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Débris spatiaux : une première condamnation pour un opérateur américain. Par Betty Sfez et Thomas Chadenet, Avocats.
Parution : vendredi 15 décembre 2023
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La réalité rejoint parfois la fiction. En 2013, les salles obscures du monde entier donnaient à voir les déboires d’une astronaute perdue dans le vide spatiale, victime d’un impact de débris spatiaux. Le 2 octobre 2023, afin d’éviter ce scénario à la Gravity, un opérateur de satellites a été condamné à une amende de 150 000 dollars pour avoir abandonné un satellite sur une orbite dangereuse.

Cette condamnation prononcée par la Commission fédérale américaine des communications (Federal Communications Commission ou FCC), nous donne l’occasion de revenir sur les obligations, aux Etats-Unis et en France, incombant aux opérateurs de satellites en matière de gestion des débris spatiaux.

I. La gestion des débris spatiaux aux Etats-Unis.

Aux Etats-Unis, l’exploitation de satellites est soumise à l’accord préalable de la FCC. Le droit applicable indique que « nul ne peut utiliser ou faire fonctionner un appareil de transmission d’énergie, de communications ou de signaux par l’intermédiaire de stations spatiales ou terrestres, sauf en vertu d’une autorisation appropriée délivrée par la Commission fédérale des communications » [1].

Obtenir l’aval de la FCC représente ainsi un prérequis indispensable. Ce contrôle de la FCC a pour but de prévenir les interférences « dans les opérations satellitaires et permet à la FCC de coordonner et d’évaluer ces opérations, notamment en minimisant la création de débris spatiaux et en assurant une élimination responsable des satellites en fin de vie » [2].

C’est dans ce cadre que la société Dish Operating, l’opérateur tout récemment condamné, avait demandé et obtenu une licence de la FCC en janvier 2002. Cette autorisation, délivrée en application de l’article 25.102 CFR et de la Section 301 47 U.S.C (Communication Act of 1934) [3] permettait à Dish Operating d’exploiter son satellite EchoStar-7 afin de fournir la télévision à ses abonnées. Ce satellite avait alors été placé sur une orbite géostationnaire d’une altitude d’environ 35 800 km.

Moins de dix ans après son lancement, Dish Operating a souhaité faire évoluer les paramètres techniques de son satellite et a ainsi envoyé une demande de modification à la FCC. En 2010, la FCC a fait droit à cette demande et a conclu en parallèle avec Dish Operating un « plan de réduction des débris spatiaux » (Orbital debris mitigation plan).

Par ce plan, Dish Operating s’engageait à déplacer à 300 km au-dessus de son orbite géostationnaire son satellite, une fois ce dernier arrivé en fin de vie opérationnelle. Ce choix, effectué par Dish Operating avec la FCC, avait pour but d’éloigner le satellite vers une « orbite poubelle » sur laquelle les risques de collision avec des satellites en service sont moindre.

Toutefois, en 2022, lors de sa manœuvre de désorbitage, EchoStar-7 a connu une panne de carburant et a été abandonné à une altitude de 122km de sa position initiale (plutôt que des 300km prévus). Dish Operating a alors informé la FCC qu’il ne pourrait pas respecter son « plan de réduction des débris spatiaux ».

Après une enquête menée par la FCC, Dish Operating a reconnu qu’il avait failli à ses engagements contrevenant ainsi aux dispositions légales précitées. Un protocole d’accord a alors été conclu avec la FCC au sein duquel Dish Operating s’oblige à :

Par cette condamnation, Dish Operating est entré dans l’histoire du spatiale en devenant le premier opérateur condamné pour débris spatiaux. La mise en œuvre de sa responsabilité témoigne d’un contexte de risque accru lié aux débris spatiaux. En effet, soixante-six ans après son lancement (en octobre 1957) le satellite Spoutnik-1 n’est plus seul dans l’espace ; considération que le législateur français a également appréhendée.

II. La gestion des débris spatiaux en France.

En matière de débris spatiaux, le législateur français a été précurseur en étant un des premiers à inclure des dispositions en ce sens au sein de son droit national [4].

C’est par la loi sur les opérations spatiales adoptée dès 2008 (dite « LOS ») que la problématique des débris spatiaux a été abordée (Loi n° 2008-518 du 3 juin 2008.

Pour en comprendre la portée, il convient de préciser au préalable que (de manière similaire aux Etats-Unis) doit

« obtenir une autorisation délivrée par l’autorité administrative : toute personne qui entend faire procéder au lancement d’un objet spatial ou tout opérateur français qui entend assurer la maîtrise d’un tel objet pendant son séjour dans l’espace extra-atmosphérique » (article 2,2° de la LOS).

Cette autorisation, que chaque opérateur français de satellites doit obtenir, peut être accompagnée de prescriptions spécifiques par l’autorité la délivrant. Ces prescriptions ont pour but de préserver la sécurité des personnes, des biens, de restreindre les impacts sur la santé et l’environnement et de limiter les risques liés aux débris spatiaux (article 5 de la LOS).

En conséquence, chaque opérateur peut voir son autorisation de lancement et d’exploitation de satellites assortie d’engagements sur la pollution spatiale. Ces engagements sont déterminés lors de la procédure de demande d’autorisation. En France, cette demande est effectuée auprès du ministre chargée de l’espace (en 2023, il s’agit de Bruno Le Maire).

Les modalités de la demande sont précisées par décret (Décret n°2009-643 du 9 juin 2009 pris en application de la LOS, modifié par le décret n°2022-234 du 24 février 2022). Le demandeur doit fournir un certain nombre d’éléments et garanties, notamment de nature technique telle que la description de l’opération spatiale et des procédures associées.

Cette demande est transmise d’une part au CNES, qui contrôle la conformité des systèmes et procédures avec la réglementation technique, et, d’autre part, au ministre de la Défense, qui vérifie que l’opération spatiale devant être conduite n’est pas de nature à compromettre les intérêts de la défense nationale.

Sur la base de ces deux avis, le ministre en charge de l’espace rend alors sa décision. Cette autorisation de maîtrise d’un objet spatial est donnée pour l’ensemble des opérations techniques nécessaires à cette maîtrise, notamment les manœuvres de mise et de maintien à poste, les manœuvres orbitales ainsi que la désorbitation.

Dans l’hypothèse où la gestion des débris spatiaux ferait partie des prescriptions assorties à l’autorisation, l’opérateur peut être puni d’une amende de 200 000 euros s’il méconnait ses obligations en la matière. Cette sanction est celle prévue par la LOS lorsque l’opérateur poursuit son opération spatiale sans se conformer à une mise en demeure de l’autorité administrative de respecter une prescription (article 11.2° de la LOS).

En septembre 2023, l’Agence spatiale européenne a recensé 1 166 500 débris spatiaux allant de 1 cm à plus de 10 cm [5]. En conséquence, cette problématique des débris spatiaux n’est plus réservée aux œuvres de fictions mais représente un risque majeur pour l’exploitation du domaine spatiale.

Il est donc probable que la première condamnation d’un opérateur de satellites pour débris spatiaux ne soit pas la dernière. Cette condamnation s’inscrit en effet dans une démarche internationale de préservation de l’espace dont témoigne les règlementations françaises, américaines et également plus récemment du Forum économique mondial qui a émis six recommandations sur les débris spatiaux [6].

Betty Sfez et Thomas Chadenet Avocats au barreau de Paris

[1Article 25.102 CFR (Code of Federal Regulation) (https://www.law.cornell.edu/cfr/text/47/25.102)

[2Consent Decree de la FCC du 2 octobre 2023 (https://docs.fcc.gov/public/attachments/DA-23-888A2.pdf).