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Performance des cabinets d’avocats, engagement et... bien-être au travail ?
Parution : vendredi 22 mars 2024
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Au sens psychologique, l’engagement se définit comme la traduction comportementale de l’attitude d’un individu envers un objet social particulier. Cette question est devenue un objet d’étude central des différentes branches des sciences humaines s’intéressant à la performance et à la satisfaction des collaborateurs. Le développement des mesures d’améliorations de la qualité de vie au travail devait résoudre les problèmes RH des cabinets d’avocats. Pourtant, l’agréabilité du cadre de travail ne semble pas suffisante pour « remobiliser les troupes ». Revenons sur les différentes notions reliées à l’engagement avec le capitaine Antonin, commandant de compagnie, ancien instructeur à Saint-Cyr et formateur indépendant de dirigeants.


Article extrait du Journal du Village de la Justice n°101.
Au sommaire notamment de ce numéro 101, "Les risques psychosociaux au sein des cabinets d’avocat, ChatGPT et autres intelligences artificielles génératives, le coaching pour avocats, les nouveaux outils de l’amiable judiciaire..."

Journal du Village de la Justice : quel parallèle faites-vous entre l’engagement du militaire et celui de l’avocat ?

Capitaine Antonin : « Il y a des points communs entre la profession d’avocat et celle d’officier dans l’armée. L’accès à ces professions est long et sélectif. Les militaires portent l’uniforme. Les avocats portent une robe et prêtent serment. Ce serment n’est pas dépourvu de sens. Il est plein de devoirs et d’obligations envers ses clients, envers la profession, envers ses pairs. Ce sont des métiers qui, au départ, sont des métiers d’engagement. Les motivations et le sens donné à ces actions sont donc essentiels à leurs vies professionnelles. »

JVJ : Ces deux professions semblent connaître une crise de vocation. Est-ce problématique ?

CNE A. : « À la problématique de la vocation, je répondrais par celle du sens au travail. C’est une contrainte supplémentaire qui s’est structurée avec les générations Y – ces cadres qui ont entre 35 et 45 ans aujourd’hui – et qui se renforce avec la génération Z, qui veut du sens tout de suite. En soi, peu importe que la principale source de motivation soit la reconnaissance sociale, une vocation profonde et lointaine, ou plus pragmatiquement l’attractivité financière. Dans tous les cas, il y a un enjeu de management. Et, moins l’engagement des collaborateurs se fonde sur une vocation personnelle, plus il y a d’intérêt à construire un management de proximité. »

JVJ : L’engagement a-t-il un impact sur la performance d’un cabinet d’avocats ?Quel lien avec le sentiment de bien-être ?

CNE A. : « De manière générale, l’engagement va booster la performance. C’est un facteur qui joue à la fois sur la motivation, la loyauté et la productivité. Ça retarde le phénomène de turn over, ça renforce la fidélisation, et ça permet une diminution sensible des risques psychosociaux. À l’Armée, on attend également de l’engagement qu’il participe d’un esprit d’équipe particulier. On cite souvent Kipling : « La force du loup est dans la meute ». On attend d’une équipe qu’elle collabore dans un but commun, c’est-à-dire, qu’elle « chasse » en meute. Et ça, c’est une stratégie sacrément efficace au service d’une performance ! Sans compter qu’elle permet de développer une véritable culture d’entreprise et de générer de la cohésion.

Sentiment de bien-être au travail et engagement se renforcent mutuellement.

Le bien-être au travail va jouer sur la satisfaction du collaborateur, là où l’engagement agit davantage sur sa performance.
Étonnement, beaucoup de cabinets d’avocats choisissent d’agir prioritairement sur l’agréabilité et le cadre de vie au travail pour traiter des problèmes de fidélisation ou de prévention des RPS. Est-ce suffisant ? Certainement pas de mon point de vue : cela va soigner les symptômes, mais pas la maladie. Les mesures qui ont été prises actuellement par la plupart des cabinets d’avocats traitent de la gestion des ressources humaines, mais pas, en soi, du facteur humain.

Or il y a trois choses contagieuses : la peur, le stress et la cohésion. Créer un joli cadre de travail participe du bien-être. Mais il faut surtout une politique interne volontariste, parce que cette cohésion participe à l’ADN du cabinet et agit positivement sur son attractivité. En d’autres termes, il faut mettre l’engagement et le bien-être des collaborateurs au service du développement de sa marque employeur.

Il y a des identités très marquées selon les cabinets d’avocats. C’est important. La motivation des avocats ne se résume pas à l’adéquation d’un poste à un domaine d’expertise ou à une formation initiale, c’est aussi une question d’état d’esprit. Et là, c’est le manager – « N+2 » compris – qui par son exemplarité au quotidien, par son irréprochabilité dans son travail et dans ses relations, va donner du sens, de la profondeur aux dossiers, aux tâches, à la façon de travailler. Voir des avocats s’approprier pleinement leur rôle de manager était moins spontané il y a 30 ans ; c’est indispensable aujourd’hui. »

Il y a trois choses contagieuses : la peur, le stress et la cohésion.


JVJ : Comment le manager peut-il concrètement agir sur l’engagement de ses collaborateurs ?

CNE A.  : « Il faut de l’implication personnelle, physique, humaine et intellectuelle, pour incarner le rôle de manager. L’engagement est à double sens, à celui du collaborateur répond celui du manager, qui doit s’engager dans un management de proximité. Voilà ce qui va développer la cohésion de l’équipe et le sens dans le travail effectué au quotidien !

À l’Armée, on cherche à créer un esprit de corps ; en cabinet, cela passe par le management de proximité et la culture d’entreprise. Le manager doit faire de son équipe le cœur de sa préoccupation quotidienne. On recherche un management empathique, pédagogique, mais aussi exigeant. Il faut aussi savoir donner un cadre clair, des lignes directrices, et générer du challenge. Cela passe par un questionnement simple : comment vont les gens qui sont sous ma responsabilité directe ? Comment est-ce que je « les sens » ? Comment vont-ils gérer l’effort ? Comment vais-je les accompagner à suivre un marathon d’un dossier long et compliqué qui va, certainement, leur prendre plusieurs nuits entières ? Comment vais-je préserver mon capital humain sous tension ? C’est en répondant à ces questions que l’on arrive à obtenir cet ensemble où chacun est « heureux » d’aller dans son cabinet et de travailler dans son équipe, même si le rythme est dense. »

Rédaction du Journal du Village de la Justice