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Une nouvelle cité judiciaire marseillaise : un bien pour un mal ? Par Arthur Masson-Mourey, Elève-avocat.
Parution : mercredi 24 mai 2023
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Lors de sa visite à Marseille le 11 février 2023, Éric Dupond-Moretti présentait son « plan Marshall pour la justice phocéenne », projet qui impliquerait une délocalisation du palais de justice dans le quartier d’affaires d’Arenc.

Pour autant, si les motivations qui sous-tendent ce projet sont saluées, la finalité de celui-ci n’a pas suscité le même enthousiasme.

Surpopulation carcérale, délais excessifs, inaccessibilité du droit… autant de problématiques un peu moins nébuleuses à mesure que nous, élèves avocats, entrons dans la profession.

Pour autant, si celles-ci doivent nous interroger, la victime première et directe d’une justice qui va mal, d’une justice qui souffre et pleure en silence, c’est le justiciable lui-même.

Il peine à comprendre cette justice qui s’écarte de lui à mesure qu’il tente de s’en rapprocher.

La justice marseillaise va mal.

Un mal protéiforme que chacun de nous a pu entrevoir, que chacun de nous à pu toucher du doigt, à travers notre immersion progressive depuis plusieurs années dans la profession d’avocat.

Il s’agit d’un mal aux multiples aspects : manque de salles d’audiences, délais allongés à outrance, une justice marseillaise dénoncée comme morcelée, éclatée entre plusieurs sites (Conseil des prud’hommes de la rue Rigord, pôle civil et famille de la rue Delanglade, JCP à la Caserne du Muy…) pourtant pour la plupart éloignés de 300 mètres tout au plus.

Un éparpillement qui irait - à en entendre les mots de notre ministre de la Justice - à l’encontre de l’objectif premier que nous partageons tous : œuvrer à une bonne administration de celle-ci.

Pour tenter de pallier ces carences, le 11 février dernier, lors d’une visite à Marseille, Éric Dupond-Moretti, présentait son « Plan Marshall pour la justice phocéenne » : la création d’une cité judiciaire de 40 000 m2 devant réunir les quelque 600 magistrats marseillais à venir.

Ainsi, pour répondre aux problématiques de manque d’espace, pour loger plus d’effectifs et dans l’espoir d’assurer le bon fonctionnement de la Justice, le garde des Sceaux propose la création d’une tour d’une quarantaine d’étages dans le quartier d’affaires d’Arenc, entre la tour Marseillaise et celle de la CMA.

Corriger cette distance entre l’Homme et son conseil, entre le citoyen et le juge, entre le justiciable et la Justice elle-même, par une distanciation encore plus grande.

Corriger un manque de proximité, par un éloignement physique.

Guérir un mal par un mal.

Pour asseoir ce projet, le gouvernement accorde 350 millions d’euros pour offrir à Marseille, « la cité judiciaire qu’elle mérite ».

Mais la cité phocéenne ne mérite pas cela, ce cadeau empoisonné, perçu par le barreau marseillais dans sa proportion la plus grande, davantage comme une punition que comme une récompense.

La cité judiciaire phocéenne doit rester dans le centre-ville.

D’abord, délocaliser le palais de justice dans le quartier d’Arenc constituerait un trouble économique pour le centre-ville de Marseille, sentiment partagé par son maire, Benoît Payan.

De la Cannebière à la place Castellane - en passant par la Préfecture, le Palais de justice est indiscutablement le poumon de l’hyper-centre-ville, son souffle économique.

Déserter les cafetiers, traiteurs des coins de rues, restaurateurs et boulangers, pour faire vivre des franchises et des centres commerciaux qui prolifèrent déjà au dépend de ces petits commerces.

Pour justifier un tel projet, Monsieur le garde des Sceaux se nourrit des applaudissements reçus par le projet d’extension du Tribunal de Bobigny.

Mais Marseille n’est pas une ville ordinaire.

Elle est encore moins Paris et sa périphérie.

En effet, le Tribunal participe à l’attractivité du centre-ville marseillais, quand on sait que les quelque 2 500 avocats et 800 fonctionnaires de justice représentent à eux seuls 18,3 millions d’euros de dépenses annuelles… 7,4 millions pour la restauration.

Le Tribunal marseillais n’est pas qu’un tribunal, il est le café de l’aube, le déjeuner du midi, le rafraîchissement du crépuscule.

Il est son histoire et son âme, son carrefour et son phare.

En lui retirant son tribunal, nous lui ôteront son poumon.

À vouloir le faire vivre davantage, ils tueront le centre-ville de Marseille.

Aussi, délocaliser la justice dans le quartier de la Joliette, constituerait un obstacle pratique supplémentaire à l’exercice de sa profession par l’avocat.

En effet, c’est écarter l’avocat lui-même de ses enjeux ; cet avocat qui ne pourrait plus exercer tous les devoirs de sa charge dans la même journée, cet avocat marseillais 2.0 qui devra revoir son agenda déjà surchargé pour se déplacer à des kilomètres de son cabinet, qui devra demander davantage de temps au temps.

Un tel déménagement imposerait aux avocats une délocalisation de leurs cabinets, de leur clientèle, mais ceux-ci n’ont pas moyens de procéder à un tel changement.

L’avocat marseillais c’est celui de la rue Breteuil et de la rue Paradis, de la rue Sylvabelle et de la rue Montgrand…

Jeanne (étudiante de l’EDASE [1]) nous demandait encore la semaine dernière : « Coucou les copains est-ce que quelqu’un est à la caserne du Muy cet après-midi pour nous faire un renvoi ? »

Cette caserne du Muy qui servait initialement de structure temporaire durant les travaux de rénovation du Palais de Justice, et qui déjà, constitue une difficulté pratique supplémentaire à laquelle l’avocat doit déjà s’accommoder aujourd’hui.

Une délocalisation qui paradoxalement, vide de tout sens les projets marseillais de ces dernières années, dont on ne peut pourtant que se féliciter puisqu’en 2017 la prison des Baumettes a fait peau neuve, profitant d’un véritablement investissement par le Ministère de la Justice.

Pourtant, déplacer le palais de justice dans le secteur d’Arenc, c’est l’éloigner encore un peu plus de la prison des Baumettes, c’est allonger les délais d’extraction, et conséquemment la durée des audiences.

L’opposition du barreau de Marseille ne doit pas rester muette, elle est la voix de 2 500 robes pour qui la salle des pas perdus deviendra le séjour des quarante prochaines années.

Une profession suffisamment difficile qui se passerait bien d’un nouvel obstacle, ajouté à ses journées effrénées et à ses nuits d’insomnie.

Enfin, le palais de justice n’est pas qu’économie et commodité.

Il est un lieu emblématique de la cité phocéenne, son histoire, son identité et son charme.

Il est le juge Michel, Maître Nicole Pollak et Maître Lombard.

Il est le palais Monthyon.

Il est son perron qui se décore entre midi et deux de ses habitants dès les premiers jours du printemps

Il est sa salle des pas perdus où sont installés Charlemagne et Portalis, Thalles et Napoléon Premier.

Il est, telles que l’illustrent ses voussures, force et équité, droit et liberté.

Et parce que ce palais de justice est celui de nos pairs, celui de nos aînés, mais aussi celui qu’on veut nôtre, le palais de Justice doit rester dans le centre-ville.

Mais parce qu’il pourrait être reproché à ce plaidoyer une part d’« avocato-centrisme », quid de l’avis du magistrat, de l’auxiliaire de justice, mais surtout du justiciable, « victime première et directe de cette justice qui va mal » ?

Arthur Masson-Mourey, Elève-avocat, Ecole des avocats du Sud-Est (EDASE).

[1Ecole des Avocats du Sud-Est (EDASE).

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