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Licence « libre » : un choix de modèle pour développer son activité, par Anne-Sophie Poggi et Audrey Lefèvre, Avocates
Parution : jeudi 5 février 2009
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Licence propriétaire et licence libre

Classiquement, les éditeurs de logiciels recourent à une licence « propriétaire » pour la distribution de leurs produits et s’assure ainsi un triple avantage :

• financier : la reconnaissance du revenu est acquise dès la signature de la licence,

• patrimonial : le logiciel est valorisé dans les actifs de la société,

• protecteur : le bénéfice des dispositions du droit de propriété intellectuelle protègent le titulaire des droits d’auteur, en lui permettant de se réserver notamment le droit de distribuer le logiciel et d’interdire l’accès au code source.

Face à ce modèle « propriétaire », s’est développé le modèle du « libre ».
A l’origine, une licence « libre » se caractérise par l’octroi de quatre libertés listées par la Free Software Foundation :

- la liberté d’exécuter le programme pour tous les usages,

- la liberté d’étudier le fonctionnement du programme et de l’adapter à ses besoins,

- la liberté de redistribuer des copies,

- la liberté d’améliorer le programme et de publier ses améliorations (et pour cela, l’accès au code source).

Ces libertés définies par la FSF répondent à la philosophie du logiciel « libre » à son origine c’est-à-dire un logiciel fondé sur le partage et l’échange des connaissances, l’objectif étant d’éviter toute appropriation du logiciel, après communication de son code source à la communauté.

Lorsque ces libertés sont strictement protégées, la licence « libre » est dite copyleft (l’utilisateur du logiciel ne peut placer un produit dérivé qu’il aurait développé sous une licence différente). L’exemple de référence de ce type de licence « libre » est la GNU GPL.

Lorsque ces libertés sont limitées à la seule communication du code source d’origine sans obligation de mettre le code source des développements ultérieurs à la disposition de la communauté, la licence est dite « non copyleft ».

Et comme la créativité des acteurs du libre est sans fin, le terme « libre » est également utilisé pour des licences qui sont en fait « hybrides », « semi-libres ». Ces licences empruntent des clauses aux licences libres (utilisation et copie libres, disponibilité du code source), mais également aux licences propriétaires (en permettant notamment de distribuer les produits dérivés sous des licences propriétaires).

Les contraintes des licences « libres »

Le large éventail de licences qualifiées de « libres », les subtilités qui existent entre elles et les spécificités qu’elles recèlent peuvent constituer des freins à leur utilisation, ces licences étant souvent considérées, à tort, comme permettant une diffusion incontrôlable et ingérable des logiciels.

La question de la compatibilité des licences « libres » des nombreux logiciels ayant servi à la constitution d’un logiciel dérivé, entre elles et à l’égard de la licence retenue pour la distribution du logiciel dérivé est également centrale. Une illustration évidente de cette difficulté est celle du cas où l’un des logiciels ou le logiciel d’origine ayant servi au développement du logiciel dérivé est soumis aux termes d’une licence contaminante du type GNU GPL qui interdit au logiciel dérivé de se prévaloir de toute autre licence que la GNU GPL.

Si ces difficultés existent, elles ne doivent toutefois pas être surestimées car le recours à une licence « libre » peut s’avérer être un formidable outil stratégique de développement d’une société.

Une licence « libre » comme outil de développement

Les éditeurs de logiciels voient, dans le recours à une licence « libre », un moyen de diffuser leurs produits de manière très large et donc, de les démocratiser et éventuellement, de permettre une distribution plus internationalisée. Pour les plus ambitieux, il s’agit d’imposer leur standard.

Au fur et à mesure de leur développement, ces licences ont également intéressé des sociétés, éditeurs ou SSII, qui développent et enrichissent leur logiciel ou framework à l’aide de logiciels « libres » du marché. Leur objectif premier est de trouver un avantage concurrentiel qui donne envie à un client de contractualiser, sans lui donner l’impression qu’elles recherchent un gain immédiat en lui vendant une redevance de licence propriétaire.

C’est dans cette optique que certains éditeurs se sont dirigés vers des modèles ASP ou SaaS. La voie du logiciel « libre » est une autre alternative si la société conçoit et rédige sa licence comme un modèle économique de développement et non plus comme un simple outil de protection.

Dans ce cas, la licence n’est plus l’apanage des juristes mais devient le fruit d’une stratégie d’entreprise concertée et supportée par une équipe pluridisciplinaire, intégrant les fonctions technique, financière, marketing et juridique de l’entreprise.
Les sujets à traiter sont nombreux : payant/gratuit, libre distribution, libre modification, disponibilité du code source, distribution autorisée, montant de la redevance, certification, modifications utilisables. Ils s’imbriquent les uns avec les autres et ne trouvent de réponse qu’à l’issue d’échanges poussés.

Il existe, sur le marché, des centaines de licences « libres » qui peuvent servir de base à la réflexion et même être utilisées comme modèles, sous réserve de respecter les contraintes qu’elles imposent pour une telle réutilisation.
L’offre de services associés à l’utilisation du logiciel distribué sous licence « libre » ou comment obtenir un retour sur investissement

Il n’est pas question, en pensant logiciel « libre », d’abandonner toute idée de retour sur investissement.

Au contraire, les éditeurs proposent une palette d’offre de services associés aux logiciels (formation, intégration, maintenance, conseil, développements spécifiques réalisés à partir du logiciel pour les besoins propres des clients) effectués par des consultants dont l’expertise est mieux valorisée.

Parallèlement à ces services, certaines entreprises proposent des versions certifiées de leur logiciel ou mettent en œuvre des stratégies de doubles licences en plaçant, par exemple, la version la plus récente sous une licence propriétaire et en « libérant » l’ancienne version afin de faire connaître leur logiciel.

Il n’est plus rare, aujourd’hui, de voir des sociétés opter pour une distribution de leurs produits sous licence « libre » ou mettre en place une stratégie de double licence. Ce choix est en général accompagné d’une stratégie de communication afin de profiter de l’image porteuse dont jouit le monde du « libre ».

Dans ce contexte, le juriste devient un véritable partenaire de l’entreprise afin de répondre à des problématiques qui ne relèvent pas exclusivement du domaine juridique.

Anne-Sophie Poggi, Avocat Associé

Audrey Lefèvre, Avocat

Derriennic Associés