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La loi sur l’égalité salariale brésilienne et les nouvelles obligations des entreprises. Par Mickael Viglino, Avocat.
Parution : vendredi 19 janvier 2024
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Le Brésil s’est doté fin 2023 d’un nouvel arsenal juridique destiné à assurer l’égalité salariale entre femmes et hommes (loi nº 14.611/2023, décret nº 11.795/2023, et ordonnance du Ministère du Travail nº 3.714/2023).

Cette réglementation s’applique aux entreprises présentes au Brésil (indépendamment de leur siège social) et introduit des garanties générales pour toutes les salariées, ainsi que des obligations spécifiques pour les entreprises de plus de cent employés.

Les mesures comprennent la publication obligatoire de rapports semestriels, ainsi que des sanctions et la mise en place de plans d’action correctifs en cas d’inégalités constatées.

Le Parlement brésilien a adopté, en juillet dernier, la loi nº 14.611/2023 sur l’égalité des salaires et des critères de rémunération entre femmes et hommes.

En l’absence de textes d’application, nombre de lois demeurent lettre morte. Ici, cependant, le pouvoir exécutif a fait preuve de réactivité : le gouvernement a adopté le décret d’application (décret nº 11.795/2023) le 23 novembre 2023 et l’ordonnance du Ministère du Travail et de l’Emploi (MTE) a été publiée le jour suivant (Portaria nº 3.714/2023).

Pour les directions des ressources humaines des entreprises et groupes de sociétés présents au Brésil, ce début d’année 2024 est donc marqué par le thème de l’égalité salariale.

La loi prévoit des garanties générales destinées aux salariées de toute entreprise, et des obligations spécifiques visant les personnes morales de droit privé qui comptent cent employés ou plus. En particulier, le rapport de transparence salariale et des critères de rémunération et le plan d’action pour la réduction de l’inégalité des salaires et des critères de rémunération entre les femmes et les hommes.

Le décret d’application précise que ces mesures s’appliquent aux personnes morales de droit privé ayant leur siège social au Brésil, mais aussi à celles qui ont seulement une succursale ou une représentation sur le territoire brésilien, qu’elles soient constituées en société de fait ou de droit (art. 1, § unique).

Les groupes internationaux ayant une filiale ou un bureau au Brésil sont donc potentiellement visés.

1. Obligations générales applicables à tous les employeurs.

Le Code du travail brésilien (« Consolidação das Leis do Trabalho », approuvée par le décret-loi nº 5.452/1943) consacrait déjà le principe « à travail égal, salaire égal », prohibant les distinction fondées sur le genre, l’ethnie, la nationalité ou l’âge (art. 461).

La loi sur l’égalité salariale ajoute deux dispositifs à cet article.

D’une part, le paiement, par l’employeur, de la différence de salaires due à l’employé victime de discrimination salariale n’exclut pas le droit de celui-ci à demander le versement de dommages-intérêts pour réparer son préjudice moral (art. 461, §6).

D’autre part, l’amende encourue par l’employeur est de 10 fois le montant du nouveau salaire versé à l’employé discriminé après réévaluation, montant qui est doublé en cas de récidive (art. 461, §7).

Au-delà des sanctions, la loi prévoit que l’égalité des salaires et des critères de rémunération entre les femmes et les hommes sera garantie par les mesures suivantes :

L’ordonnance du Ministère du Travail indique que les éventuelles plaintes et dénonciations seront formulées, de préférence, par le biais d’un canal spécifique disponible sur l’application du Livret de Travail Digital, que possède tout salarié déclaré. D’autres moyens pourront être créés ultérieurement.

Ainsi, le système de signalement n’est pas interne aux entreprises, ce qui peut aider les victimes ou les témoins de discriminations salariales à s’exprimer plus librement.

2. Obligations spécifiques aux entreprises employant cent salariés ou plus.

Les personnes morales de droit privé comptant cent salariés ou plus sont soumises à une nouvelle obligation d’information, par le biais de rapports de transparence salariale et des critères de rémunération publiés et accessibles au public. Ce reporting social, s’il met en évidence l’existence de discriminations, peut donner lieu à la mise en place d’un plan de réduction des inégalités salariales et/ou d’une enquête de l’inspection du travail.

a) Le rapport de transparence salariale et des critères de rémunération.

La loi institue la publication semestrielle de rapports de transparence salariale et des critères de rémunération, dans le respect des règles de la loi générale de protection des données personnelles (loi nº 13.709/2018).

Ces rapports contiennent des données anonymisées et informations permettant une comparaison objective entre salaires et rémunérations, de même que la répartition des postes de direction entre femmes et hommes.

Le non-respect de cette obligation de reporting est sanctionné par une amende administrative équivalente à 3% de la masse salariale de l’employeur, limitée à cent salaires minimums (BRL 141 200,00 en 2024, soit environ 26 520,00 euros au 12/01/2024).

Le Rapport de Transparence Salariale est élaboré par le Ministère du Travail lui-même, sur la base des informations fournies par les employeurs au système eSocial (système électronique par lequel les employeurs remplissent leurs obligations fiscales, sociales et du travail) et au portail Emprega Brésil (système électronique qui regroupe des informations et statistiques sur le marché du travail), dans une nouvelle section qui sera mise en place dans l’espace employeur.

Ainsi, les employeurs s’acquittent de leurs obligations en introduisant les informations dans les programmes eSocial et Emprega Brasil. Ensuite, le Ministère du Travail collecte ces données et publie les rapports en mars et en septembre de chaque année, sur la plateforme du programme de diffusion des statistiques du travail aux côtés d’autres indicateurs pertinents : violences à l’égard des femmes ; places vacantes dans les crèches publiques ; accès à l’enseignement technique et supérieur, etc.

Le rapport de transparence salariale comprend deux sections :

La rémunération prise en compte est très large et inclut tous les montants qui, en vertu de la loi ou des normes collectives, constituent la rémunération du travailleur. En particulier : le salaire contractuel ; le treizième salaire ; les commissions ; les heures supplémentaires ; les primes de nuit, d’insalubrité, de danger, etc. ; les primes diverses et pourboires ; etc.

L’exécutif a donc fait le choix d’une approche large de la question de l’égalité salariale : ce n’est pas seulement une question quantitative (niveau de salaire à l’embauche ou proportion de salariés de chaque sexe), mais également qualitative (accès aux postes de direction, programmes de sensibilisation, partage des tâches domestiques, etc.).

Afin d’assurer une large diffusion auprès des employés, des parties prenantes et du grand public en général, ces rapports devront être publiés par les employeurs sur leurs sites web et réseaux sociaux, à un endroit visible.

b) Le plan d’action visant à atténuer les inégalités de salaire et de rémunération entre les femmes et les hommes.

Après publication du rapport de transparence salariale, si des inégalités de salaire ou de critères de rémunération sont constatées, l’inspection du travail intimera l’employeur pour qu’il élabore et mette en œuvre, dans un délai de 90 jours, en concertation avec les représentants syndicaux et du personnel, un plan d’action correctif.

Ce plan d’action vise à atténuer les inégalités de salaire et de critères de rémunération entre femmes et hommes, et doit contenir : a) des mesures à mettre en oeuvre selon une échelle de priorité ; b) des objectifs, des délais et des mécanismes de mesure des résultats ; c) une planification annuelle avec un calendrier de mise en œuvre ; et d) une évaluation semestrielle.

Le plan d’action doit également prévoir la création de programmes visant à : a) former les cadres, les dirigeants et les employés au thème de l’égalité entre femmes et hommes sur le marché du travail ; b) promouvoir la diversité et l’inclusion sur le lieu de travail ; et c) former les femmes afin qu’elles entrent, restent et s’élèvent sur le marché du travail sur un pied d’égalité avec les hommes.

Une copie du plan d’action doit être déposée auprès du syndicat représentant la catégorie professionnelle.

Conclusion.

Le Brésil commence 2024 avec un texte contraignant concernant l’égalité salariale entre femmes et hommes qui va exiger des adaptations de la part des entreprises.

Une comparaison des législations nationales sur ce thème met en évidence les différentes approches possibles.

Dans le cas du Brésil, la transparence semble le maître-mot, incluant des données aussi bien quantitatives que qualitatives. Aux sanctions civiles et administratives s’ajoutent donc la sanction sociale des réseaux sociaux et le risque réputationnel des entreprises.

Mickael Viglino, Avocat Barreau de Paris et OAB/RJ, JG Assis de Almeida & Associados