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La dissociation de l’originalité et de l’empreinte de la personnalité de l’auteur pour protéger une oeuvre, par Yves Léopold Kouahou, Doctorant
Parution : vendredi 5 décembre 2008
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Par un arrêt de la première chambre civile de la cour de cassation du 13 nov 2008, le juge de cassation dissocie les critères de « l’originalité » et de « l’empreinte de la personnalité de l’auteur » pour protéger une œuvre au titre du droit d’auteur.

Cass. 1re civ., 13 nov. 2008, n° 06-19.021, F P+B+R+I

Dans la panoplie des droits reconnus à l’individu pour matérialiser sa propriété sur les choses, se trouve le droit d’auteur qui reconnaît la qualité d’auteur à toute personne physique créant une œuvre de l’esprit quelle que soit son genre (littéraire, musical ou artistique), sa forme d’expression (orale ou écrite), son mérite ou sa finalité (but artistique ou utilitaire).

L’octroi de la protection légale est conféré à l’auteur du simple fait de la création d’une œuvre de l’esprit et n’est pas subordonné à l’accomplissement de formalités administratives. Toutefois l’existence d’un dépôt ou d’un enregistrement peut, en cas de contentieux, être de nature à faciliter la preuve de la paternité et de la date de la création de l’œuvre
La propriété pour exister, n’a pas besoin d’être exercée. Mais, cela n’empêchera pas toute sanction par le législateur en cas de violation.

L’arrêt rendu par la Cour de Cassation le 13 novembre 2008 nous en donne une belle illustration.

Ayant crée une œuvre pour une exposition dans un hôpital psychiatrique en 1990, en apposant le mot « Paradis » au dessus de la porte des toilettes de l’ancien dortoir des alcooliques de l’établissement, l’auteur, inconnu du public, n’a ensuite exercé aucun droit sur ladite œuvre pendant une dizaine d’année jusqu’à ce qu’une exposition de son « œuvre »dans une galerie par un tiers, le fasse sortir des bois.

La position du juge de cassation dans cet arrêt est très intéressante à plus d’un titre. En réaffirmant les critères pour être protégé par le droit d’auteur, il les redéfinit totalement. Cet arrêt marque un tournant dans la protection qui ne manquera pas de se répéter.

I. La réaffirmation des critères pour la protection au titre du droit d’auteur.

Aux termes des dispositions du CPI, le droit d’auteur protège toutes les créations, « quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination » (article L 112-1 du CPI), la liste des formes de créations protégées, recensée par les dispositions de l’article L 112-2, n’étant pas exhaustive.

C’est ainsi que la législation relative aux droits d’auteur protège toute sorte de création, dès lors, d’une part, qu’il s’agisse de création de forme, ce qui exclus les simples idées, et d’autre part, que ces créations soient originales.

Cette protection est renforcée par le juge qui exerce un pouvoir de sanction en cas de violation de droits. Il admet ainsi que « la contrefaçon est caractérisée, indépendamment de toute faute ou mauvaise foi, par la reproduction, la représentation, ou l’exploitation d’une œuvre de l’esprit en violation des droits de propriété intellectuelle qui y son attachés ». L’œuvre de l’esprit est protégée même si l’auteur n’est pas connu du grand public et même s’il n’a pas revendiqué son droit pendant plus de 10 ans.

A. L’exclusion des idées du champ de la protection

Il est unanimement reconnu en matière de propriété intellectuelle que les idées sont de libre parcours.(Cass.civ. I, 25 mai 1992, n°90-19.460 P, Boisset c/ World vision Inc. ; JCP G1992, n° 32 VI, n°2141)
L’application du principe selon lequel les idées ne sont pas protégées par le droit d’auteur trouve notamment une illustration dans le domaine de l’audiovisuel, s’agissant de la protection des concepts d’émission de télévision, qui sont exclus de la protection par le droit d’auteur, notamment s’ils ne sont pas suffisamment formalisés.

La cour de cassation réaffirme cette exclusion dans notre arrêt : « une idée, fût-elle originale, ne saurait bénéficier de la protection du droit d’auteur ». Voir aussi (Cass. Com, 16 juin 1992, inédit, Vikim c/ Fred)

B. La protection par l’originalité

Selon une ancienne jurisprudence, l’originalité d’une création, implique l’existence d’une création de forme qui doit être distinguée de la nouveauté, cette dernière étant une notion objective contrairement à la subjectivité de l’originalité. Une œuvre peut faire preuve d’originalité sans pour autant apporter de la nouveauté. (Trib. Com. Paris, 16 janv. 1995, SA Anti Flirt c/ SA Haick Harold, Gaz Pal. 24 mars 1995 n° 83-84 som p 16)
L’originalité constitue l’apport artistique propre à l’auteur de la création, qui vient, au minimum, se superposer à un patrimoine intellectuel préexistant. Cette originalité ne « saurait se déduire de choix matériels effectués par l’auteur sur des éléments préexistants… »

L’originalité est appréciée de façon souveraine par les juges du fond. Elle est constatée au cas par cas puisque la protection ne peut être conférée genre par genre. C’est à celui qui se prévaut d’un monopole qu’incombe la charge de la preuve de ce qui le fonde, l’auteur devra donc démontrer l’originalité de son œuvre.

L’arrêt rendu le 13 novembre 2008 par la Cour de Cassation constitue un revirement de la jurisprudence dans la définition des critères de protection au droit d’auteur.

Le juge reconnaît que la simple apposition des lettres sur des éléments préexistants ne saurait constituer une originalité, mais pour lui, une approche conceptuelle qui s’exprime dans un décor particulier peut traduire la personnalité de l’auteur pour le bénéfice de la protection du droit d’auteur.

Assiste – t- on là à la fin des critères classiques de la protection avec la séparation de « l’empreinte de la personnalité de l’auteur » et « l’originalité » de l’œuvre ?

II. La redéfinition des critères de protection

Les évolutions techniques et technologiques obligent à repenser les critères de protection. L’auteur n’est plus simplement celui qui s’enferme dans son atelier ou son bureau pour créer. Il évolue dans le monde et tente de plus en plus de composer avec celui-ci. Les critères traditionnels ne suffisent plus alors à régir tout le droit de la propriété intellectuelle.

L’impulsion est donnée ici par le juge qui admet que l’empreinte de la personnalité de l’auteur peut constituer un critère de protection. Il n’est plus besoin alors de voir si cette empreinte existe pour caractériser l’originalité de l’œuvre. Si l’empreinte de la personnalité est décélée indépendamment de l’originalité, l’œuvre est protégeable : « Mais attendu que l’arrêt relève que l’œuvre litigieuse ne consiste pas en une simple reproduction du terme “Paradis”, mais en l’apposition de ce mot en lettres dorées avec effet de patine et dans un graphisme particulier, sur une porte vétuste, à la serrure en forme de croix, encastrée dans un mur décrépi dont la peinture s’écaille, que cette combinaison implique des choix esthétiques traduisant la personnalité de l’auteur… »

La question que l’on peut se poser aujourd’hui est de savoir si l’on s’achemine vers la banalisation de la notion d’auteur. Il devient alors urgent de redéfinir les notions surtout à l’ère des technologies de l’information.

A. L’empreinte de la personnalité reconnue comme critère de protection.

Dans une conception traditionnelle, l’originalité se définit par rapport à l’empreinte de la personnalité de l’auteur. La tendance classique est de reconnaître qu’une œuvre est originale dès qu’une empreinte de la personnalité est décelable. L’œuvre doit découler de « l’effort personnalisé » de son auteur et porter en elle la marque de son apport intellectuel. La Cour de cassation française a eu l’occasion de le préciser dans un arrêt relatif à la protection d’un logiciel : « Ayant recherché, comme ils y étaient tenus, si les logiciels élaborés par M Pachot étaient originaux, les juges du fond ont souverainement estimé que leur auteur avait fait preuve d’un effort personnalisé allant au-delà de la simple mise en œuvre d’une logique automatique et contraignante et que la matérialisation de cet effort résidait dans une structure individualisée ; qu’en l’état de ces énonciations et des constatations…la cour d’appel, qui a ainsi retenu que les logiciels conçus par M Pachot portaient la marque de son apport intellectuel… ( Cass. fr., Ass plén, 7 mars 1986. Arrêt Babolat c/ Pachot. D 1986, p 411, note Edelman).

La protection par le droit d’auteur a toujours supposé que l’empreinte personnelle de l’auteur soit décelée sur son œuvre pour mettre en évidence son originalité. En effet, « lorsque l’empreinte personnelle de l’auteur est décelée, l’originalité en découle ».C’est le reflet de la personnalité de l’auteur, sa marque personnelle qui va permettre de différencier sa création des autres.

La reconnaissance de l’empreinte de la personnalité comme critère à part entière de protection pose le problème de leur définition. Une œuvre est-elle originale parce qu’elle marque l’empreinte de la personnalité de l’auteur ou bien c’est parce qu’elle marque l’empreinte de la personnalité de son auteur qu’elle devient originale ? Comment définir l’originalité ? Comment la reconnaître ? Quand on sait que l’originalité peut marquer l’œuvre à différents niveaux, une mise au point jurisprudentielle serait nécessaire pour clarifier cette nouvelle situation.

Les prochains arrêts rendus par la Cour seront déterminants pour confirmer cette décision importante dans le droit de la propriété intellectuelle. Les analyses de cette décision dans les rapports de la Cour de cassation nous permettront bientôt de mieux comprendre cette position.

B. La banalisation de la notion d’auteur

La protection accordée aux auteurs leur permet d’exercer un contrôle très étroit sur l’exploitation de leurs œuvres. Il s’agit de permettre à ceux-ci de jouir pleinement des avantages qui naitront du fait de la diffusion et de la communication au public de l’œuvre créée. Les nouveaux supports de créations bouleversent le statut des œuvres dans tous les domaines. Ils peuvent ainsi changer fondamentalement les modes de diffusion et de communication ou rendre infiniment plus faciles et rapides la création des œuvres nouvelles.

La protection par le droit d’auteur n’est accordée à une œuvre que si celle-ci est originale, mais encore faut-il que cette originalité soit exprimée de façon concrète, dans une forme, afin d’être rendue perceptible aux sens. Plus fondamentalement, une redéfinition des critères de protection semble nécessaire pour tracer la frontière entre ce qui est protégé et ce qui ressort des idées.

Les critères de protections actuels n’apportent pas une réponse objective pour la détermination du régime des nouvelles créations. La question serait de savoir si l’intention de créer une œuvre et l’intérêt de la création pour la « communauté » ne devraient pas présider à l’attribution du droit d’auteur ?
Cette question pose le problème de la restructuration et de la modernisation des lois.

Au delà de la protection d’une œuvre, qui au demeurant, peut constituer une originalité au regard du choix de l’emplacement, de l’agencement des textures, le défi actuel est de définir des nouveaux critères pour l’attribution d’un droit qui prennent en compte de nouveaux modes de créations.

Par KOUAHOU Yves Léopold, Doctorant.