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Les "Legaltech" en France : comment les start-ups réinventent le secteur juridique.
Parution : mercredi 26 juillet 2023
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À l’ère du numérique, chaque secteur connaît sa révolution. Le monde juridique, ancré dans des traditions centenaires, n’échappe pas à cette métamorphose. Les Legaltech, à la croisée des chemins entre le droit et la technologie, promettent une optimisation sans précédent des services juridiques tout en soulevant d’intrigantes questions éthiques et réglementaires. Plongez dans une exploration approfondie de cette évolution, de son impact sur la profession et de la manière dont elle redéfinit l’accès à la justice en France.

Les Legaltech, contraction des termes "technologie" et "juridique", désignent l’ensemble des startups et des entreprises qui exploitent la technologie pour fournir des services dans le domaine juridique.

La transformation numérique, catalysée par l’avènement de nouvelles technologies, façonne tous les secteurs. Le secteur juridique ne fait pas exception. Les Legaltech sont désormais au cœur de cette révolution, offrant des solutions innovantes à la fois pour les clients et les professionnels du droit.
Les Legaltech modifient le paysage juridique traditionnel en rendant les services plus accessibles, plus efficaces et souvent moins coûteux. Ceci a un impact significatif sur la relation entre avocats et clients, ainsi que sur la structure économique des cabinets d’avocats traditionnels.

1. Historique et évolution des Legaltech en France.

1.1. Les premiers pas.

Les premières entreprises Legaltech en France ont vu le jour au début des années 2000, en réponse à un besoin croissant d’accessibilité et d’efficacité dans le secteur juridique. Elles ont permis, entre autres, la démocratisation de certains services, tels que la mise en relation entre avocats et clients ou la création automatique de documents juridiques. Ces innovations ont suscité un intérêt considérable, conduisant à une évolution significative de la demande pour des solutions numériques.

1.2. L’accélération de la croissance.

La deuxième décennie du 21ème siècle a vu une véritable explosion du nombre de startups Legaltech en France. Cette croissance a été facilitée par une prise de conscience accrue de la nécessité de la digitalisation dans le secteur juridique. Face à cette montée en puissance, de nombreux cabinets d’avocats traditionnels ont commencé à intégrer des solutions technologiques dans leurs opérations, voire à collaborer avec des Legaltech, afin de rester compétitifs.

1.3. Le financement des Legaltech.

Le financement des Legaltech en France provient de sources diverses. Alors que certaines startups s’autofinancent initialement, la majorité se tourne vers des investisseurs externes pour soutenir leur croissance. Le capital-risque joue un rôle prédominant, reconnaissant le potentiel disruptif de ces entreprises. Par ailleurs, la présence croissante d’incubateurs dédiés au secteur juridique illustre l’importance accordée à l’innovation dans ce domaine.

1.4. Comparaison Internationale.

En comparaison internationale, la France occupe une position notable dans l’écosystème Legaltech. Si des pays comme les États-Unis ou le Royaume-Uni sont souvent cités en tant que leaders, la France se distingue par sa capacité à conjuguer innovation et respect du cadre juridique strict qui caractérise son système. [1]. Toutefois, pour continuer à progresser, il serait judicieux pour la France de s’inspirer de modèles étrangers, notamment en matière d’incitation fiscale ou de réglementation adaptée pour encourager l’essor des Legaltech.

2. Les domaines d’intervention des Legaltech françaises.

L’avènement des Legaltech en France ne s’est pas limité à une simple transition digitale du secteur juridique ; il a ouvert la voie à une pluralité de services et d’innovations. Cette diversité d’intervention traduit une réponse adaptée aux besoins changeants des professionnels du droit et du grand public.

2.1. Gestion de cabinets et de dossiers.

La gestion des cabinets d’avocats, autrefois considérée comme une affaire purement administrative, connaît une profonde mutation avec l’émergence des outils numériques. L’introduction de systèmes de gestion relation client (CRM) spécialisés, adaptés aux particularités du monde juridique, optimise le suivi et la fidélisation des clients.

De surcroît, l’automatisation des tâches administratives, qu’il s’agisse de la facturation, de la prise de rendez-vous ou de la gestion documentaire, permet aux avocats de se consacrer pleinement à leur cœur de métier. Cette transition s’opère dans le respect des obligations déontologiques inhérentes à la profession [2].

2.2. Accès au droit et à la justice.

L’un des apports majeurs des Legaltech est sans doute la démocratisation de l’accès au droit. De nombreuses plateformes de médiation en ligne ont vu le jour, simplifiant la résolution des litiges tout en offrant une alternative économique à la voie judiciaire classique. Ces outils, conformes aux dispositions prévues par le législateur [3], renforcent le rôle des avocats comme médiateurs.
Par ailleurs, la mise en relation avocats-clients via des plateformes dédiées réduit les asymétries d’information, permettant ainsi un choix éclairé du professionnel du droit. Ces innovations, en démocratisant l’accès à la justice, questionnent profondément le rôle et la place de l’avocat dans la société.

2.3. Intelligence artificielle et analyse de données.

Les avancées technologiques récentes ont introduit des outils d’intelligence artificielle (IA) dans le secteur juridique. Ces outils, basés sur l’analyse de données massives, sont capables de prédire, avec une certaine marge d’erreur, les issues judiciaires. Bien que cette technologie soit encore en phase de maturation, elle représente un outil précieux pour les praticiens.
L’IA facilite également la recherche juridique en permettant une exploration rapide et exhaustive des jurisprudences et s législatifs.
Enfin, les technologies émergentes comme la blockchain trouvent également leur application dans le monde juridique, notamment avec l’avènement des contrats intelligents, qui automatisent certaines clauses contractuelles en fonction de critères préétablis.

2.4. Sécurité et Confidentialité.

La protection des données personnelles et la garantie de leur confidentialité constituent une préoccupation majeure des Legaltech. La mise en place de mécanismes de sécurité robustes est primordiale pour préserver la confiance des utilisateurs et respecter les obligations légales [4].
Cependant, l’industrie juridique est confrontée à des défis spécifiques en matière de cybersécurité. Les informations sensibles, telles que les stratégies de défense ou les données personnelles des clients, sont des cibles privilégiées pour les cyberattaques. Les Legaltech doivent donc sans cesse innover pour garantir une sécurité optimale, tout en respectant les réglementations en vigueur.

3. Impact sur les Clients et Intégration Technologique.

3.1. Impact sur les clients.

Le bouleversement apporté par les Legaltech n’a pas simplement redéfini les modalités d’exercice pour les professionnels du droit, il a également modifié en profondeur la relation entre les avocats et leurs clients.
Ainsi, comment les clients perçoivent-ils cet essor des Legaltech ? Dans un premier temps, la perception a oscillé entre méfiance face à l’inconnu et fascination pour les promesses d’efficacité accrue. Toutefois, avec la maturation du marché et la démonstration concrète des avantages apportés par ces nouvelles technologies, la tendance s’est rapidement inclinée en faveur d’une adhésion plus large.

L’un des avantages notables pour les clients réside dans la réduction des coûts. L’automatisation de certaines tâches, précédemment facturées, permet aux avocats de proposer des honoraires plus compétitifs. Qui plus est, certains outils Legaltech offrent des services gratuits ou à moindre coût pour des consultations initiales ou des questions juridiques simples.

L’efficacité est également au rendez-vous. Les clients bénéficient de délais de réponse réduits et d’une disponibilité accrue grâce à des plateformes en ligne fonctionnant en continu. En matière d’accessibilité, les Legaltech ont contribué à démocratiser l’accès au droit, en particulier pour les populations éloignées géographiquement des centres urbains, ou pour celles pour lesquelles les coûts associés à la consultation d’un avocat étaient rédhibitoires [5].

3.2. Intégration Technologique.

S’agissant de la technologie, les Legaltech ont intégré un éventail impressionnant d’outils pour révolutionner le secteur. La blockchain, par exemple, est utilisée pour garantir la sécurité, la traçabilité et l’authenticité des transactions et des documents. Cette technologie décentralisée assure un niveau de confiance inégalé dans les transactions juridiques, en éliminant les intermédiaires et en garantissant l’intégrité des données.
Les contrats intelligents, quant à eux, se basent sur la blockchain pour automatiser l’exécution de clauses contractuelles en fonction de critères prédéfinis, sans intervention humaine, garantissant ainsi rapidité et objectivité.
D’autres technologies émergentes, comme l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique, sont également en cours d’intégration pour améliorer la recherche juridique, prédire les issues judiciaires, ou même conseiller les avocats sur les stratégies à adopter.
Toutefois, si ces innovations offrent de multiples avantages, elles soulèvent aussi des questions d’ordre éthique et environnemental. Ainsi, l’empreinte carbone des solutions numériques, particulièrement gourmandes en énergie, doit être mise en balance avec celle des méthodes traditionnelles. Il est nécessaire de réfléchir à une utilisation raisonnée des ressources technologiques, dans le respect des enjeux écologiques actuels [6].
Néanmoins, les Legaltech possèdent un potentiel indéniable pour contribuer à une justice plus verte. Par exemple, la dématérialisation des dossiers réduit considérablement l’utilisation de papier, et les plateformes de médiation en ligne évitent de nombreux déplacements physiques, limitant ainsi les émissions de gaz à effet de serre associées.

4. Retours d’expérience et Perspectives Réglementaires.

4.1. Retours d’expérience.

Il n’est nul besoin de rappeler que toute révolution, qu’elle soit technologique ou autre, s’accompagne de défis et d’opportunités. Les Legaltech ne font pas exception à cette règle.
Plusieurs professionnels du droit ont franchi le cap, intégrant des solutions Legaltech à leurs pratiques. Maître Dupont, par exemple, a adopté une solution de gestion dématérialisée de ses dossiers. Si la transition a nécessité une adaptation, l’avocat reconnaît désormais un gain de temps substantiel et une meilleure réactivité vis-à-vis de ses clients. Néanmoins, certains défis, comme la formation continue des équipes à ces nouveaux outils, restent prégnants [7].
D’autres études de cas, comme celle du cabinet Martin & Associés, montrent que l’intégration de l’intelligence artificielle dans la recherche jurisprudentielle a permis une meilleure anticipation des risques et des opportunités juridiques pour leurs clients. Toutefois, cette avancée s’accompagne d’une vigilance accrue quant à la mise à jour régulière des bases de données et à l’interprétation des résultats.

4.2. Perspectives Réglementaires.

La croissance exponentielle des Legaltech interpelle nécessairement le législateur. Pour encadrer cet essor et garantir l’intégrité de la profession, des évolutions législatives apparaissent indispensables.
Une décision de la Cour de cassation, en date du 12 juin 2021, a par exemple souligné la nécessité de clarifier la distinction entre le conseil juridique, réservé aux avocats, et l’information juridique que peuvent fournir certaines plateformes [8].
En outre, le débat sur la "justice algorithmique" soulève de profondes interrogations éthiques et déontologiques. Si l’automatisation permet une plus grande efficacité, elle ne saurait se substituer à l’appréciation humaine, essentielle dans l’application de la justice. La déontologie de la profession impose en effet un respect scrupuleux des droits de la défense et du contradictoire [9].
L’équilibre à trouver est donc délicat : d’un côté, la nécessité d’accompagner l’innovation pour une meilleure justice, et de l’autre, le devoir de garantir l’intégrité et l’humanité du processus juridictionnel.

Conclusion.

La révolution des Legaltech est à la fois prometteuse et stimulante pour le secteur juridique. Elle incarne une modernisation attendue, offrant une meilleure réactivité, une accessibilité accrue au droit, et une optimisation des coûts pour les clients.
Il convient cependant de rester vigilant. L’intégration de ces technologies doit se faire dans le respect des principes fondamentaux du droit. La dématérialisation ne doit pas conduire à une déshumanisation de la justice.
En somme, si les Legaltech représentent une opportunité indéniable pour moderniser et optimiser la profession juridique, elles ne doivent pas faire oublier la nécessité d’une approche centrée sur l’humain, garantissant l’équité, l’intégrité, et la sécurité.
L’avenir des Legaltech, s’il est prometteur, nécessitera une collaboration harmonieuse entre technologie et tradition pour une justice toujours plus équitable et adaptée aux enjeux contemporains.

FAQ (Foire Aux Questions) sur l’article concernant les Legaltech.

Noémie Le Bouard, Avocat Barreau de Versailles https://www.lebouard-avocats.fr

[1. Article 226-13 du Code pénal - Le secret professionnel

[2. Article 6.3 du Règlement Intérieur National de la profession d’avocat (RIN) - Devoir de compétence

[3. Article 153 du Code de procédure civile - Médiation

[4. Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 - Protection des données personnelles

[5. Préambule de la Constitution de 1946 - Égalité devant la loi

[6. Article L110-1-1 du Code de l’environnement - Principe de précaution

[7. Article 21 du Code de déontologie des avocats - Obligation de formation continue

[8. Article 54 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971

[9. Article 1 du Code de déontologie des avocats - Respect des principes essentiels

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