Village de la Justice www.village-justice.com

Les enseignements juridiques de Saint-Yves. Par Samir Lassoued, Avocat.
Parution : mardi 23 mai 2023
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/les-enseignements-juridiques-saint-yves,46256.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Dimanche dernier avait lieu la traditionnelle procession de Saint-Yves, Saint patron des avocats et des bretons. 676 ans après sa canonisation et 720 ans après son décès, que reste-t-il des enseignements d’Yves de Tréguier ? Juge de proximité cherchant une solution amiable, avocat de la veuve et de l’orphelin, mais aussi et surtout prêtre dans le diocèse de Tréguier, Saint-Yves nous laisse un héritage juridique important.

Yves de Kermatin a occupé les fonctions de prêtre et official dans le diocèse breton de Tréguier. Il apparait comme un Saint-Patron de le Bretagne, mais aussi et surtout comme le Saint Patron des professions juridiques et particulièrement des avocats.

En 1347, la canonisation de Saint Yves par le pape avignonnais Clément VI a été l’occasion de mettre en lumière le rôle d’official au sein de l’Église romaine. L’official occupe une fonction de juge au sein du diocèse, agissant essentiellement sur des matières civiles et de proximité pour l’époque.

D’une certaine façon Saint Yves a exercé les fonctions d’un tribunal de proximité au sein de son diocèse, lequel diocèse était très bien connu de son officie puisque l’enquête canonique rapporte qu’il se transportait à pied de village en village pour célébrer la messe. Parfois même il lui arrivait de célébrer cinq messes dans une même journée.

Bien qu’il occupât les fonctions de magistrat, il arrivait à Yves de Tréguier d’être littéralement l’avocat de la veuve et de l’orphelin. Sa seule condition était donc que la cause soit juste.

Finalement, le rôle d’official de Saint Yves peut paraitre assez accessoire par rapport au temps consacré à la vie religieuse au sens strict, ce qui rend encore plus intéressant le patronage qui lui est attribué. Le droit canonique est renvoyé dans l’inconscient collectif à l’inquisition et seulement à elle, alors que la pratique du droit et de l’équité par l’église s’apparente plus à une recherche de concorde entre les parties.

Dans un procès connu qu’a administré Saint-Yves, il est raconté qu’un père et son beau-fils avaient un litige, et ont donc saisi l’official breton pour qu’il dise le droit.

Le cœur brisé devant la situation de ce père et de ce fils, Saint-Yves leur a demandé d’attendre la fin de la messe pour qu’il puisse prier pour leur paix : « Attendez que je revienne vous trouver, car je vais célébrer la messe du Saint-Esprit et demander à Dieu de pouvoir restaurer entre vous des accords de paix » leur dit-il.

Au cours de la célébration, le cœur de l’un et de l’autre se sont illuminés, les larmes ont commencé à couler et le litige n’avait plus de raison d’être. Saint-Yves avait intercédé pour que Dieu change les dispositions intérieures de l’un et de l’autre.

Honteux à la fin de la messe, les deux hommes dirent au prêtre « Messire, pour ce qui est du différend qui nous concerne, faites absolument ce que vous voulez ».

Le règlement amiable des litiges est ancien et s’appuyait sur le cœur des justiciables pour tenter une réconciliation. Aujourd’hui, il est rare de trouver un juge capable, devant le volume de dossiers, de rassembler efficacement les parties, même si le Code de procédure civile engage les magistrats à s’efforcer d’entendre les parties.

Saint-Yves était aussi avocat. Il a forgé une réputation d’homme juste et en faveur des miséreux. Avant de s’engager dans une affaire, il faisait jurer son client que sa cause était juste. Une façon pour lui de s’assurer d’être en conformité avec l’éthique et le droit.

Le recteur de l’Église de Trédrez, Geoffroy Jubiter rapporte qu’un jour, un pauvre noble nommé Richard Le Brouz ne pouvait plus poursuivre son procès contre l’abbé de Sainte-Marie-du-rebec. Très peu d’official aurait assumé de défendre un paroissien contre un clerc, pourtant Yves avait de son côté une cause juste.

Un abbé du monastère de Bégard a également témoigné lors du procès canonique et se souvenait d’une femme dont les fiançailles avaient été rompues brutalement. Saint-Yves a supporté les injures de l’homme durant tout le procès sans jamais ne rien répondre. La femme n’avait pas de quoi régler les honoraires, mais néanmoins, elle a été défendue.

En réalité, la plupart des témoignages, font référence à Saint-Yves d’avantage comme juge que comme avocat. Les avocats l’ont adopté comme Saint-Patron pour le symbole d’équilibre qu’il peut incarner.

Saint Yves est devenu le Saint Patron des avocats car il a été un juge juste et équitable, du côté du droit et qui avait pour lui la sagesse que chaque magistrat doit incarner.

Par l’amour du droit et de la justice, Saint-Yves était capable d’exercer une profession unique de juge et d’avocat. Saint-Yves a démontré tout au long de sa vie une capacité à rendre la justice et à faire valoir des intérêts justes.

Devant le manque de magistrats, on pourrait légitiment s’interroger à un retour aux sources de la profession et à inviter les avocats à rendre leur robe le temps d’une audience pour siéger à la place d’un juge de proximité comme leur Saint Patron.

La proximité des justiciables qui était celle de Saint-Yves doit demeurer celle des avocats, car il permet d’éprouver la justesse des demandes, et donc d’amener chacun à plus de raison pour la paix et pour la concorde.

Pour aller plus loin : Saint-Yves, enquête canonique sur la vie et les miracles, Jean-Paul Le Guillou, L’Harmattan 2015.

Samir Lassoued Avocat au Barreau du Val d’Oise