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Fonds Marianne : une nécessaire réflexion sur l’état du droit français des subventions publiques. Par Alexis Robbe, Avocat.
Parution : mercredi 24 mai 2023
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Lancé en 2021 par le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) dans le but de promouvoir les valeurs républicaines et combattre les discours séparatistes, l’appel à projets « Fonds Marianne » est au cœur d’une vaste polémique révélatrice de plusieurs insuffisances du droit français des subventions publiques.

Disons-le tout de suite : il ne s’agira pas pour l’auteur de ces lignes, de commenter les faits pour lesquels une information judiciaire a été ouverte par le Parquet national financier (PNF), le 4 mai 2023. En revanche, au-delà des faits et des responsabilités individuelles, qui restent à établir, le « Fonds Marianne » est le révélateur de plusieurs carences du droit français des subventions publiques.

1. L’absence d’encadrement législatif et réglementaire des « appels à projets ».

D’aucuns pourraient croire que le droit français, d’habitude si loquace et détaillé, définit et encadre de manière stricte l’organisation des appels à projets (règles et supports de publicité, contenu des actes de candidature à déposer, critères de sélection à retenir en fonction de la nature du projet…), d’autant plus lorsque les subventions à distribuer représentent une enveloppe de 2,5 millions d’euros.

Hélas, le droit français des subventions publiques ne tient qu’à trois articles de loi - les articles 9-1, 10 et 10-1 de la loi n°2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations - complété par quelques textes épars - dont notamment l’article L1611-4 du Code général des collectivités territoriales - qui ne définissent, ni la notion « d’appel à projets », ni les règles de publicité et de sélection préalables qui s’imposent en la matière.

L’absence de cadre juridique a d’ailleurs été reconnu, par le ministre chargé des comptes publics, à l’occasion d’une très récente réponse ministérielle publiée au journal officiel du Sénat le 2 mars 2023 (Question n°01841).

Dans ce cadre, dire que le droit français des subventions publiques est à un stade embryonnaire est un euphémisme : il aura fallu attendre la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014, pour que le législateur donne une définition des « subventions publiques ». Le contraste avec le droit français de la commande publique, qui fait l’objet d’un code à part entière, et qui oblige au respect de règles de publicité et de mise en concurrence strictes, dès le dépassement du seuil d’achat de 40 000 euros hors taxes, est saisissant.

En France, l’attribution de subventions publiques repose, pour une large part, sur la libre discrétion des collectivités publiques, qui disposent pour cela d’une liberté totale dans les modalités de sélection des entités bénéficiaires, pour autant qu’elles respectent la réglementation européenne des aides d’Etat (dont les règles se cumulent avec celles du droit français) et les propres règles qu’elles édictent (dans le cadre d’un « cahier des charges » ou de « règlements financiers »).

De fait, si la sélection, dans le cadre de l’appel à projets « Fonds Marianne », d’un nombre limité d’associations lauréates à l’issue d’une procédure (disons-le) « éclair », soulève des interrogations, cette procédure ne méconnaît, en soi, aucune obligation légale ou réglementaire (sous réserve, bien évidemment, de la caractérisation d’une éventuelle infraction pénale) puisque, précisément, il n’existe aucun cadre légal ou réglementaire. Reste à savoir si le cadre édicté par le CIPDR a bien été respecté.

2. L’absence d’obligation de contrôle systématique du contenu de l’action subventionnée.

Les modalités d’exercice de contrôle de l’action subvention sont régies par l’article 10 de la loi de la loi du 12 avril 2000 qui prévoit notamment que, dans les six mois suivant la fin de l’exercice comptable pour laquelle la subvention a été attribuée, l’entité bénéficiaire remet un compte rendu financier, les comptes annuels, et le cas échéant, le rapport du commissaire aux comptes.

Cependant, l’article 10 de la loi du 12 avril 2000 souffre intrinsèquement de deux insuffisances.

Il est d’abord lacunaire sur le contenu de la convention d’attribution (obligatoire pour les subventions d’un montant supérieur à 23 000 euros en application du décret n°2001-495 du 6 juin 2001) devant être conclue avec l’entité bénéficiaire. Cet article impose seulement de définir :

« l’objet, le montant, les modalités de versement, les conditions d’utilisation et les modalités de contrôle et d’évaluation de la subvention attribuée ».

Il n’appréhende ensuite que le seul cas du contrôle financier, a posteriori. Autrement dit, l’article 10 :

Dans ce cadre, l’efficacité du contrôle du bon emploi des deniers publics dépend donc uniquement des termes de la convention d’attribution, et plus précisément, des obligations mises à la charge des entités bénéficiaires, précision ici faite que l’élaboration relève là encore de la libre discrétion de la collectivité attributaire des fonds.

Sur ce point, l’administration a bien mis en ligne un « modèle de convention d’attribution », à l’occasion d’une circulaire du Premier ministre n° 5811-SG du 29 septembre 2015 relative aux nouvelles relations entre les pouvoirs publics et les associations. Cependant, ce modèle de convention n’est pas obligatoire et, il faut le reconnaître, s’avère insuffisant dans son contenu pour s’assurer d’un contrôle efficace du bon emploi des fonds et du contenu de l’action subventionnée.

Vu de l’extérieur, il n’est donc pas surprenant, en soi, que l’on ait pu, dans le cadre de la mise en œuvre de l’appel à projets « Fonds Marianne », décider de verser la totalité des fonds publics aux entités sélectionnées, alors même que le contenu de certaines actions mises en œuvre pouvait apparaître comme inapproprié ou très insuffisant au regard des objectifs assignés, si la convention d’attribution ne prévoyait aucune obligation pour les associations de justifier, sur pièce, de l’avancement de l’action subventionnée. Les investigations en cours permettront sans doute de clarifier ce point.

Reste que la polémique actuelle doit être l’occasion pour le législateur de se saisir pleinement de ces deux sujets et d’envisager (peut-être ?), à l’aune des conclusions qui seront rendues par la commission d’enquête parlementaire, la fixation d’un cadre commun d’attribution et de contrôle des subventions publiques.

Alexis Robbe Avocat au barreau de Paris