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Le droit français des congés payés est toujours contraire au droit européen. Par Stéfanie Oudard, Avocat.
Parution : jeudi 25 mai 2023
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Quelques semaines seulement après la publication de loi du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture, une décision de la Cour de cassation rappelle que le droit français n’est toujours pas conforme au droit européen en matière de congés payés.

Cass. soc. 13 avril 2023, n°21-23.054.

Dans un arrêt du 13 avril 2023 [1], la Chambre sociale a ainsi réaffirmé :

En droit français, l’article L3141- 3 du Code du travail conditionne l’acquisition des congés payés à du travail effectif, ce qui, selon l’article L3141-5 du même code, exclut les périodes d’arrêt maladie d’origine non professionnelle, sauf disposition conventionnelle contraire.

Cette restriction est contraire au droit européen, plus particulièrement à l’article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail.

Cet article entend en effet garantir un socle minimal de quatre semaines de congés payés à chaque travailleur de l’Union, considérant que tout salarié en arrêt de travail pour maladie acquiert des congés payés pendant son absence, sans opérer de distinction entre l’origine professionnelle ou non de la maladie.

Pourtant, près de 20 ans après son entrée en vigueur, ce texte n’a toujours pas été intégralement transposé en droit français, ce qui pose plusieurs problèmes :

Il y a en conséquence un déséquilibre sur ce point entre les salariés du public et ceux du privé.

Certes, les salariés des employeurs de droit privé peuvent toujours tenter d’invoquer la directive devant les juridictions françaises. Néanmoins, le juge étant supposé trancher le litige en appliquant le droit français, les articles L3141- 3 et suivants du Code du travail s’imposent à lui, sauf situation particulière.

Dans une affaire très commentée, la convention collective applicable comportait deux clauses relatives aux congés payés : l’une prévoyant que les absences pour longue maladie avec maintien de salaire sont assimilées à du temps de travail et l’autre que les absences pour maladie d’une durée supérieure à 12 mois n’ouvrent pas droit à congé. La Chambre sociale a pu faire prévaloir la première clause en rappelant que le juge doit interpréter le droit national à la lumière du droit européen [4].

En revanche, à défaut de particularité de ce type, le salarié auquel l’employeur de droit privé ne garantit pas l’acquisition de congés payés durant un arrêt de travail pour maladie simple ne dispose que de l’option suivante :

Ces dernières années, la France s’est alignée sur le droit de l’Union en matière de congés payés par petites touches successives :

Mais sur l’acquisition de droits à congés payés durant une absence pour maladie simple, le législateur persiste à faire la sourde oreille, et ce malgré les suggestions de réforme répétées de la Cour de cassation dans ses rapports annuels [11].

Dans un contexte de désaffection pour le travail et de vives tensions sociales, un alignement du droit national sur le droit de l’Union européenne, sur un sujet particulièrement cher au cœur des salariés français, permettrait de garantir une égalité de traitement entre les travailleurs tout en restaurant la sécurité juridique des entreprises et en préservant l’Etat français d’actions en responsabilité et en manquement.

Stéfanie Oudard, Avocat à la Cour Barreau de Paris www.eunice-avocats.fr [->stefanie.oudard@eunice-avocats.fr]

[1Cass. soc. 13 avril 2023, n°21-23.054.

[2Cass. soc. 13 mars 2013, n°11-22.285.

[3Cass. soc. 22 juin 2016, n°15-20.111.

[4Cass. soc. 15 septembre 2021, n°20-16.010.

[5TA Clermont-Ferrand, 6 avril 2016, n°1500608.

[6CJUE, 6 novembre 2018, Bauer, C-569/16, Brossonn.

[7Cass. soc. 24 février 2009, n°07-44.488.

[8Cass. soc. 2 juillet 2012, n°08-44.834.

[9Loi n°2012-387 du 22 mars 2012, article 50.

[10Conseil constitutionnel, n°2015-523 du 2 mars 2016.

[11Pas moins de 5 suggestions dans les rapports de 2013, p.64 ; 2014, p.43 ; 2015, p.33 ; 2016, p.33 et 2018, p.98.

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