Village de la Justice www.village-justice.com

[Réflexion] Punir les parents défaillants, encore du populisme judiciaire ? Par Marc Lecacheux, Avocat.
Parution : lundi 29 janvier 2024
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/punir-les-parents-defaillants-encore-populiste-judiciaire,48627.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

On a coutume de dire que le temps politique n’est pas le même que le temps judiciaire.
Notre sujet semble coller à ce principe. À la suite des émeutes urbaines de juin 2023 consécutives à la mort d’un jeune, Aurore Bergé, ministre des Solidarités et des Familles a proposé d’infliger un Travail d’Intérêt Général (TIG) aux parents défaillants.
Pour la Ministre, « l’enjeu est donc de restaurer l’autorité ».
Cette réponse gouvernementale à des émeutes urbaines est-elle pertinente juridiquement ? Ou est-ce un simple hubris gouvernemental déconnecté de la réalité socio-éducative ?

Dans un premier temps, examinons l’état du droit actuel concernant la responsabilité parentale (I) pour ensuite nous pencher sur la pertinence d’infliger des sanctions supplémentaires aux parents défaillants (II).

I) La responsabilité parentale : état du droit en France.

Dans le cadre de notre droit positif, les parents « défaillants » sont déjà passibles de sanctions tant civiles que pénales.

A toutes fins utiles, rappelons que l’autorité parentale est définie à l’article 371-1 du Code civil comme un :

« Ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux parents jusqu’à la majorité où l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement dans le respect dû à sa personne. Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité ».

Depuis la loi du 4 mars 2002, l’exercice de l’autorité parentale est désormais conjoint [1].

A ce titre, précision que le parent qui n’exerce pas l’autorité parentale a le droit de surveiller l’entretien et l’éducation de l’enfant ainsi qu’un droit de visite et d’hébergement (DVH).

Pour ce qui concerne l’engagement de la responsabilité civile des parents, rappelons utilement que depuis 1997, les parents sont responsables de plein droit des agissements de leurs enfants mineurs [2].

Ces derniers ne peuvent s’exonérer de leur responsabilité par la preuve d’une absence de faute, de surveillance ou d’éducation.

Ainsi, aux termes de l’article 1242 alinéa 4 du Code civil :

« Le père et la mère, en tant qu’ils exercent l’autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux ».

Depuis 1984 un simple fait de l’enfant suffit à engager la responsabilité des parents [3].

Il suffit que l’enfant ait commis un acte qui soit le fait générateur du dommage [4] et qu’il existe l’exercice conjoint de l’autorité parentale.

Dès lors que ces deux conditions sont réunies, les parents sont solidairement responsables du fait de leurs enfants mineurs.

Par ailleurs, notre droit civil sanctionne déjà les parents jugés indignes.

C’est tout d’abord, le délaissement parental et plus précisément, la déclaration judiciaire de délaissement parentale [5].

L’article 381-1 du Code civil nous en donne la définition

« Un enfant est considéré comme délaissé lorsque ses parents n’ont pas entretenu avec lui les relations nécessaires à son éducation ou à son développement pendant l’année qui précède l’introduction de la requête, sans que ces derniers en aient été empêchés par quelque cause que ce soit ».

En outre, signalons que depuis la loi 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, le juge pénal à la possibilité d’ordonner le retrait de l’autorité parentale ou l’exercice de l’autorité parentale [6].

De même, le juge d’instruction ou le JLD (juge des libertés et de la détention) peuvent même suspendre le droit de visite et d’hébergement (DVH) par une décision motivée pour le mis en examen [7].

N’oublions pas que le contentieux pénal le plus connu et le plus emblématique et celui relatif aux non-paiements de pension alimentaire : c’est le délit d’abandon de famille [8].

Enfin, terminons notre propos en évoquant l’article 227-17 du Code pénal permettant d’engager des poursuites pénales des parents pour non-exercice de leurs responsabilités :

« Le fait, par le père ou la mère, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de son enfant mineur est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.
L’infraction prévue par le présent article est assimilée à un abandon de famille pour l’application du 3° de l’article 373 du Code civil
 ».

La Cour de cassation, dans un arrêt récent, est intervenu pour préciser les éléments constitutifs de cette infraction :

« (…) alors que le délit de soustraction d’un parent à ses obligations légales envers son enfant mineur suppose la soustraction, en connaissance de cause, d’un parent à ses obligations légales liés à ses devoirs parentaux au point de compromette la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de son enfant (…) » [9].

On le voit, les pouvoirs publics sont loin d’être démunis pour sanctionner des parents défaillants, sans compter toute la législation qui s’est mise en place pour lutter contre les maltraitances sur enfants (violences physiques, sexuelles et psychologiques).

II) Des sanctions supplémentaires à infliger aux parents : une instrumentalisation populiste du droit ?

En effet, il s’agit d’adopter des mesures chocs pour frapper l’opinion en donnant l’illusion d’une sorte d’orthopédie sociale pour familles défaillantes.

Comme l’écrit Monsieur Pierre Rosenzweig ancien juge pour enfant :

(….) Une posture de facilité classique consistant à pointer des prétendus coupables pour masquer ses propres défaillances et celles de ses prédécesseurs au nom de la raison d’Etat (…) ».

Finalement, est-ce une réponse pertinente pour relever le défi de la parentalité annoncé par la Ministre ?

Tout ceci d’autant qu’en 2008 le rapport Varinard puis le rapport Bockel du 3 novembre 2010 proposaient déjà des pistes de réflexions destinées à responsabiliser les protecteurs naturels de mineurs mis en cause par la justice et qu’il était même prévu dans le rapport Varinard de 2008 de créer une infraction de non-comparution du civilement responsable.

Proposition abandonnée au profit de stages de parentalité.

Dès lors, et pour revenir à notre sujet, la question est de savoir ce qu’apporterait un TIG à la responsabilisation des parents ?

Pour répondre, il faut d’abord décrire la finalité d’un travail d’intérêt général.

Le travail d’intérêt général (TIG) est une sanction pénale infligée par la justice à une personne condamnée à une infraction.

Concrètement, il s’agit d’accomplir un travail non rémunéré pour un service public ou une association dont la durée du travail est fixée par le juge.

Le TIG ne peut être infligé que pour certains délits ou des contraventions de cinquièmes classes.

C’est donc une peine proprement dite, infligée par le tribunal correctionnel [10].

On a donc des difficultés à comprendre l’intérêt social de cette sanction qui peut aboutir, in fine, à une peine d’emprisonnement en cas de non-exécution.

Il est à mon sens plus sage de reprendre les dispositifs des politiques sociales d’accompagnement des familles en difficultés.

De manière générale, c’est le département qui est le coordinateur des actions de préventions [11] à travers l’ASE (aide sociale à l’enfance).

L’article L112-3 du CFAS (Loi du 5 mars 2007) énonce que :

« La protection de l’enfance vise à garantir la prise en compte des besoins fondamentaux de l’enfant, à soutenir son développement physique, affectif, intellectuel et social et à préserver sa santé, sa sécurité, sa moralité et son éducation, dans le respect de ses droits (…) ».

Par ailleurs, la défaillance parentale peut être signalée aux autorités.

En effet, l’article 375 du Code civil modifié par la loi 2022-140 du 7 février 2022 précise que

« si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l’un d’eux, de la personne ou du service à qui l’enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public ».

Dans ce contexte, précisons qu’il existe un protocole départemental autour des actions de prévention [12].

Il définit les modalités de mobilisation et de coordination de ces responsables autour de priorités partagées pour soutenir le développement des enfants et prévenir les difficultés auxquelles les parents peuvent être confrontés dans l’exercice de leurs responsabilités éducatives.

Enfin, la loi pour l’égalité des chances du 31 mars 2006 a mis en place un dispositif qui se propose d’aider les parents qui rencontrent des difficultés dans l’exercice de leur autorité parentale : le contrat de responsabilité parentale est prévu dans le Code de l’action sociale et des familles [13], de l’éducation [14] et de la Sécurité sociale [15].

Terminons notre propos par le fait que depuis le 1ᵉʳ janvier 2021, les parents en situation de handicap qui remplissent les conditions d’accès ont droit à une nouvelle aide à l’exercice de la parentalité dite PCH parentalité.

Ainsi, au regard de tous ces dispositifs, on peine à croire que les pouvoirs publics soient démunis d’instruments plus ou moins coercitifs vis-à-vis des parents défaillants.

En lieu et place d’un renforcement des politiques protection de l’enfance et de soutien de la parentalité a été privilégiée la culpabilisation des familles les plus précarisées (famille isolée, famille monoparentale).

Gardons-nous de croire que le bon sens populaire (la stratégie du bâton) est toujours meilleure conseillère pour comprendre la complexité du réel.

Pour conclure notre propos, nous ne voyons pas l’intérêt d’ajouter des sanctions pénales pour les parents défaillants alors même qu’il existe des dispositifs permettant de sanctionner et de responsabiliser des parents ayant failli à leurs obligations.

Marc Lecacheux, Avocat Barreau de Paris

[1Article 372 du cciv.

[2Arrêt Bertrand Civ 2 19 février 1997.

[3Cass Ass plen 9 mai 1984.

[4Cass AP 13 novembre 2002.

[5Loi 2016-297 du 14 mars 2016.

[6Article 378 du Code civil.

[7Article 138 alinéa 17 du CPP.

[8Article 227-3 et 227-4 et 227-29 du Code pénal.

[9Cass crime 20 juin 2018 n° 17-84.128.

[10131-3 du CP.

[11Article L121-1 et suivant du Code l’action sociale et des familles.

[12Art L112-5 CFAS.

[13Article L222-4-1.

[14Articles L131-8 et L131-9.

[15Articles L521-2 et L552-3.