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Fonctionnaires : la composition irrégulière des comités d’audition entraîne l’annulation de la nomination. Par Diane Florent, Juriste.
Parution : mercredi 31 mai 2023
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Dans un objectif de modernisation et de transparence du recrutement des cadres supérieurs et dirigeants de l’État, le Gouvernement a mis en place des comités d’audition pour la nomination des directeurs d’administration centrale et des chefs de service des administrations de l’État.
Ces nouvelles règles constituent de véritables garanties pour les candidats et doivent être scrupuleusement respectées sous peine d’annulation de la procédure.

La volonté de transparence dans le processus de nomination aux emplois supérieurs de l’État s’est concrétisée par l’adoption de deux décrets du 24 mai 2016 : le décret n° 2016-663 portant création d’un comité d’audition pour la nomination des directeurs d’administration centrale et le décret n° 2016-664 portant création d’un comité d’audition pour la nomination des chefs de service des administrations de l’État.

Depuis, le recrutement des cadres supérieurs de l’État implique nécessairement un entretien préalable des candidats par un comité d’audition.

Ces comités sont des instances collégiales composées, pour les directeurs d’administration centrale, de quatre personnes a minima et présidées par le secrétaire général du gouvernement et, pour les chefs de service, ils comptent au minimum trois personnes.

Ces instances sont chargées d’auditionner les candidats préalablement sélectionnés et d’apprécier leurs qualifications, compétences, aptitudes, expérience professionnelle et capacité à exercer les missions dévolues à l’emploi à pourvoir [1]. A l’issue de ces auditions, ces instances rendent un avis qu’elles communiquent au ministre pour les directeurs d’administration centrale et à l’autorité de recrutement pour les chefs de service. Cette dernière présente ensuite un ou plusieurs noms à l’autorité investie du pouvoir de nomination.

Lors du conseil des ministres du 18 mai 2016, le ministre de la Fonction publique précisait que :

« La composition du comité, où seront notamment présentes une personnalité extérieure et un spécialiste des ressources humaines, permettra de réaliser un examen partagé et objectif des talents et des compétences des candidats de nature à éclairer le choix des autorités de nomination » [2].

Par ailleurs, dans son rapport annuel de 2017 sur l’état de la fonction publique, la direction générale de l’administration et de la fonction publique relevait que l’instauration progressive de ces comités d’audition aux postes d’encadrement supérieur présentait un intérêt « dans les regards croisés sur les parcours professionnels, les compétences des candidats auditionnés et l’appréciation de leur aptitude à occuper l’emploi à pourvoir » [3].

Les comités ainsi institués sont donc gages de transparence, d’égalité de traitement des candidats et de professionnalisme… mais encore faut-il que les règles de composition édictées soient respectées.

I- Les règles de composition des comités d’audition en vue du recrutement aux emplois supérieurs de l’État.

Les règles régissant les comités d’audition pour les directeurs d’administration centrale et pour les chefs de services sont aujourd’hui disséminées dans différents textes.

S’agissant des directeurs d’administration centrale, l’article 1er du décret n° 2016-663 prévoit que :

« Le comité est présidé par le secrétaire général du Gouvernement ou par un représentant désigné par lui.
Outre son président, le comité comprend au moins quatre personnes dont une appartenant au ministère au sein duquel l’emploi est à pourvoir, une extérieure à ce ministère, une qualifiée dans les domaines de compétence de l’emploi à pourvoir et une justifiant de compétences en matière de ressources humaines
 ».

S’agissant des chefs de service, le décret n° 2016-664 a créé un article 7-1 au sein du décret n° 2012-32 du 9 janvier 2012 relatif aux emplois de chef de service et de sous-directeur des administrations de l’État.
La circulaire du 14 juin 2016, relative à l’application de ce décret, précisait alors que la nouvelle procédure :

« s’applique pour toute nomination à un emploi de chef de service dans une administration centrale et les services à compétence nationale du (ou des ministres) dont relève l’emploi ».

Toutefois, le décret n° 2019-1594 du 31 décembre 2019 relatif aux emplois de direction de l’État, pris en application de la loi de transformation de la fonction publique [4] a abrogé le décret n° 2012-32 du 9 janvier 2012 précité.

C’est donc le décret du 31 décembre 2019 qui prévoit aujourd’hui les dispositions applicables à la composition des comités d’audition pour les chefs de service.
Aux termes de son article 6 :

« Toute candidature qui n’a pas été écartée par l’autorité de recrutement fait l’objet d’un examen préalable suivi, le cas échéant, d’une audition du candidat.
Une instance collégiale procède à l’examen préalable des candidatures ou à l’audition des candidats dans les conditions précisées par l’arrêté mentionné à l’article 2.
Cette instance, dont la composition est fixée par l’autorité de recrutement, comprend au moins trois personnes. Une de ces personnes n’est pas soumise à l’autorité hiérarchique de l’autorité dont relève l’emploi à pourvoir et est choisie en raison de ses compétences dans le domaine des ressources humaines. Une autre de ces personnes occupe ou a occupé des fonctions d’un niveau de responsabilités au moins équivalent à celui de l’emploi à pourvoir
 ».

Par ailleurs, l’article 2 du décret n° 2019-1594 dispose que :

« Un arrêté du ou des ministres intéressés et du ministre chargé de la fonction publique précise, pour chaque département ministériel et pour chaque catégorie d’emploi, les modalités de la procédure de recrutement définies par le présent chapitre ainsi que l’autorité de recrutement et celle dont relève l’emploi à pourvoir ».

Ainsi chaque ministre a été invité à adopter un arrêté afin de fixer les règles de recrutement applicables au sein de son ministère.

C’est notamment dans ce cadre que le ministre de l’Europe et des affaires étrangères et le ministre de l’Action et des comptes publics ont adopté l’arrêté du 28 février 2020 fixant les modalités de recrutement des emplois de direction au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

En dépit de l’instauration de cette nouvelle procédure de recrutement, certaines administrations semblent montrer une certaine réticence à appliquer le cadre juridique fixé et rappelé ci-dessus. Toutefois, le juge administratif, compétent pour apprécier la légalité des décisions de nomination aux emplois supérieurs de l’État, veille à ce que les règles ainsi fixées soient respectées.

II- Une première annulation par le tribunal administratif d’une procédure de nomination de sous-directeur pour méconnaissance de ces règles.

En avril 2022, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a ainsi recherché à pourvoir un emploi de sous-directeur pour son École pratique des métiers de la diplomatie.

C’est dans ce cadre qu’un haut fonctionnaire a présenté sa candidature à ce poste. Il a ensuite été informé qu’il avait été présélectionné et qu’il serait auditionné par une instance collégiale. A l’issue de cette audition, le candidat a appris que sa candidature n’avait pas été retenue.

Estimant que la composition de l’instance collégiale ayant procédé aux auditions des candidats était irrégulière au regard de l’article 3 de l’arrêté du 28 février 2020 précité, au motif que la sous-directrice des ressources humaines siégeait aux côtés de la directrice des ressources humaines, sa supérieure hiérarchique, le haut fonctionnaire a introduit un recours devant le tribunal administratif de Paris afin de faire annuler la décision de nomination du candidat retenu.

Dans un délai très bref et par son jugement du 8 février 2023 [5], le tribunal administratif de Paris a annulé la décision de nomination du directeur.

En premier lieu, pour reconnaitre l’existence d’un vice entachant la procédure nomination du directeur adjoint, le tribunal a constaté que l’instance collégiale qui a auditionné l’ensemble des candidats ne comptait pas de personne qualifiée dans le domaine des ressources humaines ne relevant pas de l’autorité hiérarchique de la directrice des ressources humaines et était donc irrégulièrement composée.

En second lieu, le tribunal administratif devait déterminer si, en application de la jurisprudence Danthony  [6] le vice constaté avait été susceptible d’exercer une influence sur le sens de la décision prise ou avait privé le requérant d’une garantie.

Pour rappel, aux termes de cette décision :

« (…) si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie (…) ».

Dans la présente affaire, le tribunal administratif de Paris devait, plus particulièrement, apprécier si le vice résultant de la présence à la fois de la sous-directrice des ressources humaines et de la directrice des ressources humaines, alors que la première était placée sous l’autorité hiérarchique de la seconde, était « Danthonysable ».

Le tribunal administratif répond par la négative en jugeant que :

« En l’espèce, la présence de la sous-directrice des personnels titulaires, soumise à l’autorité hiérarchique de la directrice des ressources humaines, a privé l’intéressé d’une garantie tenant à la présence dans cette instance collégiale chargée d’examiner les candidatures, d’une personne qualifiée dans le domaine des ressources humaines indépendante de celle-ci ».

Par conséquent, le tribunal administratif de Paris annule l’arrêté du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères portant nomination du candidat retenu.

En définitive, l’intervention du jugement du 8 février 2023 constitue un rappel nécessaire à destination des administrations, dès lors qu’elles mettent en œuvre la procédure ici rappelée en vue du recrutement des cadres supérieurs et dirigeants de l’État.

Diane Florent, Juriste. Cabinet Fleurus Avocats

[1v. en ce sens l’article 8 du Décret n° 2019-1594 du 31 décembre 2019 relatif aux emplois de direction de l’État.

[2Le compte-rendu du Conseil des ministres est disponible sur le site du gouvernement : https://www.gouvernement.fr/conseil-des-ministres.

[4Article 16 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique.

[5Tribunal administratif de Paris - 5e Section - 3e Chambre, 8 février 2023, n° 2219268.

[6CE, Assemblée, 23 décembre 2011, M. Claude Danthony et autres, n° 335033, Publié au Recueil Lebon.