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Plus-values immobilières et déduction des dépenses de travaux. Par Arnaud Soton, Avocat.
Parution : dimanche 17 mars 2024
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La majoration du prix d’acquisition de l’immeuble pour dépenses de travaux n’est possible qu’à la condition que ces dépenses n’aient pas déjà été prises en compte pour la détermination de l’impôt sur le revenu.
CAA de Douai, 4ème chambre, 08/02/2024, 22DA02648, Inédit au recueil Lebon.

Selon les dispositions de l’article 150 U du CGI, les plus-values réalisées par les particuliers à l’occasion de la cession de biens immobiliers ou de droits relatifs à ces biens sont soumises à l’impôt sur le revenu au taux de 19%, majoré des prélèvements sociaux. Ce régime des plus-values immobilières s’applique aux plus-values réalisées par les personnes physiques dans le cadre de la gestion de leur patrimoine privé.

L’article 150 V du CGI précise que la plus-value imposable est égale à la différence entre le prix de cession et le prix d’acquisition de l’immeuble. Le prix d’acquisition est majoré forfaitairement de 7,5% pour tenir compte des frais d’acquisition, et il peut également être majoré des dépenses de travaux. Pour le calcul des plus-values immobilières des particuliers, il est donc possible de majorer le prix d’acquisition de l’immeuble des dépenses de construction, de reconstruction, d’agrandissement ou d’amélioration supportées par le vendeur et réalisées par une entreprise depuis l’achèvement de l’immeuble, étant entendu que le contribuable doit être en mesure de justifier du montant des travaux au moyen des factures des entrepreneurs et de leur paiement effectif si l’administration lui en fait la demande.

Dans l’affaire jugée par la Cour administrative d’appel de Douai, la question se pose de savoir si cette majoration est possible lorsque les dépenses ont déjà été prises en compte pour la détermination de l’impôt sur le revenu. En effet, l’immeuble cédé appartenait à une SARL de famille ayant opté pour le régime des sociétés de personnes et exerçant l’activité de location meublée, dont le contribuable était associé et cette société a déjà totalement amorti les dépenses en question au titre de l’année considérée et déduit celles-ci du bénéfice imposable revenant à l’associé pour une quote-part à hauteur de ses droits dans le capital social.

C’est à l’issue d’une vérification de la comptabilité de la société que l’administration fiscale, après avoir d’abord entendu remettre en cause le régime d’imposition de la plus-value de cession, a abandonné la procédure, mais a finalement remis en cause les modalités de calcul de la plus-value de cession de l’immeuble cédé, réalisée par cette société, telles que retenues dans la déclaration n°2048 souscrite par la société.

L’administration a notifié une proposition de rectification au contribuable sur les conséquences qu’elle entendait tirer de cette analyse, à concurrence des participations de l’associé dans la société, sur ses revenus imposables.

Les suppléments d’impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux ayant été mis en recouvrement à hauteur d’un montant total, en droits et pénalités, de 308 530 euros, le contribuable a déposé une réclamation préalable, laquelle réclamation préalable a été rejetée par l’administration fiscale. Le contribuable saisit alors le tribunal administratif de Rouen pour demander la décharge des impositions supplémentaires en soutenant qu’en se contentant de relever que les dépenses de travaux exposées dans l’immeuble dont la revente a généré la plus-value en cause étaient totalement amorties au bilan de la société dont il est l’associé, le tribunal administratif n’a pas pris soin d’exiger de l’administration qu’elle rapporte la preuve, qui lui incombe, de ce que, d’une part, cette société avait réellement déduit les amortissements de son résultat dans ses liasses fiscales, et d’autre part, lui-même avait effectivement pris en compte ces dépenses pour la détermination de son impôt sur le revenu au cours des années d’amortissement des immobilisations.

Pour l’administration fiscale, contrairement à ce que soutient le contribuable, les dépenses de travaux exposées sur l’immeuble cédé par la société ne pouvaient majorer le prix d’acquisition de l’immeuble pour la détermination de la plus-value imposable, dès lors que, selon la propre déclaration souscrite par cette société, ces dépenses avaient été totalement amorties, de sorte qu’elles ont déjà été prises en compte pour la détermination de l’impôt sur le revenu de l’associé, à raison de sa quote-part dans le capital de cette société.

Le tribunal ayant suivi le raisonnement de l’administration fiscale, il a rejeté la demande du contribuable qui a alors fait appel devant la Cour administrative d’appel de Douai.

Mais pour la cour administrative d’appel, comme pour le tribunal administratif, cette majoration n’est possible qu’à la condition que ces dépenses n’aient pas déjà été prises en compte pour la détermination de l’impôt sur le revenu. Or, cette société ayant déjà totalement amorti les dépenses en question au titre de l’année considérée et déduit celles-ci du bénéfice imposable revenant à l’associé pour une quote-part à hauteur de ses droits dans le capital social, elles ne pouvaient plus venir en majoration du prix d’acquisition pour le calcul de la plus-value immobilière entre les mains de l’associé.

La Cour administrative d’appel de Douai retient que si, en vertu des règles gouvernant l’attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d’établir les faits qu’elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu’une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu’à celle-ci.

Cette solution nous semble tout à fait logique, car il ne peut y avoir de double prise en compte des dépenses de travaux. L’arrêt rendu par la cour administrative d’appel est susceptible de faire l’objet d’un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat, mais il est fort possible que la solution retenue par les premiers juges soit maintenue.

Le vendeur qui déclare ne pas avoir réalisé de travaux, ne bénéficie pas du forfait de 15 %.

Dans une décision du 15/04/2024, (TA Pau, Chambre 1, 15 avril 2024, n° 2201290), le tribunal administratif de Pau a jugé que le vendeur qui déclare ne pas avoir réalisé de travaux, ne bénéficie pas du forfait de 15 %.
Selon les dispositions de l’article 150 VB du CGI, le prix d’acquisition est, sur justificatifs, majoré des dépenses de construction, de reconstruction, d’agrandissement ou d’amélioration, supportées par le vendeur et réalisées par une entreprise depuis l’achèvement de l’immeuble ou son acquisition si elle est postérieure, lorsqu’elles n’ont pas été déjà prises en compte pour la détermination de l’impôt sur le revenu et qu’elles ne présentent pas le caractère de dépenses locatives.

Lorsque le contribuable, qui cède un immeuble bâti plus de cinq ans après son acquisition, n’est pas en état d’apporter la justification de ces dépenses, une majoration égale à 15 % du prix d’acquisition est pratiquée.
Le contribuable qui cède un immeuble bâti plus de cinq ans après son acquisition, peut donc appliquer forfaitairement, une majoration de 15% pour dépenses de travaux lorsqu’il n’est pas en mesure d’apporter les justificatifs de ces dépenses. Dans sa décision du 15/04/2024, le tribunal administratif de Pau juge que le vendeur qui déclare ne pas avoir réalisé de travaux, ne bénéficie pas du forfait de 15 %.

Au cas particulier, une SCI dont le contribuable est associé à hauteur de 50 %, et qui a pour activité la location de terrains et autres biens immobiliers, a cédé le 31 mai 2016, pour un montant global de 1 900 000 euros, un ensemble immobilier. La SCI a fait l’objet d’un contrôle sur pièces au titre de l’année 2016.

Indépendamment de la question liée au prix de cession stipulé dans l’acte, le contribuable soutenait qu’en application du 4° du II de l’article 150 VB du code général des impôts, il est en droit de bénéficier d’une majoration pour travaux égale à 15 % du prix d’acquisition du bien acquis en 1988 par la SCI, alors même qu’il n’a procédé à aucun travaux. Pour le tribunal administratif, l’absence de justificatif travaux ne fait pas obstacle à l’application de ce taux forfaitaire de 15 %, mais l’affirmation du contribuable de n’avoir réalisé aucun travaux suffit, quant à elle, à ne pas appliquer au prix d’acquisition, un forfait de 15 %.

Le tribunal a donc considéré que le contribuable n’est pas fondé à demander l’application d’une majoration du prix d’acquisition du bien de 15 % pour des dépenses de travaux qu’il déclare lui-même ne pas avoir engagées.
Cette solution qui paraît particulièrement sévère pour le contribuable n’est pourtant pas nouvelle. En effet, la Cour administrative d’appel de Lyon avait déjà jugé qu’un contribuable n’est pas fondé à demander pour le calcul de la plus-value réalisée lors de la vente d’un terrain à bâtir supportant une construction destinée à la démolition, l’application d’une majoration du prix d’acquisition du bâtiment de 15 % en application de l’article 150 VB, II-4° du CGI, pour des dépenses de travaux qu’il déclare lui-même ne pas avoir engagées.

Au cas particulier, le contribuable se prévalait de la doctrine administrative selon laquelle, lorsque la condition afférente à la durée de détention est remplie, le cédant peut bénéficier du forfait de 15 % sans avoir à démontrer la réalité des travaux, le montant des travaux effectivement réalisés et l’impossibilité de fournir des justificatifs. Mais pour la Cour administrative d’appel de Lyon, cette doctrine ne comporte aucune interprétation différente de l’article 150 VB, II-4° du CGI (CAA Lyon 5-6-2018 n° 17LY00630). Cette solution est quand même très discutable, car le contribuable qui cède un immeuble plus de cinq ans après son acquisition a droit, s’il n’est pas en mesure d’apporter la justification de ses dépenses de travaux, à une majoration de 15 % du prix d’acquisition.

Il faut noter que le pourvoi qui avait été formé contre cet arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon au motif que la Cour d’appel avait dénaturé la doctrine administrative et commis une erreur de droit en jugeant que le contribuable ne pouvait se prévaloir de cette dernière sur le fondement de l’article L. 80 A du livre des procédures fiscales pour obtenir une majoration de 15 %, n’avait pas été admis par le Conseil d’Etat qui avait jugé qu’aucun des moyens soulevé n’était de nature à justifier l’admission du pourvoi (CE 25-3-2019 n° 422943, Davanture).

Il sera donc intéressant que le Conseil d’Etat puisse connaître une affaire portant sur cette question afin de confirmer ou d’infirmer cette solution qu’on comprend difficilement.

Arnaud Soton, Avocat Fiscaliste Barreau de Paris Professeur de droit fiscal http://www.soton-avocat.com/