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Les prêts « toxiques » Helvet Immo reviennent sur le devant de la scène judiciaire. Par Olivier Hannebert, Avocat et Jade Matura, Elève-Avocat.
Parution : samedi 10 juin 2023
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Le procès pénal de BNP Paribas Personal Finance, filiale crédit de BNP Paribas, ouvert depuis le lundi 15 mai 2023 à la Cour d’appel de Paris, s’est achevé le mardi 6 juin 2023.
Cette actualité justifie que nous revenions sur notre précédent article consacré aux prêts dits « Helvet Immo » : Affaire Helvet Immo : la CJUE tranche en faveur des consommateurs.

Rappel des faits.

Entre 2008 et 2009, BNP Paribas Personal Finance a commercialisé des prêts intitulés « Helvet Immo » à des fins d’investissement locatif défiscalisé, dont le capital libellé en francs suisses (monnaie de compte) était remboursable en euros (monnaie de paiement) avec une révision régulière du taux d’intérêt indexé sur la parité des monnaies. Plusieurs milliers de consommateurs se sont laissé tenter, mais suite à la crise financière, ils ont dû rembourser une dette ayant augmenté dans des proportions vertigineuses en raison des fluctuations du taux de change.

En conséquence, les consommateurs se sont tournés vers la justice, au civil et au pénal, afin de dénoncer les pratiques de la banque, ne s’estimant pas suffisamment informés du risque encouru et considérant que certaines clauses étaient abusives.

Premières décisions en défaveur des consommateurs.

Initialement, les emprunteurs se sont heurtés à des décisions négatives [1], relevant en substance que les clauses ayant trait à la variation du taux d’intérêt ne pouvaient être soumises au contrôle des clauses abusives au motif qu’elles relevaient de l’objet principal du contrat et qu’en tout état de cause, les clauses étaient rédigées de façon claire et compréhensible. Certains consommateurs sont allés jusqu’à se pourvoir en cassation mais la haute juridiction n’a dans un premier temps retenu ni la responsabilité de la banque s’agissant de son devoir de mise en garde, ni la qualification de clauses abusives [2].

Condamnation pénale de la banque en première instance.

Après de nombreux dépôts de plainte, une information judiciaire a finalement été ouverte en 2013 par le parquet de Paris au sujet des conditions de commercialisation de ces contrats de prêt. La banque a ensuite fait l’objet de plusieurs mises en examen en 2015 avant que la procédure ne débouche sur un renvoi en correctionnelle.

Environ 2 500 emprunteurs se sont portés partie civile dans l’action pénale devant le Tribunal correctionnel de Paris et le 26 février 2020 [3], BNP Paribas Personal Finance a été condamnée à un montant record pour pratique commerciale trompeuse et recel. La suspension de l’exécution provisoire de cette décision ayant été rejetée [4], la banque a dû s’acquitter d’une amende de 187.500 euros et verser 127 millions d’euros à titre de dommages-intérêts.

Tournant crucial de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE).

Saisie de plusieurs questions préjudicielles par les juridictions françaises [5], la CJUE a conclu le 10 juin 2021 [6] que les clauses du prêt litigieux, faisant peser sur le consommateur un risque disproportionné, pouvaient être jugées abusives. Elle a également retenu l’imprescriptibilité de l’action tendant à faire constater le caractère abusif de ces clauses et considéré enfin que l’exigence d’information des consommateurs n’était pas remplie au vu des potentielles répercussions dues aux variations du taux de change.

Ainsi, la cour a reconnu le déséquilibre significatif des droits et obligations des parties, réalisé au détriment du consommateur. Cependant, plusieurs questions ont été laissées en suspens, et notamment le sort à réserver aux clauses litigieuses, laissé à l’appréciation souveraine des juges nationaux.

Alignement de la Cour de cassation.

La Cour de cassation, qui avait plusieurs fois sursis à statuer dans l’attente de la décision de la CJUE, a rendu une série d’arrêts [7], confirmant la solution européenne. Elle a ainsi retenu l’inapplication du délai de prescription quinquennale d’une clause abusive dans un contrat conclu entre professionnel et consommateur [8], ainsi que le manquement à l’obligation d’information de la banque concernant ce prêt en devise étrangère, compte tenu du risque de variation du taux de change.

Les consommateurs ont donc reçu l’assurance qu’en cas d’action en justice, ils ne pourraient se voir opposer une fin de non-recevoir sur le fondement d’une prescription.

Evolution de la jurisprudence à la suite des décisions de la CJUE et de la Cour de cassation.

Décisions des juridictions nationales s’alignant sur la CJUE et la Cour de cassation.

Les effets des décisions rendues par la CJUE et la Cour de cassation ne se sont pas fait attendre longtemps. Plusieurs juridictions se sont ainsi alignées en donnant raison aux consommateurs (notamment à Bordeaux [9], Lagny-sur-Marne [10], Cahors [11], Grenoble [12], Dijon [13], Rodez [14]).

En effet, les juridictions nationales ont pour la plupart retenu, s’agissant des contrats type « Helvet Immo », que les clauses n°1 à 5 [15] (constitutives d’une indexation déguisée) et n°6 à 8 [16] (variation du taux d’intérêt) et n°9 (reconnaissance d’information) étaient abusives et réputées non écrites, car ne répondant pas à l’obligation de transparence et de clarté. Selon elles, ce contrat, reposant sur un mécanisme complexe de combinaison de plusieurs clauses, n’était pas rédigé de façon claire et intelligible pour un simple consommateur.

Celui-ci n’évoquait pas explicitement le fonctionnement de ce prêt et n’avertissait pas du risque de variation du taux de change, dont l’ampleur éventuelle n’est pas plafonnée.

Malgré le caractère abstrait de cette indexation, celle-ci est supportée entièrement par le consommateur, qui n’a pas été mis en garde sur le risque de dépréciation importante de la monnaie de paiement.

Considérant que le contrat ne pouvait subsister en l’absence des clauses susvisées, il a été rétroactivement annulé. Parallèlement, il a également été mis fin à diverses procédures civiles d’exécution en cours telles qu’une saisie-attribution ou une saisie immobilière, la banque ne pouvant plus se prévaloir d’un titre exécutoire ou de la liquidité de la créance invoquée. Des commandements de payer aux fins de saisie, sollicités par la banque, ont donc été annulés et leur radiation ordonnée.

Confirmation par la Cour d’appel de Paris de l’annulation du prêt.

La Cour d’appel de Paris [17] a entériné la tendance jurisprudentielle dégagée en faveur des consommateurs et a fourni une solution claire à ce litige. Considérant que le contrat ne pouvait subsister en l’absence de clauses jugées abusives et réputées non écrites, celui-ci a été annulé purement et simplement avec les conséquences que cela implique : les emprunteurs doivent restituer en euros la somme empruntée en capital en francs suisses, selon le cours du change applicable à l’époque au contrat, et ne sont plus redevables des intérêts.

Pour sa part, la banque doit restituer la totalité des sommes perçues par elle en exécution du prêt en principal, intérêts et frais depuis sa conclusion. Ensuite, une compensation s’opère entre ces sommes et la différence porte intérêts au taux légal, avec capitalisation, à compter de la signification de l’arrêt.

Ainsi, les emprunteurs se retrouvent dans l’état dans lequel ils se trouvaient avant la conclusion du contrat.

La solution-sanction finalement adoptée, sur le plan civil, consistant à prononcer l’annulation pure et simple des prêts « Helvet Immo » permet ainsi de réparer le préjudice subi par les consommateurs, qui se retrouvent à n’avoir à rembourser que la somme empruntée en capital. Ce résultat a été obtenu au prix d’un parcours procédural souvent long et difficile pour beaucoup de victimes.

Evolution législative en matière de prêts immobiliers libellés dans une devise autre que l’euro.

En la matière, la législation a évolué afin d’éviter qu’une telle situation ne se reproduise de sitôt. En effet, depuis 2013, il est désormais interdit d’accorder aux consommateurs des prêts libellés dans une autre devise que l’euro, sauf s’ils perçoivent la plupart de leurs revenus ou détiennent un patrimoine dans cette même devise étrangère lors de la signature, ou que le risque de change n’est pas assumé par l’emprunteur [18]. En encadrant ainsi les conditions d’octroi de tels prêts, le risque pour l’emprunteur s’en trouve de facto considérablement réduit.

Dans le cadre de la procédure pénale en appel qui s’est achevée cette semaine à Paris, l’avocat général a relevé dans son réquisitoire la disproportion des risques encourus par les emprunteurs par rapport à ceux de la banque et a requis une amende maximale de 187.500 euros, ainsi qu’une publication dans un quotidien.

L’affaire a été mise en délibéré et la décision est attendue pour le 28 novembre prochain. Celle-ci tranchera la responsabilité pénale de la banque, et permettra également la reprise de certaines actions au civil frappées de sursis à statuer [19].

Les victimes parties civiles vont donc devoir encore s’armer d’un peu de patience, mais connaîtront bientôt le dénouement de ce volet pénal, dans cette saga judiciaire.

Olivier Hannebert Avocat au barreau de Paris www.eriazis-avocats.com et Jade Matura, Juriste et Elève-avocat

[1Par exemple Cour d’appel de Lyon, 9 juill. 2019, 17/02962 ; Limoges, 12 déc. 2019, 18/01156.

[2Notamment Cass. Chambre civ. 1, 29 mars 2017, ° 15-27.231 ; 3 mai 2018, n° 17-13.593 ; 16 mai 2018, n° 17-11.337 ; 20 févr. 2019, 17-31.067 ; 24 oct. 2019, 18-12.255, 18-18.047 et 18-12.255.

[3Trib. Jud. Paris, 13e ch. corr., 26 févr. 2020, n° 12290076010.

[4Cour d’appel de Paris, 25 sept. 2020, 20/05538.

[5Par le Tribunal d’instance de Lagny-sur-Marne, 2 août 2019 et par le TGI de Paris, 1er oct. 2019, 18/04018, 15/06281, 16/16/16251, 16/16245, 18/07306, 16/16253 et 17/07689.

[6CJUE, 1ère ch., 10 juin 2021, C-609/19 et C-776/19 à C-782/19.

[7Civ. 1, 30 mars 2022 n° 19-12.947, 966, 19-12.947, 19-17.996, 19-18.997, 19-18.998, 19-20.574, 19-20.717, 19-22.074 et civ. 1, 20 avril 2022, n° 19-11.599, 19-11.600, 20-16.940, 20-16.941, 20-16.942 ; 28 sept. 2022, 21-11.221.

[8Confirmant sur ce point Civ. 1, 13 mars 2019, n° 17-23.169.

[9Juge de l’exécution de Bordeaux, 7 juill. 2022, 18-00102 ; Cour d’appel, 6 déc. 2022, 22-04153.

[10Juridiction de proximité Lagny-sur-Marne, 5 sept. 2022, 11-21-001324.

[11Juge de l’exécution de Cahors, 18 nov. 2022, 19/00001.

[12Cour d’appel de Grenoble, 13 déc. 2022, 19/01390.

[13Cour d’appel de Dijon, 15 déc. 2022, 22-00541 : le chef de jugement portant sur le caractère abusif des clauses n’a pas été soulevé en appel. Néanmoins, les juges ont retenu que les emprunteurs ont subi un préjudice s’analysant en une « perte de chance de ne pas contracter le prêt ou de le contracter dans d’autres conditions s’ils avaient eu pleinement connaissance des risques encourus ».

[14Juge de l’exécution de Rodez, 20 janv. 2023, 18/00029.

[15Clauses n° 1 à 5 intitulées « description de votre crédit », « financement de votre crédit » « ouverture d’un compte interne en euros et compte interne en francs suisses pour gérer votre crédit », « opérations de change », « remboursement du crédit ».

[16Clauses n° 6 à 8 intitulées « charges de votre crédit », « options pour un changement de monnaie de compte » (« option pour un taux fixe en euro » et « option pour un taux révisable en euro »).

[17Cour d’appel de Paris, 22 mars 2023, n° 18/18698 ; 19 avr. 2023, 19/19454.

[18Art. L313-64 du Code de la consommation (anc. Art. L312-3-1 C. conso).

[19Cour d’appel de Dijon, 16 mars 2021 n° 16/00500 ; Cour d’appel de Bordeaux, 30 mai 2023, n° 19/01823.

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