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Nullité du contrôle fondé sur l’article 60 du Code des douanes. Par Margaux Machart, Avocat.
Parution : mardi 6 juin 2023
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L’article 60 du Code des douanes prévoit que les agents des douanes « peuvent procéder à la visite des marchandises et des moyens de transports et à celle des personnes ». Ce vieil article date de 1948 et n’a jamais été modifié depuis.
L’article a été déclaré inconstitutionnel par décision n° 2022-1010 QPC du 22 septembre 2022 compte tenu du pouvoir exorbitant des agents de la douane, trop peu encadré.
Quelles sont les conséquences de cette inconstitutionnalité et quid de l’inconventionnalité ?

L’article 60 du Code des douanes ne pose aucune condition propre à circonstancier la mise en œuvre du pouvoir de visite des agents de la douane : les contrôles peuvent être réalisés sans restriction par les agents habilités, à l’encontre de toute personne se trouvant sur la voie publique.

La jurisprudence a confirmé que ce contrôle peut être effectué « sans relever l’existence préalable d’indice laissant présumer la commission d’une infraction » [1] ce qui entre manifestement en conflit avec les droits et libertés fondamentaux.

C’est notamment pour cette raison que le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2022-1010 QPC du 22 septembre 2022, a déclaré cet article inconstitutionnel en ce qu’il ne précise

« pas suffisamment le cadre applicable à la conduite de ces opérations, tenant compte par exemple des lieux où elles sont réalisées ou de l’existence de raisons plausibles de soupçonner la commission d’une infraction, le législateur n’a pas assuré une conciliation équilibrée entre, d’une part, la recherche des auteurs d’infractions et, d’autre part, la liberté d’aller et de venir et le droit au respect de la vie privée ».

Les effets de cette inconstitutionnalité sont reportés au 1er septembre 2023, précision faite que « les mesures prises avant la publication de la présente décision ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité ».

Le Conseil constitutionnel semble limiter aux seules décisions prises avant la publication de la décision l’impossibilité d’en invoquer l’inconstitutionnalité.

A contrario, les contrôles opérés postérieurement à la publication de la décision (le 23 septembre 2022) pourraient être contestés du fait de leur inconstitutionnalité, nonobstant le report de l’abrogation de l’article 60 du Code des douanes.

Plusieurs tribunaux correctionnels ont déjà rendu des décisions prononçant la nullité de ces contrôles, en se fondant tantôt sur l’inconstitutionnalité, tantôt sur l’inconventionnalité de l’article 60 du Code des douanes. Le Ministère Public a systématiquement interjeté appel de ces décisions de sorte que le recul est assez limité et la Cour de Cassation n’a pas encore rendu de décision sur ce point.

Le Tribunal correctionnel de Lille a rendu deux décisions tirant les conséquences de la déclaration d’inconstitutionnalité le 22 mai 2023 et le 5 juin 2023, en chambre des comparutions immédiates, déclarant le contrôle irrégulier et annulant la procédure.

Les autres décisions sont fondées sur les articles 5 et 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme (CESDH).

Il a été jugé que

« si l’inconstitutionnalité de l’article 60 du Code des douanes ne peut être soulevée, il est de la compétence du tribunal de s’assurer que le contrôle effectué sur ce fondement, ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits et libertés prévus aux articles 5 et 8 de la Convention de sauvegarde des Droits et de l’Homme et des libertés fondamentales » [2].

Dans cette affaire, l’intervention de la douane n’avait été circonstanciée par aucune condition telle qu’une délimitation temporelle, spatiale, ou même des motifs particulier justifiant que ce pouvoir puisse, sans considération de lieu, être mis en œuvre. La procédure a été annulée.

Le Tribunal correctionnel de Béthune a également énoncé que : « en vertu des principes d’équivalence, d’effectivité et de primauté du droit de l’Union, il revient au juge pénal d’écarter l’application de l’article 60 du Code des douanes en ce qu’il porte atteinte à la liberté d’aller et venir tel que garantie par le droit de l’Union » pour annuler un contrôle douanier et toute la procédure reposant sur cet acte [3].

Le Tribunal correctionnel de Reims a adopté la même position, considérant qu’un contrôle réalisé dans des conditions similaires

« en ne reposant pas sur des indices particuliers permettant de l’objectiver, le contrôle porte une atteinte excessive au respect de la vie privée prévu à l’article 8 de la CEDH » [4].

Il est vrai que l’injonction de se garer sur une aire d’autoroute donnée par des agents douaniers en uniformes, puis le contrôle et la fouille du véhicule immobilisé de l’intéressé en sa présence, s’analysent en une privation de la liberté d’aller et venir ou a minima en une restriction importante à celle-ci. Si l’intéressé décidait de partir ou de ne pas s’arrêter, il pourrait d’ailleurs s’exposer à des sanctions. Il arrive aussi que la personne soit menottée et parfois transportée dans les locaux de la douane avant même son placement en retenue.

Sur le plan du droit au respect de la vie privée, imposer à une personne de se plier à une fouille minutieuse de ses effets personnels sans le moindre indice est par définition constitutif d’une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée.

Ces ingérences s’expliquent par l’objectif de prévention des infractions pénales et douanières, lequel constitue un « but légitime » prévu textuellement.

Mais ces ingérences ne sauraient passer pour « nécessaires dans une société démocratique » lorsqu’elles sont illimitées dans leur étendue, localisation, durée, nombre de contrôles, qu’elles échappent au contrôle de l’autorité judiciaire, et surtout qu’elles sont possibles en l’absence de toute obligation de justifier des raisons objectives de soupçonner un individu.

Ce très vaste pouvoir discrétionnaire ne prévoit aucune limite autre que la compétence et laisse large place à « l’intuition » de l’agent ou à des considérations plus subjectives étrangères à la situation.

Une nouvelle rédaction de l’article 60 du Code des douanes va prochainement être soumise à l’Assemblée Nationale.

Le projet de loi prévoit un droit de visite à géométrie variable, en fonction du lieu géographique de son exercice : dans les zones transfrontalières, gares, aéroports, les prérogatives resteraient relativement étendues tandis que sur les autres zones le droit de visite devra être motivé et s’effectuera soit après information du procureur de la République, soit en cas de raisons plausibles de soupçonner une infraction douanière.

L’encadrement du pouvoir de fouille est décrit comme « paralysant » par les douanes, vent debout.

Rien n’indique que les prérogatives des douanes, toujours aussi étendues dans les zones transfrontalières, soient considérées comme conformes au bloc de constitutionnalité vu la décision du 22 septembre 2022 et la jurisprudence de la CESDH, protectrices des droits et libertés fondamentaux.

Margaux Machart Avocat au Barreau de Lille https://www.machart-avocat.fr/

[1Cass Crim 23 mars 1992 91-33.775.

[2TJ Lille 13 octobre 2022.

[3TJ Béthune 10 mars 2023.

[4TJ Reims 9 décembre 2022.