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[Maroc] Réflexions sur l’infraction douanière. Par Hicham Mouhacine.
Parution : lundi 4 décembre 2023
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Le droit douanier au Maroc, élaboré à partir de diverses sources de droit, a une spécificité particulière liée à son existence qui est la lutte contre la fraude aux frontières. Qu’il s’agisse de la contrebande ou des autres infractions commerciales ou de commerce.
Au sens large, la fraude peut être constatée le long des circuits de dédouanement des marchandises, ou à l’occasion de passage clandestin de marchandises par des points frontières non autorisés au commerce extérieur.

Je dis bien que l’on doit entendre par marchandise celle définie à l’article premier du Code des douanes et impôts indirect (CDII). Marchandises à caractère licite ou illicite, prohibées ou soumises à restrictions, comme licences, autorisations et certificats, au sens de l’article 23 CDII, elle revêt un caractère marchand et ne doit nullement échapper aux paiements des droits et taxes dus en vigueur.

De la lecture du CDII, ressort les éléments importants de cette loi qui définit l’infraction douanière, article 106 CDII. De même, elle nous décrit les dispositions relatives à :

I/ Le caractère spécial de l’infraction en droit douanier.

L’essentiel de cette loi à caractère pénal est le fait qu’elle soit empreinte du caractère d’indemnisation ou réparation civile réclamée par l’autorité douanière ; quand bien même l’État n’a subi aucun dommage du fait de l’acte ou de l’abstention de l’auteur ou de sa tentative, contraire aux lois douanières article 204 et 206. L’infraction douanière déroge aux règles du droit pénal général et aux dispositions juridiques relatives au terme de l’application de la loi pénale dans le temps et dans l’espace.

L’infraction nait et est susceptible d’être sanctionnée du fait de la simple tentative, alors même que les actes caractérisant le commencement d’exécution auraient été commis en dehors du territoire assujetti.

La réparation étant détaillée dans l’article 214 dudit CDII, qui considère que les peines fiscales prévues ont un caractère de réparations civiles même lorsqu’elles sont prononcées par un tribunal répressif et sont inscrites en tant que condamnations pécuniaires au casier judiciaire des personnes physiques et au registre des sociétés, pour le cas des personnes morales conformément aux dispositions du Code marocain de la procédure pénale.

De facto, si l’infraction pénale est nécessairement composée de trois éléments de base constitutifs : l’élément légal ; l’élément matériel et l’élément moral, l’infraction douanière peut être retenue de la simple réunion de deux éléments, légal et matériel, sans aucune considération de l’élément moral.

De cette manière, le dilemme de la faute intentionnelle de celle qui ne l’est pas, ne se pose plus en matière de droit douanier.

L’article 247 du Code des douanes stipule qu’une infraction douanière peut être prouvée par tous les moyens légaux, puisque tous les moyens de preuve connus dans le domaine pénal sont considérés comme un argument pour prouver un crime douanier : tels que l’inspection, les aveux et les preuves.

II/ De l’imputabilite de la faute en droit douanier.

La responsabilité telle que définie par le CDII, est donc l’élément essentiel pour l’imputabilité de l’infraction douanière et l’assise des peines de droit qui peuvent en découler.

Du fait, le droit douanier prévoit les cas de responsabilité et désigne le responsable pénal et le responsable civil suivant leurs actes disant selon les infractions au droit douanier et leur degré d’implication ou leur intéressement à l’infraction. Sont donc présumés coupables d’une infraction douanière (délits notamment), toute personne physique ou morale ayant agi sciamment, de manière intentionnelle ou par omission et enfreint la loi douanière alors qu’ils n’ont même pas causé de dommage à l’Etat.

Dès lors, la faute est imputable en tant qu’acteur principal, co-auteur ou complice. Ils sont qualifiés de responsables.

Le code définit les personnes pénalement responsables :

Article 221 - Les co-auteurs et complices d’une infraction douanière sont, dans les conditions du droit commun, passibles des mêmes peines que les auteurs principaux.

Les mesures de sûreté prévues à l’article 220 peuvent leur être appliquées.

Sont également passibles de ces peines et de ces mesures de sûreté, les personnes physiques ou morales intéressées à la fraude.

En dehors des cas prévus par le Code pénal, sont tenus pour complices de l’infraction douanière ceux qui, en connaissance de cause, ont :
1° par quelque moyen que ce soit directement incité à la fraude ou l’ont facilitée
2° acheté ou détenu des marchandises de fraude
3° couvert les agissements des fraudeurs ou tenté de leur assurer l’impunité.
Sont réputées personnes physiques ou morales intéressées à la fraude :
a) les pourvoyeurs des fonds utilisés pour la commission de la fraude ayant agi en connaissance de cause
b) les propriétaires des marchandises de fraude
L’article 222 en disant : sont pénalement responsables :
a) Les signataires de déclarations, pour omission, inexactitude et autres irrégularités, relevées dans leurs déclarations
b) Les commettants du fait de leurs employés, pour les opérations en douane effectuées sur leurs instructions
c) Les soumissionnaires en cas d’inexécution des engagements souscrits par eux.

Toutefois, les peines d’emprisonnement édictées par le présent code ne sont applicables aux signataires des déclarations et aux commettants qu’en cas de faute personnelle et intentionnelle. Elles ne sont pas applicables aux transitaires lorsqu’il est établi qu’ils se sont limités à reproduire les renseignements qui leur ont été communiqués par leur mandant et qu’ils n’avaient aucune raison valable de mettre en doute la véracité de ces renseignements.

La responsabilité civile est l’obligation de réparer des préjudices subis par les tiers causés par une faute, et ce contrairement à la responsabilité pénale qui vise la sanction du comportement incriminé.

Il en découle que la responsabilité civile est le résultat de trois éléments cumulatifs à savoir : un préjudice ; une faute et un lien entre le préjudice et la faute.

Le droit douanier marocain considère les personnes civilement responsables, ou tiers civilement responsables suivant les termes de l’article 229 :

« Sont civilement responsables du fait d’autrui en ce qui concerne les droits, taxes, confiscations, amendes et dépens :
a) les personnes énumérées à l’article 85 du Code des obligations et contrats
b) les propriétaires des marchandises du fait de leurs employés
c) les propriétaires des moyens de transport du fait de leurs employés, sauf si la responsabilité du préposé à la conduite est établie.
C’est une responsabilité manifestement et logiquement issue d’une relation contractuelle entre les infracteurs et leurs employés
 ».

L’article 85 du Code des obligations et des contrats marocain :

« Est responsable non seulement du dommage causé par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personne dont on doit répondre... ».

L’élément intentionnel dans la qualification de l’infraction n’a guère de place dans la logique juridique douanière, mais seuls les faits constatés matériels suffisent à engager des poursuites par les voies légales prévues alors même que l’infraction n’a pas été consommée.

III/ Preuve de l’infraction et suites possibles.

La responsabilité douanière établie et constatée par PVs (Procès-Verbaux) qui ne font foi que jusqu’à preuve contraire pour l’exactitude et la sincérité des aveux et déclarations recueillies et nonobstant la qualification de l’infraction article 242 CDII et sa constatation ou nullité pour toute omission des formalités prévues à l’article 240 du CDII.

Les infractions et la responsabilité délictuelle ou criminelle sont prouvées par voie de PVs ou par tous les moyens ou autres voies de droit alors même que les marchandises ayant fait l’objet d’une déclaration n’auraient donné lieu à aucune observation. L’administration des douanes et impôts indirects (ADII) peut engager une procédure pénale avec demande de réparation civile à son profit sans préjudice aux aspects de droit commun en optant pour le règlement judiciaire auprès des tribunaux compétents du Royaume ou par voie transactionnelle.

Dans ce dernier cas, elle se garde le droit de décider des mesures à prendre vis-à-vis des amendes allant de leur remise partielle ou totale par leur annulation jusqu’au refus de transiger. La transaction peut toucher en plus des amendes, confiscations et autres sommes. Le législateur ayant prévu cette prorogative à l’article 273 et suivant du code n’a pas, par contre cerné de manière exhaustive les limites de cette transaction et le pouvoir de transiger en décrivant les confiscations et autres sommes.

Par contre, et cela va de soi, les transactions ne peuvent pas toucher aux droits et taxes exigibles en vertu des dispositions de la constitution article 39 : Tous supportent, en proportion de leurs facultés contributives, les charges publiques que seule la loi peut, dans les formes prévues par la présente Constitution, créer et répartir.

De la prescription des créances droits et taxes et amendes.

Dans le même cadre, le code dans son article 99 bis nous parle de la prescription des droits et taxes, ce qui prouve l’impossibilité de la remise ou l’annulation partielle ou totale de ceux-ci, contrairement aux amendes, confiscations et autres sommes.

Cet article stipule au 1° :

« l’action en recouvrement des droits et taxes dont la perception est confiée à l’administration, est prescrite à l’expiration d’un délai de quatre ans à compter de la date d’émission du titre de recette.
En cas de fraude, le délai de quatre ans visé aux 1° et 2° de l’article 99 bis, ci-dessus ne court que du jour de la découverte de la fraude3 article 99 ter
 ».

IV/ Conclusion.

En guise de conclusion de cette introduction au droit douanier marocain, le législateur douanier a laissé la main libre à l’administration des douanes et impôts indirects de décider de certains formalismes qui ne touchent ni au domaine du droit pénal ni aux législations ou règlementations autres que celle douanière ou à caractère conventionnel pour réglementer largement et détailler les facilités ou procédures de facilitation de dédouanement au sein d’un régime douanier particulier.

Les décisions verbales ou actes proches de la loi par assimilation ou extrapolation existent toujours dans certains cas au sein de cette administration de manière officieuse ou individuelle ou encore de manière officielle et structurée. C’est le cas du traitement au passage en douane des Opérateurs Économiques Agréés qui disposent de certains passages VIP en dépit de la constitution marocaine.

Les questions à débattre à notre sens, d’une part, est-il permis de réserver un traitement autre que celui prévu pour tous les importateurs et exportateurs ou agents économiques ? Si là, la question dépend du programme Onusien dit Columbus ou SAFE, il n’en demeure pas moins que leur effets et retombées pour l’opérateur n’ont jamais été évalués par l’État. D’autre part, les dernières recommandations de l’OMD visent l’élargissement du bénéfice de « ces facilités » aux opérateurs PME et PMI . N’est-ce pas une preuve de reconnaissance d’une injustice ou un traitement inéquitable de tous les opérateurs ? La définition exacte d’une PME ou une PMI ne posera-telle pas un problème en cas où le Maroc envisagerait de mettre cette recommandation en place ? Certainement que oui ! Eu égard aux diverses structures des entreprises marocaines de l’économie nationale naissante en progression rapide de manière endogène et exogène au-delà de ses frontières vers le reste du monde.

Pour notre part, nous revenons toujours vers la vision éclairée et éclairante de notre Roi Sa majesté Mohammed VI qui résume sa vision et la stratégie à en bâtir par le gouvernement et qui a dit, je cite :

«  … la démocratisation de l’État et de la société, et l’amélioration du climat des affaires passent par l’adoption des règles de bonne gouvernance. Elles nécessitent ainsi la mise en oeuvre des principes et des mécanismes prévus par la Constitution, avec, au premier chef, la corrélation entre la responsabilité et la reddition des comptes, la moralisation de la vie publique… », Discours de SM le Roi du Vendredi 14 Octobre 2011.

La douane est un organe exécutif qui jouit de prérogatives devenues aujourd’hui très vastes qu’il convient d’encadrer juridiquement et de lui réserver un chantier législatif et administratif loin des sentiers battus et classiques, car elle doit intervenir dans son domaine, dans celui des autres services auxquels elle prête concours et dans le domaine international.

Nulle stratégie commerciale ou sécuritaire et nul arrangement ou accord ne peuvent être envisagés sans le rôle prédominant et efficace du système administratif de l’administration des douanes et impôts indirects et de l’arsenal juridique spécial de cette institution.

Hicham Mouhacine Officier Principal des Douanes à la faculté des sciences économiques de Tanger Professeur vacataire à la faculté des sciences économiques de Tanger Adelmalek Saadi Officier Principal des Douanes (Royaume du Maroc) Chercheur en droit économique et droit de commerce international [->hmouhacine2023@gmail.com]