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Revenus réputés distribués : l’arrêt Waldner rendu par la CEDH est-il applicable ? Par Thomas Ramon, Avocat.
Parution : jeudi 18 janvier 2024
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Par un arrêt Waldner contre France du 7 décembre 2023 (CEDH 7 déc. 2023, n° 26604/16), la Cour européenne des droits de l’homme sanctionne la France qui impose au contribuable une majoration automatique à hauteur de 25% du bénéfice imposable en cas de non-adhésion à un organisme de gestion agréé. Cette surcharge financière disproportionnée vise à taxer un revenu fictif et inexistant selon la CEDH (Cour européenne des droits de l’Homme) ce qui n’est pas conforme au droit de propriété.

Une interrogation reste toutefois en suspens : l’arrêt Waldner pourrait-il être étendu aux revenus réputés distribués qui supportent également une majoration identique dans le cadre d’un redressement fiscal ?

A titre liminaire, faisons d’abord état des faits à l’origine de la requête portée devant la Cour européenne des droits de l’homme.

L’avocat requérant déclare à l’administration fiscale ses revenus non commerciaux au titre des années 2006, 2007 et 2008.

Dans la mesure où cet avocat n’avait pas adhéré à un organisme de gestion agrée (OGA) prévu par les articles 1649 quater F à quater H du Code général des impôts, les revenus ainsi déclarés ont été frappés d’un coefficient multiplicateur de 1,25 avant l’application du barème progressif de l’impôt sur les revenus non commerciaux.

Dès lors, le requérant forme une réclamation en date du 24 décembre 2009 s’agissant de l’augmentation de l’imposition afin de solliciter l’annulation de la majoration d’imposition sur les revenus aux titres des années 2006 à 2008 au motif d’une violation de l’article 1er du Protocole n° 1 de la Convention en alléguant d’une atteinte à ses biens et à son droit de propriété. Cependant, le Tribunal administratif de Paris, approuvé par la Cour administrative d’appel de Paris, rejette le recours du contribuable.

L’argumentation du requérant est également rejetée par le Conseil d’Etat au motif que l’existence de ce système était liée à la volonté du législateur d’encourager l’adhésion à de tels organismes en vue de mettre en œuvre l’objectif constitutionnel de lutte contre l’évasion fiscale.

Par la suite, le requérant forme un second recours contre les majorations de 25% appliquées aux revenus qu’il a déclarés au titre des années 2009 à 2011.

Une nouvelle fois, les juridictions administratives n’ont eu de cesse que de rejeter les recours successifs du contribuable.

C’est dans ce contexte que le requérant avance devant la CEDH l’existence d’une ingérence disproportionnée dans le droit au respect de ses biens sur le fondement de l’article 1er du Protocole n° 1 de la Convention européenne. L’avocat conteste notamment l’existence d’un motif d’utilité publique de la majoration litigieuse.

Dans son arrêt Waldner, la Cour européenne des droits de l’homme considère que les dispositions de l’article 158 du Code général des impôts entrent en contradiction avec l’article 1er du Protocole n° 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et ce, spécifiquement dans le point n° 58 de sa décision.

« 58. La cour relève en conséquence qu’en l’espèce, l’ingérence dans le respect des "biens" du requérant découlant du dispositif fiscal litigieux allait, pour l’ensemble de la période d’imposition de 2006 à 2011, à l’encontre de la philosophie générale d’un système fondé sur les déclarations présumées faites de bonne foi du contribuable ».

L’article 1er du Protocole n° 1 indique en effet :

« 1. Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

2. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes ».

La Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée en procédant à l’examen global des intérêts en jeu qui est issue de la jurisprudence autour de l’article 1er du Protocole n° 1 en matière fiscale (pts n° s 50 et 51 de la décision).

La Cour européenne n’est pas convaincue par le raisonnement des juridictions administratives qui ont, pour rappel, rejeté les recours successifs du contribuable. Le système d’abattement auquel a été remplacé une majoration implique, en effet, de considérer que les dispositions fiscales aboutissent à imposer des revenus qui peuvent être qualifiés de « fictif » selon les juges.

L’arrêt du 7 décembre 2023 remarque le choix d’opérer

« un arbitrage en rupture avec le principe de la présomption d’exactitude et de sincérité des déclarations fiscales » (pt n° 55).

La violation de l’article 1er du Protocole n° 1 est donc consommée, à l’unanimité.

S’agissant maintenant des revenus réputés distribués, l’article 158 du Code général des impôts prévoit également l’application du coefficient multiplicateur de 1,25 en cas de redressement fiscal du maître de l’affaire.

On se demande dès lors si la position de la Cour européenne dans son arrêt Waldner pourrait être étendue à ces revenus distribués majorés de 25% dans le cadre d’un redressement fiscal.

Même si la jurisprudence récente de la Cour Européenne des Droits de l’Homme ne visait pas la majoration de 1,25 applicable aux revenus réputés distribués, il convient de relever que la décision Waldner est fondée sur la violation de l’article 1er du Protocole 1ᵉʳ en raison d’une atteinte aux biens et relève que le requérant était de parfaite bonne foi et n’avait pas cherché à éluder l’impôt.

La bonne foi est plus difficile à caractériser s’agissant de revenus réputés distribués qui ont été constatés dans le cadre de la vérification de comptabilité d’une entreprise (frais supportés par la société qui ont bénéficié personnellement au dirigeant ou à son entourage).

Cependant, la jurisprudence française a précisé à de multiples reprises que la majoration de 1,25 visée à l’article 158. 7 du Code général des impôts n’est pas une sanction à l’égard du contribuable.

Le Conseil Constitutionnel a ainsi considéré dans une décision n°2019-793 QPC du 28 juin 2019 concernant la majoration de 25% des revenus réputés distribués que :

«  La majoration contestée ne constituant pas une sanction ayant le caractère d’une punition, les griefs tirés de la méconnaissance des articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789 doivent être écartés comme inopérants. Dès lors, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution ».

Cette position implique que la majoration de 1,25 ne vise pas à sanctionner l’éventuelle mauvaise foi du contribuable mais qu’il s’agit seulement d’une modalité d’imposition en cas de redressement fiscal qui taxe volontairement sur un revenu plus élevé de 25% à celui constaté dans le cadre d’un redressement fiscal.

L’application du multiplicateur de 1,25 aux revenus réputés distribués ne répond donc à aucune logique de sanction et constitue simplement une modalité d’imposition.

A ce titre, la jurisprudence Waldner de la Cour Européenne des droits de l’homme du 7 décembre 2023 devrait pouvoir s’appliquer aux revenus réputés distribués et ainsi permettre d’obtenir un dégrèvement d’impôt pour les contribuables qui ont fait récemment l’objet d’un redressement fiscal et pour lesquels le délai de réclamation (trois années à compter de l’avis d’imposition rectificatif) n’est pas encore prescrit.

Thomas Ramon Avocat au barreau d'Aix-en-Provence [->www.ramon-avocat.fr] Magistère de droit des affaires, fiscalité et comptabilité Master 2 Droit et fiscalité des entreprises [->thomasramon@netcourrier.com]