispositions statutaires ou en déterminer les modalités d’application dans les limites fixées par le statut ».

La doctrine en déduit que la négociation collective n’a qu’un rôle subsidiaire puisqu’elle ne peut que :

La Cour d’appel de Paris en a déduit qu’un accord collectif ne pouvait réviser le statut, l’accord devant alors être jugé nul [4] ; cet arrêt a ensuite été confirmé par la Cour de cassation au motif que :

«  les dispositions du statut ne peuvent être contredites par des accords collectifs  » [5].

b. L’absence d’application du principe de faveur.

Il existe un principe fondamental en droit du travail de l’application aux salariés de la norme la plus favorable en cas de conflit de normes ayant le même objet.

Or ce principe ne s’applique pas entre le Code du travail et le Statut du personnel puisque si elles ne sont pas visées par les dispositions sur le champ d’application, le Code du travail ne s’applique pas aux entreprises à statut [6].

Toutefois, le Code du travail trouve à s’appliquer lorsqu’une disposition expresse le prévoit.
Il peut, dans ce cas, y avoir conflit de normes avec des dispositions statutaires et c’est alors effectivement le principe de faveur qui s’applique :

« Et attendu qu’il apparaît que, même si en ce qui concerne les bases de calcul de l’indemnité de congés payés le statut du personnel des industries électriques et gazières/ de la SNCF prévoit une disposition moins favorable, l’ensemble du régime des congés payés prévu par ce statut accorde aux agents des avantages supérieurs à ceux qui résulteraient de l’application du Code du travail » [7].

Enfin, le Code du travail joue un rôle supplétif lorsqu’aucune disposition statutaire n’existe.

c. Une limite posée par l’ordre public.

Cette analyse ne saurait toutefois impliquer que les Statuts du personnel peuvent prévoir tout type de disposition qui entrerait en contradiction avec les principes émanant du Code du travail. La Cour de cassation comme le Conseil d’Etat posent en effet tous deux une limite tenant à l’ordre public pour la première et aux « principes généraux de droit du travail » pour le second.

La Cour de cassation s’est prononcée en ce sens en matière disciplinaire, qui relève de l’ordre public :

« Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait l’obligation de faire application à des faits postérieurs à la promulgation de la loi du 4 août 1982 des dispositions d’ordre public des articles L122-40 et L122-41 du Code du travail, lesquels sont applicables de droit aux agents de la SNCF, sauf dispositions statutaires plus favorables, la cour d’appel a violé les textes susvisés » [8].

Le Conseil d’Etat s’est prononcé dans le même sens s’agissant des sanctions pécuniaires :

« Considérant qu’aux termes de l’article L122-42 du Code du travail, dans la rédaction que lui a donnée la loi du 4 août 1982 : "Les amendes ou autres sanctions pécuniaires sont interdites. Toute disposition ou stipulation contraire est réputée non écrite" ; qu’en édictant cette interdiction, le législateur a énoncé un principe général du droit du travail applicable aux entreprises publiques dont le personnel est doté d’un statut réglementaire et qui n’est pas incompatible avec les nécessités de la mission de service public confiée à la Société nationale des chemins de fer français ; que, par suite, les dispositions du chapitre 9 du statut des relations collectives entre la Société Nationale des Chemins de fer Français et son personnel en vigueur à la date des sanctions infligées à MM. X... et Y... et prévoyant, en méconnaissance du principe ci-dessus rappelé, des sanctions pécuniaires, sont entachées d’illégalité  » [9].

Toutefois, le Conseil d’Etat semble admettre qu’une entreprise publique à statut déroge au Code du travail (lorsqu’il s’applique) et même aux principes généraux du droit du travail si cette dérogation se justifie par les nécessités du service public :

« que l’application aux agents de la Société Nationale des Chemins de Fer Français des dispositions précitées de l’article L223-13 du Code du travail qui impliquerait la remise en cause de cet ensemble de dispositions serait de ce fait incompatible avec les nécessités du service public  » [10].

La mise en œuvre du droit du travail au sein des entreprises à statut répond donc à des principes spécifiques et impose une vigilance accrue.

Marie Petit, Avocate en droit du travail, Barreau de Paris.

[1Boissard S., Les entreprises publiques à statut : survivance du passé ou solution d’avenir, Les cahiers de la fonction publique et de l’administration, oct. 2002, p. 4

[2CE, 17 mars 2004, n° 253751, Syndicat CGT de la Caisse Française de Développement

[3CA Paris, 22 septembre 1998, Dr. soc. 1998, p. 987, article de P.-H. Antonmattei, F. Favennec-Héry et Ch.-A. Garbar.

[4CA Paris, 22 septembre 1998.

[5Cass. Soc., 12 juillet 1999, n°98-20.837.

[6Cass. Soc., 21 juin 1995, n°91-42.460 et 93-46.193, pour la SNCF et EDF en matière de retraite ; Cass. Soc., 1er juillet 1997, n°94-45.198 et 94-45.597 pour la Seita, en matière de protection des salariés victimes d’accident du travail ou de maladie professionnelle.

[7Cass. Soc., 17 juillet 1996, n° 95-41.745 et 95-41.313, en matière de congés payés pour EDF et pour la SNCF (jurisprudence antérieure à la recodification du Code du travail depuis laquelle il n’est plus possible à un EPIC de déroger aux dispositions sur la durée du travail).

[8Cass. Soc., 19 juin 1991, n°87-44.092.

[9CE, 1er juillet 1988, n°66405.

[10CE Ass., 7 juillet 1995, Damiens et autres, n° 146028.