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Rupture conventionnelle : sa signature vaut renonciation commune à une rupture intervenue précédemment. Par Frédéric Chhum, Avocat et Mathilde Fruton Létard, Elève-Avocat.
Parution : lundi 29 mai 2023
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Dans un arrêt du 11 mai 2023 (n°21-18.117), la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que lorsque le contrat de travail a été rompu par l’exercice par l’une ou l’autre des parties de son droit de résiliation unilatérale, la signature postérieure d’une rupture conventionnelle vaut renonciation commune à la rupture précédemment intervenue.
Cass. soc., 11 mai 2023, n°21-18.117.

1) Faits et procédure.

Un salarié a été engagé en qualité d’employé polyvalent le 7 juillet 2016 par la société Le We club.

A l’issue de deux entretiens des 17 et 24 mars 2017, les parties ont conclu une convention de rupture du contrat de travail, avec une date d’effet prévisible au 20 avril 2017.

La DIRECCTE a accusé réception de la demande d’homologation le 13 avril 2017.

Estimant avoir fait l’objet antérieurement d’un licenciement verbal, le salarié a saisi, le 20 juin 2018, la juridiction prud’homale de demandes relatives à l’exécution et à la rupture de son contrat de travail.

Le Conseil de prud’hommes avait estimé que l’action du salarié était irrecevable en sa demande.

Dans un arrêt du 15 avril 2021, la Cour d’appel de Paris infirme le jugement du Conseil de prud’hommes, juge le salarié recevable et dit qu’il a fait l’objet d’un licenciement verbal le 18 mars 2017.

L’employeur forme alors un pourvoi en cassation.

2) Moyens.

L’employeur fait grief à l’arrêt de la Cour d’appel d’infirmer le jugement de première instance qui avait estimé que l’action du salarié était irrecevable, alors que :

« chaque fois que le différend dont le juge est saisi vise à remettre en cause la convention de rupture conventionnelle, le délai fixé par l’article L1237-14 du code du travail est applicable ; qu’en conséquence, le salarié qui a conclu une rupture conventionnelle ne peut plus contester ni la validité ni les effets de celle-ci au-delà du délai d’un an de l’article L. 1237-14 du code du travail, notamment en invoquant un prétendu licenciement verbal qui serait intervenu antérieurement à la signature de la convention de rupture ».

De plus,

« l’employeur fait grief à l’arrêt de dire que le salarié a fait l’objet d’un licenciement verbal le 18 mars 2017, constitutif d’une rupture abusive du contrat de travail et de le condamner à lui verser diverses sommes […] alors que lorsque le contrat de travail a été rompu unilatéralement par l’une ou l’autre des parties, la signature postérieure d’une rupture conventionnelle vaut renonciation commune à la rupture précédemment intervenue ; que le salarié qui accepte de conclure une rupture conventionnelle renonce donc par là même à se prévaloir d’un licenciement verbal qui serait intervenu antérieurement ».

3) Solution.

La chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, en ce qu’il a dit que le salarié avait fait l’objet d’un licenciement verbal le 18 mars 2017 constitutif d’une rupture abusive du contrat de travail, en ce qu’il condamne la société à payer à l’intéressé diverses sommes, et en ce qu’il condamne la société à remettre au salarié un bulletin de paie récapitulatif, un certificat de travail et une attestation Pôle emploi conformes à la décision.

La haute Cour commence par rappeler que le délai de prescription de deux ans prévus pour toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail, figurant à l’article L1471-1 du Code du travail, ne fait pas obstacle aux délais de prescription plus court, notamment à celui prévu à l’article L1237-14.

Or, l’article L. 1237-14 prévoit que tout litige concernant la convention, l’homologation ou le refus d’homologation relève de la compétence du conseil des prud’hommes, et ce recours doit être formé, à peine d’irrecevabilité, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter de la date d’homologation de la convention.

La chambre sociale vient alors affirmer que :

« Lorsque le contrat de travail a été rompu par l’exercice par l’une ou l’autre des parties de son droit de résiliation unilatérale, la signature postérieure d’une rupture conventionnelle vaut renonciation commune à la rupture précédemment intervenue ».

La Cour d’appel a donc violé les textes susvisés en considérant que :

« la prescription abrégée d’un an prévue par l’article L1237-14 du code du travail ne porte que sur la contestation d’une rupture conventionnelle et ne s’applique pas à l’action en reconnaissance d’un licenciement verbal soumise à un délai de deux ans et en l’espèce non prescrite, que le salarié établit l’existence d’un licenciement verbal et que la rupture conventionnelle intervenue postérieurement est sans objet, le contrat étant d’ores et déjà rompu ».

4) Analyse.

La chambre sociale de la Cour de cassation avait déjà jugé en ce sens dans un arrêt du 3 mars 2015 (n°13-20.549), à propos d’un licenciement régulièrement notifié par l’employeur :

« En signant une rupture conventionnelle, les parties avaient d’un commun accord renoncé au licenciement précédemment notifié par l’employeur ».

En l’espèce, dans l’arrêt du 11 mai 2023, cette solution vient seulement être appliquée au licenciement verbal, qui est par définition sans cause réelle et sérieuse [1].

Ainsi, un employeur qui n’aurait pas respecté la procédure légale de licenciement prévue par les articles L1232-1 et suivants du Code du travail en prononçant un licenciement verbal, pourrait purger la rupture du contrat de travail de tout vice en signant une rupture conventionnelle.

Toutefois, dans le délai de prescription d’un an prévu par l’article L1237-14 du Code du travail, le salarié pourrait se prévaloir d’un vice du consentement afin de faire annuler la rupture conventionnelle.

Or, en cas d’annulation de la rupture conventionnelle, la rupture du contrat de travail est requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse [2].

Sources :
Cass. soc., 11 mai 2023, n°21-18.117

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum

[1Not, Cass. soc., 22 mai 2001, n°99-40.486 ; Cass. Soc., 23 octobre 2019 n°17-28.800.

[2Cass. soc., 30 mai 2018, n°16-15.273.